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Quel vote à gauche pour 2024 ? (1/3) « Le 9 juin, je pèlerai des oignons avec le PS »

Pour les élections du 9 juin 2024, la revue Politique a demandé à des citoyens et citoyennes de gauche, proches de partis politiques, de défendre leur choix de vote. Pour François Perl, le bilan du PS est loin d’être négligeable.

On prête à Théo Hachez, directeur de La Revue Nouvelle et personnage influent de la gauche chrétienne jusqu’à son décès en 2008, la phrase suivante : « Au Parti socialiste il y en a toujours un qui pèle les oignons et un autre qui pleure ». Cette phrase est intéressante à plus d’un titre.

En considérant, d’abord, la matrice idéologique de La Revue Nouvelle. La démocratie chrétienne a dû peler beaucoup d’oignons et pleurer à l’époque où, au sein de l’ex-PSC, elle cohabitait avec des courants droitiers (pour ne pas dire plus).

Ensuite, en l’analysant à l’aune de la participation gouvernementale du Parti Socialiste aux divers gouvernements issus des élections du 26 mai 2019. Ces participations faisaient suite, fait assez inhabituel depuis les années 1980, à plusieurs années d’opposition.

Cette donnée permet de disposer d’une base de comparaison entre un gouvernement avec participation socialiste et un sans cette participation.

La « suédoise » avait pu engranger un fameux catalogue des horreurs, comprenant notamment un saut d’index (malgré une situation budgétaire assainie), une réduction des cotisations patronales au travers d’un tax shift favorisant outrageusement les revenus du capital et un allongement des durées de carrière et de l’âge légal de la pension.

Tout en considérant que la gauche était minoritaire au Parlement fédéral durant la législature qui se termine, la principale mission du PS (avec ses alliés de l’aile gauche du gouvernement) fut de « réparer » un modèle social laissé en piteux état par la conjonction de 5 années de politique ordo-libérale.

Un bilan sérieux

Le bilan est, sur le papier, sérieux et sans doute l’un des plus intéressants des dernières participations gouvernementales socialistes. On compte ainsi un refinancement de la sécurité sociale et des soins de santé (plus de 10 milliards d’euros en 4 ans) et de nouveaux prélèvements sur le capital (la taxe sur les compte-titres) pour près d’un demi-milliards d’euros/an (en cumul, le PS a obtenu depuis 2009, un hausse de près de 5 milliards en base annuelle de la taxation du capital mobilier et immobilier).

Mais l’on constate également une revalorisation (au-delà de l’indexation et de « l’enveloppe bien-être ») de toutes les allocations sociales, dans des proportions rarement atteintes : le RIS isolé et la Grapa ont par exemple augmenté de près de 30% en 4 ans. Sans oublier, une hausse du salaire minimum de plus de 400 euros par mois, un arsenal important de mesures contre la précarité (notamment énergétique) qui ont permis aux ménages belges d’être les moins impactés par la succession de crises durant la législature, dont certaines mesures devenues structurelles ; des avancées importantes dans les domaines de la protection des travailleurs et travailleuses malades, de l’économie de plateforme, des artistes ou encore du travail du sexe.

On imagine également sans peine ce qu’aurait été l’attitude d’un gouvernement sans les socialistes (et leurs alliés écologistes) face à la situation internationale et en particulier la guerre qu’Israël mène contre les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza.

Le vote PS, un vote de contexte

Les bilans régionaux et communautaires présentent également de nombreux aspects positifs, notamment dans les domaines du logement (à Bruxelles), de l’éducation (en Fédération Wallonie-Bruxelles) ou de la santé (en Wallonie).

L’observateur objectif conviendra que la différence est bien réelle entre les bilans avec ou sans la participation du Parti socialiste.

L’une des trois composantes de la gauche refuse la participation au pouvoir pour continuer à se vautrer dans le confort douillet de l’opposition.

D’autres instruiront le procès de la Vivaldi, qui n’est évidemment ni exempte de critiques, ni de certains angles morts. L’heure n’est pas à l’enthousiasme, mais plutôt à une approche rationnelle des choses. Car il est difficile de faire autrement dans un pays où les majorités de gauche sont rendues impossibles. D’une part, en raison de la mathématique électorale communautaire (le nord vote à droite, le centre et le sud à gauche). D’autre part, parce qu’une des trois composantes de la gauche refuse la participation au pouvoir en se retranchant derrière un discours plein de pusillanimité agitant des ruptures impossibles à réaliser pour continuer à se vautrer dans le confort douillet de l’opposition et de l’indignation sur les réseaux sociaux.

Le vote PS en 2024 est plus un vote de contexte qu’un vote de récit. Contexte marqué par la conjonction de la montée irrésistible de l’extrême droite et du retour en force de l’ordo-libéralisme après la parenthèse du « quoiqu’il en coûte ». Contexte où, hormis sans doute en Espagne, le laminage de la gauche est la règle en Europe et où le PS est un des derniers partis à résister malgré une érosion évidente tout en maintenant une capacité de transformation sociale. Capacité qui s’est aussi traduite aussi dans le contexte européen. En effet, durant sa présidence de l’Union européenne, la Belgique a, grâce au PS, pu faire adopter deux textes importants (sur les travailleurs de l’économie de plate-forme et sur le devoir de vigilance) qui n’auraient certainement pas été poussés de la même manière par une coalition de centre droit.

L’expérience montre surtout qu’on a jamais fait du social sans le Parti socialiste.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’autre offre politique à gauche. Le programme socio-économique d’Écolo pour la prochaine législature est également très ambitieux. Mais si, pour reprendre l’expression des Verts, on ne fait pas d’écologie sans écologistes, l’expérience montre surtout qu’on a jamais fait du social dans ce pays sans le Parti socialiste.

L’enjeu gouvernemental

La législature qui vient s’annonce comme une des plus difficiles de ces 40 dernières années sur le plan socio-économique. A l’heure où la droite et le patronat demandent une cure d’austérité sans précédent, le choix des votants le 9 juin n’est certainement pas celui du grand soir. Le narratif du « sans nous, ce serait pire » a été, parfois justement, critiqué, mais est, hélas, sans doute plus actuel que jamais.

Dans ce contexte, la gauche peut, bien entendu, promettre le grand soir. À condition de mentir sur le fait qu’elle est incapable de forcer un vrai rapport de forces, autrement qu’en participant au gouvernement.

Après le 9 juin, si l’hypothèse d’une nouvelle « suédoise » que tous les partis de droite et le patronat appellent de leurs vœux, ne se réalise pas, le PS devra sans doute, à nouveau, s’essayer à un art difficile consistant à peler des oignons en pleurant le moins possible. L’électeur pourra aussi, et c’est bien son droit, choisir de voter pour une autre gauche. Celle qui, pour approfondir la métaphore de Théo Hachez, boit des bières dans la cuisine en regardant celle qui pèle les oignons. Mais il faut être réaliste sur un point : la capacité du PS à retenir ses larmes dépendra en grande partie de son poids au sein des différentes majorités. Il ne s’agit pas tant ici d’un vote « utile » ou par défaut, mais plutôt de voter pour donner aux forces de progrès une véritable portée dans les exécutifs via une participation en bonne et due forme.

Le gouvernement n’est évidemment pas le seule matrice de la politique. La rue, le parlement et les corps intermédiaires sont autant de lieux pour « faire politique », mais si elle est en mesure d’aller au pouvoir, la gauche ne peut pas se permettre, au vu des enjeux de la prochaine législature, de laisser les leviers de l’exécutif à la droite en se recroquevillant sur l’idée qu’elle pourra imposer un meilleur rapport de force dans l’opposition qu’au sein du Gouvernement fédéral.