Retour aux articles →

Quelle politique automobile en ville ?

Comment s’articulent les politiques de mobilité en Flandre et à Bruxelles par rapport à la transition vers une mobilité plus douce et apaisée qui se généralise un peu partout ? Surtout : quels obstacles obstruent encore ce mouvement ? En Flandre, il n’existe pas de politique ambitieuse en matière de transport en commun. La priorité d’Anvers, plus grande ville du Nord du pays, reste la voiture…

Cet article est publié dans le cadre du n°121 de Politique (décembre 2022).

L’usage massif de l’automobile – avec les facilités qu’on lui accorde trop souvent – n’est pas conciliable avec la qualité de vie et le développement urbain. Dans notre pays, le tissu urbain, tel qu’il résulte du développement historique des villes, est constitué de rues qui, pour autant qu’elles datent d’avant la Deuxième Guerre mondiale, n’ont pas été conçues pour le trafic automobile. Ce n’est en effet qu’à partir de cette époque que toutes sortes de percées pour un trafic fluide ont été mises en œuvre et que des extensions faites sur mesure pour l’automobile ont été réalisées. Les transformations que Bruxelles a subi dans les années 1950 à l’occasion de l’Expo 58, avec entre autres la « petite ceinture » (ring intérieur) et l’ancien viaduc de Koekelberg, ou en Flandre la B041 avec son viaduc qui transperce le centre de Gand, en sont des exemples extrêmes.

Mais il n’existe quasiment pas de vraies « villes automobiles », ayant connu un développement après les années 1960, dans notre pays, sauf peut-être Genk qui a été basée sur une planification urbanistique centrée sur la voiture. Tant les villes « adaptées » à l’usage massif de l’automobile – comme Bruxelles et Gand – que les « villes automobiles » comme Genk, mais aussi Rotterdam et Eindhoven aux Pays-Bas, mettent actuellement en œuvre une politique visant à réduire de manière drastique leur trafic automobile. Les villes qui mènent ouvertement une politique ambiguë, une politique orientée « en même temps » (qui facilitent aussi bien des alternatives que le trafic automobile) sont devenues des exceptions.

Anvers en est un bel exemple, avec le récent projet adopté par le Collège communal pour développer la route le long des quais comme l’élément d’un « ring de stationnement » autour du centre-ville, en créant un accès et un tunnel à hauteur du site remarquable du Steen[1. P. Van de Perre, « Autotunnel onder Scheldekaaien, Steenplein wordt stuk groter », De Standaard, 18 juillet 2020. (En ligne.)]. La ressemblance avec les plans de l’Expo 58 à Bruxelles est saisissante.

Vers des villes au trafic apaisé : pionniers et disciples

Déjà dans les années 1960 les experts en circulation et en planification urbaine mettaient en garde contre les conséquences néfastes du déferlement d’un trafic automobile dans les villes. Dans son livre Death and Life of Great American Cities (1961), Jane Jacobs décrit le déclin de la vie sociale en grande partie sous l’influence de la massification de l’automobile. Colin Buchanan, dans Traffic in Towns, n’a pas seulement décrit la problématique, en introduisant le concept de « capacité environnementale », c’est-à-dire de volume maximal de trafic qui est acceptable sur le plan de la qualité de vie. Il a aussi proposé une solution qui eut beaucoup de succès : maintenez le trafic automobile dans un nombre limité d’« artères » et rendez les « aires environnementales » entre elles impénétrables. La première ville à appliquer sa théorie dans notre pays fut Bruges. Dans son plan structurel In het Structuurplan un concept prévoyant une grande zone piétonne et un centre-ville au trafic apaisé fut proposé[2. Dans l’ordre : J. Jacobs, The Death and Life of Great American Cities, London, Penguin Books, 1961 ; C. Buchanan, Traffic in Towns, London, Penguin Books, 1964 ; et D. Lauwers, Wetenschappelijke basis en actuele betekenis van visie en concepten van verkeers(circulatie)plannen van Ulrich Keppler in de periode 1976-1996, Symposium en huldiging Ulrich Keppler 5 mei 2022, KU Leuven, Campus Sint-Lucas Gent.]

Cette vision fut expérimentée étape par étape, avec un premier système de boucles de trafic en 1976. D’autres centre-viles – sauf Anvers – ont introduit aussi (très) progressivement ces systèmes, en tout cas dans les centres-villes. Ainsi par exemple, le conseil communal de Malines en adopta le principe en 1980, mais il fallut attendre jusqu’en 2014 pour que la dernière boucle soit réalisée. Dans les centres-villes qui suivirent le mouvement ce fut un processus très lent, qui traîne déjà depuis des décennies. Des villes comme Gand, Louvain, Hasselt, Turnhout l’ont fait au début de ce siècle. Bruxelles-Ville en 2022. Entre-temps, Bruxelles et Gand ont réalisé de plus grandes zones piétonnes que Bruges : chaque fois plus de 50 ha. Bruxelles va encore étendre la sienne.

Le covid-19 et la crise climatique comme accélérateurs ?

L’intervention des pouvoirs publics dans la mobilité n’a jamais été aussi forte – en dehors des périodes de guerre – que lors de ces deux dernières années. En 2020, toute une série d’activités, et la mobilité qui y étaient liées, ont été interdites ou en tout cas très fortement limitées pendant de longs mois de confinement. Étant donné que les flux de circulation et de transport trouvent en grande partie leur origine et/ou leur destination dans les villes, cette limitation y a été plus forte. Le choc du covid va-t-il jouer le rôle d’accélérateur pour la politique de mobilité urbaine, en plus des objectifs de politique climatique qui ont retenu une grande attention politique dans les centres urbains ?
À cet égard, penchons-nous sur les déclarations de Marco Granelli, adjoint au maire de Milan en matière de circulation, lors du premier confinement , quand sa ville était très fortement touchée par la première vague de covid-19 : « Avant, nous planifions pour 2030 ; maintenant, la nouvelle phase, nous l’appelons 2020. Au lieu de penser à l’avenir, nous devons penser au présent[3. L. Lauker, « Milan announces ambitious scheme to reduce car use after lockdown », The Guardian, 21 avril 2020, traduction de la rédaction. (En ligne.)]. »

Tout comme dans les villes de Paris, Barcelone, Berlin… des mesures éphémères furent prises après la levée de ce premier confinement : pistes cyclables temporaires, élargissement des trottoirs, etc. À Milan et Paris, non seulement ces mesures furent confirmées mais de nouveaux plans furent élaborés qui visent une redistribution radicale de l’espace public. La Rue Rivoli à Paris et plus de 140 places publiques sans voitures à Milan sont devenues des exemples iconiques d’une transformation urbaine rapide et en profondeur. Sur de nombreuses routes d’accès (les boulevards) à Paris et les « A roads[4. Les « A roads », à ne pas confondre avec les autoroutes (désignées au Royaume-Uni sous la lettre M pour Motorway), sont des « routes principales », proche des nationales. (NLDR)] » à Londres, le nombre de cyclistes dépasse maintenant celui d’automobiles qui entrent en ville en semaine[5. N. Hellen et K. Tarrant, « All power to the pedal on A-roads where bike numbers overtake cars », The Times, 16 janvier 2022. (En ligne.)].

En Allemagne, c’est une autre histoire. La législation et la réglementation fédérale allemande rendent difficile la prise de mesures visant à réduire l’espace et la vitesse pour les automobiles dans les villes. C’est ce qui a conduit à Berlin à des propositions de mesures bottom-up inspirées par les mouvements citoyens pour ce qui va peut-être devenir la plus grande zone sans voitures d’Europe. Le groupe Volksentscheid Berlin Autofrei a lancé une opération réussie de pétitionnement pour convaincre la municipalité d’adhérer à leurs plans. Le Sénat de Berlin ne les a pas approuvés en mai dernier mais les militants espèrent encore un arrêt favorable du tribunal régional en septembre[6. C. Gehrke, « Beschluss: Berliner Senat lehnt autofreie Innenstadt ab », Berliner Zeitung, 17 mai 2022. (En ligne.)].

Dans notre propre pays, nous pouvons observer l’impact post-covid sur les politiques de mobilité, surtout à Bruxelles, où il a conduit à une mise en place accélérée de l’infrastructure cyclable prévue par le Plan régional « Good Move ». Les villes flamandes n’apprécient pas de leur côté la « loi de l’avancée freinante »[7. Ce phénomène a été décrit par Jan Romein en 1937 dans son essai De dialectiek van de vooruitgang (« La dialectique du progrès »). Cette loi considère qu’une avancée dans un certain domaine peut avoir comme effet qu’il y a peu de stimulation pour poursuivre ce progrès ailleurs.] Ainsi on a moins ressenti la nécessité d’étendre l’infrastructure cyclable, puisque depuis plus d’une décennie on y avait déjà plus investi qu’à Bruxelles, Milan ou Paris[8. D. Lauwers et K. Fransen, COVID-19 mobility policies in Belgian cities – From pioneers to late arrivals, Civitas Reveal, newsletter #2, 2020. (En ligne.)].

La Flandre était déjà devenue, avant la pandémie, la troisième région cycliste en Europe après les Pays-Bas et le Danemark. Dans ces deux pays également, la réaction au covid-19 a été moins importante que dans le Sud de l’Europe et en Grande-Bretagne. Du côté flamand, c’est surtout au niveau de la Région qu’une impulsion a été donnée pour des investissements complémentaires en faveur de l’usage du vélo. Cet accroissement budgétaire avait déjà été évoqué dans la déclaration gouvernementale. Ensuite, dans le cadre du « plan Kopenhagen », le budget a été augmenté pour atteindre un montant annuel de 325 millions d’euros. Il y a cinq ans il n’était que de 100 millions. Une partie de ce budget est affectée au co-financement des infrastructures cyclables communales, une autre à des projets de l’Agence régionale Wegen en Verkeer et une dernière à des autoroutes cyclables. Bien entendu celles-ci et les liaisons cyclables sécurisées le long des routes régionales ont un fort impact pour l’accessibilité des villes.

Pour une redistribution de l’espace public

L’accessibilité des villes doit être organisée, beaucoup plus qu’auparavant, de manière multi-modale. C’est ce qui a été établi pour la première fois dans le décret flamand sur la mobilité de 2009, avec l’introduction du principe Stop[9. Stop pour stappen, trappen, openbaar vervoer et privévervoer. (NDLR)]. Il vise à donner la plus grande priorité aux piétons, puis cyclistes, au transport en commun, et enfin au trafic automobile. C’est l’approche que l’on retrouve actuellement, sous une forme plus ou moins actualisée, chez un grand nombre d’experts internationaux en mobilité urbaine.

Mais plus récemment le décret flamand sur l’accessibilité a fortement affaibli cette approche en la transformant en simple principe de prévention en matière de sécurité routière[10. « STOP-principe verdwijnt uit nieuw mobiliteitsdecreet », De Tijd. (En ligne.)]. Le gouvernement flamand a bien élaboré un objectif « ambitieux » de transfert modal pour évoluer d’une part de 70 % de trafic automobile dans les déplacements quotidiens vers 60 % en 2030, et même 50 % dans les grandes villes. Le fait que le trafic automobile soit la forme la moins efficiente et la plus consommatrice en matière d’espace nous apprend par ailleurs que la redistribution modale rend la ville non pas moins mais plus accessible. En tout cas, l’on ne définit pas la capacité d’une rue en termes de nombre de véhicules pouvant y passer pendant une période donnée, mais bien en termes de nombre de personnes.

Le stationnement comme levier de la transition

Les voitures individuelles ne sont, en général, utilisées qu’environ une heure par jour. Le reste du temps elles sont statiques sur un emplacement de stationnement public ou privé. Dans le cadre de la stratégie exposée ci-dessus pour redistribuer l’espace public, le stationnement doit donc être pris en considération. Quelques villes étrangères mènent une politique fort explicite en ce domaine, avec les exemples extrêmes d’Amsterdam (politique visant à supprimer 12 000 places de stationnement) et Paris (suppression de la moitié des places de stationnement, c’est-à-dire 60 000 places). Les villes flamandes procèdent de manière beaucoup plus prudente, rue par rue. Un exemple bien connu (même à l’étranger) est celui de Saint-Nicolas qui, en visant l’aménagement d’une rue végétalisée, a su persuader les propriétaires de voitures d’opter pour des places de stationnement à une distance relativement réduite (de préférence à moins de 150 m) de leur habitation.

La suppression du stationnement le long de la voirie est souvent essentielle pour créer l’espace nécessaire pour des pistes cyclables suffisamment larges. Et dans un trafic mixte, le stationnement en diagonale et perpendiculairement à la voie est dangereux pour les cyclistes. Aux Pays-Bas, les directives le déconseillent depuis des décennies, sauf dans les zones résidentielles et les rues des zones 30 km/h qui ne sont pas trop fréquentées. Dans la nouvelle proposition du codex de l’urbanisme pour Bruxelles, le ministre compétent, Pascal Smet, veut l’interdire dans toutes les rues qui seront réaménagées[11. Belga, « Bruxelles veut mettre le stationnement perpendiculaire et en épi sur une voie de garage », RTBF, 29 juillet 2022. (En ligne.)].

Mais le stationnement sur des terrains privés est aussi un point d’attention pour les politiques de mobilité. L’enjeu est d’abandonner le principe de stationnement loué depuis des décennies. Les études montrent qu’une approche « pousser et tirer » est nécessaire pour obtenir la réalisation du transfert modal que recherchent la Région flamande et beaucoup de villes. C’est pourquoi une stratégie visant à limiter les possibilités de stationnement constitue un levier important. Le centre de connaissances Fietsberaad Vlaanderen a développé des recommandations pour obtenir une norme de mobilité qui intègre le stationnement vélo dans les normes de stationnement, en particulier pour des combinaisons de niveaux maximaux et minimaux de places pour chaque mode de transport qui soient articulés entre eux[12. Fietsberaad Vlaanderen, Van parkeer- en stallingsnormen naar een mobiliteitsnorm, cahier n° 5, 2019. (En ligne.)]. Elles peuvent être soutenues par des mesures d’accompagnement, par exemple un plan de gestion de la mobilité pour les entreprises ou pour les écoles, l’encouragement de la mobilité partagée, l’offre de transport en commun, etc.

Les communes peuvent utiliser ces normes de mobilité comme référence pour les demandes de projets afin d’imposer des exigences de mobilité (par exemple en matière de stationnement) en fonction du projet. Le but est qu’ils trouvent leur chemin dans la réglementation urbanistique, et combinent éventuellement ces exigences avec des mesures d’accompagnement ou des possibilités d’exceptions. Les normes ont été proposées sous forme de tableaux pour trois types distincts de zones dans les communes. Pour les habitations, les bureaux, les supermarchés, les écoles et les équipements sportifs, des directives sont prévues sous la forme de valeurs standards. Ce plan a été élaboré selon une méthode en quatre étapes. De plus des normes différentes ont été proposées pour les villes, d’une part, et les petites villes ou villages, d’autre part.

Une vitesse plus lente

Au lieu d’adapter les villes à des normes de véhicules toujours plus grands et plus rapides, il faut maintenant impulser un mouvement inverse. Dans la mesure où les différents flux de circulation utilisent le même espace, la réduction de vitesse ne doit pas valoir uniquement pour le trafic automobile. La ville de Bruges l’applique aussi aux vélos avec son approche du ring cyclable, avec le slogan « less speed, more city ». Les vélos doivent également s’adapter à l’espace qui détermine la qualité de vie d’une zone habitée. Pendant les dernières décennies, on a consacré beaucoup d’attention et de moyens à une réorganisation qualitative des places et rues principales sur le plan urbanistique dans nos villes, en tout cas dans les centres-villes. Malines, Louvain et Bruges sont mêmes reconnues au plan international pour leur espace public de qualité. Suivant les nouvelles tendances, les routes autour de ces centres-villes seraient également aménagées sur base de cette philosophie : plus de qualité urbanistique, d’apaisement et de place pour les vélos… donc moins pour les autos[13. Voir https://denieuwevesten.mechelen.be.].

Imposer une vitesse plus lente dans les zones habitées est aussi apparu comme un facteur de succès en matière de sécurité routière[14. D. Lauwers, « Missie: nul verkeersdoden per jaar », Sampol, vol. 27, n° 4, avril 2022. (En ligne.) ]. Alors que de nombreuses villes y travaillaient déjà depuis quelques décennies, une intensification des zones 30 km/h s’est produite après la Déclaration de Stockholm[15. Gouvernement suédois, « Déclaration de Stockholm », février 2020. (En ligne.)]. La Région de Bruxelles-Capitale a fait le choix de la mettre en œuvre comme nouvelle norme standard pour l’espace bâti sur l’ensemble de son territoire à partir du 1er janvier 2021. Le résultat après la première année est extrêmement positif : des vitesses effectivement plus lentes sur la plus grande partie du réseau routier, moins de victimes d’accidents par rapport aux années précédentes (alors qu’on relève une augmentation dans le reste du pays) et moins de nuisances sonores[16. Brussel Mobiliteit, Eén jaar Stad 30, 2021]. L’introduction réussie d’une zone 30 km/h sur l’ensemble de la Région bruxelloise a été un des arguments utilisés par les autorités parisienne pour adopter une mesure similaire. De même, les parlements régionaux d’Écosse et du Pays de Galles ont fait le choix d’une introduction généralisée, tout comme l’Espagne qui l’a adopté comme limite standard pour toutes les zones bâties à partir du 11 mai 2021.

En Flandre, la ministre de la Mobilité, Lydia Peeters, a fait le choix d’une approche définie comme bottom up : il est de la responsabilité des villes et communes de décider d’introduire des limites à 30 km/h. Elle accepte toutefois de stimuler cette évolution avec un cadre de référence pour leur mise en place qui est rédigé comme un conseil pour les gestionnaires de voiries[17. Voir Afwegingskader voor het invoeren van 30km/u op gewest- en gemeentewegen binnen de bebouwde kom, Verkeersveilig Vlaanderen, Vlaamse overheid, décembre 2021. (En ligne.)].

Un certain nombre de centres-villes (Louvain, Saint Nicolas, Malines) ont relevé le défi de l’initiative «  Coalitie van 30 »[18. Il s’agit d’une coalition de villes, de communes et d’organisation en faveur d’une limitation de la vitesse à 30km/h. Voir : https://www.coalitievan30.be/.]. Louvain apparaît comme leader mais Gand, qui est en train d’introduire sa zone 30 km/h dans les différents quartiers de la ville, n’est pas loin derrière. Les villes de Hasselt, de Saint Nicolas ou d’Alost étendent les zones centrales existantes et/ou les rendent plus apaisées. Par contre, la plus grande ville de Flandre, Anvers, ne participe pas à ce mouvement. Alors qu’environ 90 % des rues habitées y sont depuis quelques années sous le régime de la zone 30 km/h, pour les rues principales, y compris en cas de trafic mêlé de cyclistes et d’automobiles, le 50 km/h est maintenu. Cette contradiction est apparue récemment lors du conflit entre la ville et la ministre de la Mobilité à propos de l’aménagement de la Turnhoutsebaan, une route régionale. La ministre est arrivée à imposer le statut de rue cyclable en zone 30 km/h contre la position des autorités communales[19. D. Lauwers, « Met de Turnhoutsebaan kan Antwerpen voorgoed tot fietsstad vervellen », De Morgen, 9 décembre 2021. (En ligne.)].

Perspectives

Les villes réagissent donc de diverses manières aux défis de l’avenir pour la mobilité. Ainsi Anvers continue – malgré son plan climat et la soi-disant politique modal shift – a avoir confiance dans l’accroissement du trafic automobile urbain. Son plan climat se base sur une croissance de la mobilité de 22 % pour 2030, là où le plan régional flamand parle de 4 %[20. Stad Antwerpen, Klimaatplan 2030. Bijlage 2. Cijfermatige onderbouwing, 2020, p. 44.]. Ce qui réduit à néant l’ambition d’un plus grand transfert modal intégrée dans la déclaration de politique régionale flamande pour la zone métropolitaine par rapport aux autres parties de la région. Il suffit de comparer avec une autre ville portuaire, Rotterdam, qui travaille à une réduction de la pression automobile de 78 000 déplacements par jour[21. Gemeente Rotterdam, Slimme bereikbaarheid voor een gezond, economisch sterk en aantrekkelijk Rotterdam – Stedelijk Verkeersplan Rotterdam 2016 – 2030+, 2017.]. On peut difficilement considérer qu’Anvers mène une politique ambitieuse tournée vers l’avenir en matière de mobilité. Contrairement aux capitales régionales comme Barcelone (Catalogne), Vitoria-Gasteiz (Pays basque), Edimbourg (Écosse), elle ne joue pas le rôle de précurseur inspirant pour la transition. L’inspiration vient plutôt de petites et moyennes villes et de Gand. Il est possible que les nombreuses zones cyclables, entre autres à Courtrai, Malines, Louvain, Hasselt, Aarschot ou encore Ostende, soient un élément à ne pas sous-estimer dans le changement de mentalité des usagers de la route : la prise de conscience que l’automobile n’est plus la reine de la rue[22. J. Mesdag, « Schepen Weydts juicht nu Mechelen fietszone invoert in centrum naar het voorbeeld van Kortrijk: “Hoe meer steden meedoen, hoe sneller mentaliteit verandert” », Het Laatste Nieuws, 20 septembre 2019. (En ligne.)].

Cette transition paraît donc avoir toutes les chances de se poursuivre. Ce qui est plus préoccupant, c’est le coup donné par la pandémie au transport public urbain, déjà en difficulté en Flandre[23. Voir Th. Renson, « Openbaar vervoer schrikt nog af: bijna helft minder reizigers bij De Lijn dan voor corona », Gazet van Antwerpen, 15 septembre 2021.]. Le manque de fiabilité et le démantèlement des infrastructures – voire les différentes voies de tram à Anvers et Gand – ont parfois atteint un niveau hallucinant[23. D. Lauwers et al., Opinie. « Acht experts kritisch over project voor tramnet: wiegt de minister Antwerpen in slaap met haar mooie plannen? », Gazet Van Antwerpen, 24 mars 2022. (En ligne.)]. Bref, le fait qu’il n’existe pas, en Flandre, de perspective pour le transport en commun, pèse lourdement sur les transitions prometteuses en matière de mobilité décrites ci-dessus.

Traduction du néerlandais : Jean-Paul Gailly.

(Image en vignette et dans l’article sous CC BY-NC-SA 2.0 ;photo d’une voiture sur la Grand Place prise par Antonio Ponte, en juillet 2011.)