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Prendre (de) son temps

Photographie par Jonas Bourion (détail)
Photographie par Jonas Bourion (détail)

Dans le cadre de la nouvelle rubrique « Photo » de Politique, nous avons rencontré des étudiant·es en journalisme de l’Université libre de Bruxelles (promotion 2022-2023) avec leur professeur de photographie, Gaël Turine, et publions ici l’un des clichés de leur photoreportage sur les métiers du care. (Les reportages complets sont accessibles ici.)

Photographie par Jonas Bourion (détail)
Dans sa chambre, Félix a accumulé un tas de souvenirs qui le font se sentir chez lui. Il mange toujours en face des photos de sa famille.

Chaque jour, dans chaque maison de repos, des dizaines de professionnel·les s’activent. Des cuisinier·es au personnel soignant, tous et toutes brisent le calme ambiant. C’est également le cas de Delphine et ses collègues, membres de l’équipe paramédicale de la maison de repos Saint-Nicolas d’Enghien.

Leur but : prendre de leur temps pour adoucir celui des résident·es.Dans sa chambre, Isidoor regarde la télévision. Le volume est très élevé, la faute à une ouïe défaillante avec l’âge. Il est assis dans son fauteuil, une tasse de café vide devant lui et une photo de sa femme décédée à côté de celle-ci. D’une certaine façon, il et elle regardent toujours leur programme ensemble. Discrètement, une membre du personnel récupère la tasse de café vide. Il ne faudrait pas troubler le calme ambiant. « Ici, nous sommes chez eux. Nous ne devons pas oublier ça », souffle Delphine. Membre de l’équipe paramédicale de la maison de repos Saint-Nicolas d’Enghien depuis onze ans, elle a trouvé dans ce métier l’humanité qu’elle recherchait.

Apprendre à connaître les résident·es ainsi que leurs histoires, comme celle d’Isidoor, fait partie de son quotidien. Car son quotidien, c’est avec eux et elles qu’elle le passe.

Le paradoxe de la proximité

Jour après jour, le rôle de Delphine et son équipe est de créer de la proximité avec les habitant·es du home. Organiser des promenades, veiller au bon déroulement des repas, écouter les confidences des résident·es… figurent dans leur panel d’activités. Pourtant, la relation privilégiée qu’ils et elles façonnent se terminera toujours de manière abrupte. « Quand ils partent, c’est parfois très difficile. C’est le genre de métier qu’on emmène beaucoup à la maison, même si on sait qu’il est nécessaire de conserver une certaine distance », affirme Delphine. « Mais pour accompagner réellement quelqu’un, il faut en être proche. On ne peut pas prétendre soigner nos résidents sans en prendre soin, si je puis dire. »

Malgré le manque de personnel dont souffre le secteur, l’équipe paramédicale met un point d’honneur à accorder un maximum de temps à chaque patient·e. Dans ce sens, elles et ils appliquent la méthode Montessori qui vise à maintenir l’indépendance des résident·es. « Concrètement, nous leur laissons toujours le choix », explique Delphine. « C’est chronophage, certes, mais c’est beaucoup plus gratifiant pour eux que d’être infantilisés. »

Manque de considération

Dans le service comme ailleurs, l’équipe paramédicale est souvent moquée. « Le personnel infirmier nous a déjà dit qu’on était payé pour jouer aux cartes », soupire un·e membre de l’équipe. « C’est beaucoup plus complexe que ça. On ne se doute pas de la charge mentale que ça représente, surtout quand on se retrouve seul à gérer un étage entier, soit une trentaine de personnes, notamment lors des repas. Certains  nécessitent une aide individuelle pour manger. »

Mais au-delà de ça, il y a aussi les activités qui n’en sont pas vraiment. « Parfois, il faut juste s’asseoir et prendre le temps de discuter », raconte Delphine. « On voit alors dans leurs yeux qu’ils se sentent reconnus en tant que personnes et que ce lien social est crucial pour leur bien-être. Quand cette étincelle apparaît, je me rends compte de l’importance qu’on a. »

D’autres photoreportages de la promotion 2022-2023 du Master 2 Journalisme de l’ULB présentées sur notre site web.