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Un référendum qui ne dit pas son nom ?

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Après un parcours très accidenté pour la sixième réforme de l’État, qu’en sera-t-il de la septième ? Le gouvernement De Croo promet un processus neuf et participatif, dans lequel les citoyens et les citoyennes auront leur juste place. Cette ambitieuse approche est-elle réalisable ? Faut-il espérer ou rester sceptique devant une formule qui est encore à l’état de projet ?

Cet article a paru dans le n°117 de Politique (septembre 2021), au sein du dossier « Réformer l’État : et vous, qu’en pensez-vous ? »

Après quasiment une législature avec les nationalistes de la N-VA au sein de l’exécutif, le nouveau gouvernement De Croo, constitué quant à lui sans la N-VA, a intégré la question communautaire dans son programme. Faut-il comprendre que le statu quo ne paraissait pas tenable, ou qu’il fallait donner un os à ronger à certains responsables politiques au moment de signer l’accord ? Ou, au contraire, est-ce une volonté délibérée de reconfigurer la structure fédérale belge dans le sens d’une plus grande efficacité ou d’une meilleure lisibilité ?

Contexte

Lors de sa déclaration inaugurale au Parlement en octobre 2020, Alexander De Croo donnait des gages aux partisans de cette deuxième lecture, en soulignant qu’il est question « d’une réforme en profondeur des structures de l’État », qui se fera en engageant « un large débat démocratique […] avec des citoyens, la société civile, le monde académique et les représentants politiques ». Ce programme est chapeauté ou impulsé par deux ministres en charge des réformes institutionnelles. Le processus et le calendrier annoncés sont totalement inédits, tandis que l’objectif est très ambitieux puisqu’on ne nous promet rien de moins qu’une nouvelle structure étatique à partir de 2024 (Conseil des ministres du 30 avril 2021).

Si David Clarinval s’est jusqu’ici montré discret sur la question, son homologue néerlandophone, Annelies Verlinden, a rapidement fait savoir qu’elle était favorable au modèle dit « 2 + 2 ». Cette piste, classique au nord du pays, fait quasiment l’unanimité contre elle au sud. Elle consacre la prédominance des deux grandes Communautés/Régions (deelstaten) avec un statut particulier pour les deux petites entités (deelgebieden) que sont Bruxelles et l’Ostbelgien. Dans les programmes des partis francophones, on retrouve généralement la reconnaissance de Bruxelles comme Région à part entière, le maintien d’un lien entre la Wallonie et Bruxelles à travers la  Communauté française, et un statut sui generis pour la Communauté germanophone qui jouit, en outre, de l’exercice de compétences régionales transférées  par Namur. Plus récemment, on a pu entendre l’une ou l’autre responsable politique évoquer le fédéralisme à quatre[1. Cette piste n’est cependant pas nouvelle. Philippe Destatte plaidait, dans nos pages, en 2013 déjà pour « Quatre États fédérés pour plus de démocratie ». (NDLR).] (Régions, NDLR).

Le développement du fédéralisme « à la belge » ne relève pas d’un dessein ou d’une volonté politique bien définie, il est le produit d’un compromis entre plusieurs lectures. Travailler en mode participatif en impliquant des citoyens, individuellement ou en tant que représentants d’associations de la société civile, ne serait finalement qu’un nouvel avatar de cette évolution par défaut. Bien entendu, cette innovation permettrait d’accroitre le caractère démocratique de la réforme qui ne tirerait pas uniquement sa légitimité d’un simple vote – certes avec une majorité spéciale – au Parlement. Il est néanmoins probable que cette consultation est prévue car les politiques sont loin d’un accord entre eux, tant sur le contenu que sur la finalité d’une septième réforme de l’État, sans parler de son opportunité même.

Gouvernement et société civile

Tranchant avec les déclarations largement médiatisées sur le fédéralisme à « 2 + 2 » de février 2021, les deux ministres en charge des Réformes institutionnelles et du Renouveau de la démocratie ont discrètement déposé au Conseil des ministres fin avril un premier projet de déclaration de révision de la Constitution.

Annoncée comme faisant la place belle aux citoyennes et aux citoyens, la prochaine réforme de l’État est en réalité une initiative gouvernementale. Voilà qui tranche en tous points avec le long épisode de 2010-2011 où il aura fallu 540 jours non pas pour former un gouvernement mais pour s’accorder sur une réforme de l’État et former un gouvernement dans la foulée. Plusieurs acteurs ont été à la barre durant cette crise, certes sur désignation royale. Une fois cette nomination actée, les démineurs, informateurs ou encore facilitateurs ont pu prendre tous les contacts et initiatives nécessaires afin de débloquer la  situation et d’arriver à un accord. La sixième réforme de l’État est donc le fait des partis politiques. Une fois le consensus atteint, l’accord gouvernemental donnant les grandes lignes et points d’articulation  de la réforme laissait néanmoins la main au parlement pour régler les modalités et présenter les textes.

De manière inhabituelle également, le projet actuel est porté par deux ministres. Certes, un membre de chaque groupe linguistique, mais ils ne représentent que deux des quatre familles politiques (pour autant que cette notion ait encore du sens) et deux des sept partis impliqués dans la coalition « Vivaldi ». Le Conseil des ministres d’avril a cependant validé la proposition qui était sur la table. Elle consiste en un (premier) projet de déclaration de révision de la Constitution. Rappelons que le vote de la déclaration de révision de la Constitution entraine la dissolution des assemblées fédérales. C’est donc un mécanisme charnière qui clôture – souvent de manière laborieuse pour se mettre d’accord sur un texte commun – la législature et qui ouvre de nouvelles perspectives autour de ce qui constitue d’une certaine manière une feuille de route (même si elle peut être totalement ignorée par la majorité suivante).

Il ne faudrait donc pas perdre de vue que, malgré les annonces probablement précipitées ou, d’une certaine manière, trompeuses, ce sera le prochain parlement qui votera la réforme. Même si le gouvernement actuel prend le leadership et décide d’associer la société civile au projet, des élections devront être organisées et viendront plus que probablement rebattre les cartes. Ce sera à la majorité (spéciale) qui en sera issue de décider de mettre en œuvre le  projet porté par les ministres Verlinden et Clarinval, d’y renoncer ou encore de l’adapter. À l’heure actuelle, l’équipe De Croo ne dispose pas de la majorité nécessaire à une telle réforme et rien ne garantit, s’il était décidé d’associer d’autres partis au projet, qu’elle se maintiendrait lors des prochaines élections. Une autre option serait celle du « coup de Loppem », telle que suggérée par Bart De Wever à l’occasion du 11 juillet, jour de la fête flamande. S’inspirant de la décision du roi Albert 1er en 1918 d’organiser des élections législatives au suffrage universel masculin, en forçant ainsi une révision ultérieure de la Constitution en ce sens, le président de la N-VA propose de suspendre la Constitution le temps d’une révision (qui ne passerait donc pas par la case déclaration des articles soumis à révision, ni par la case élections). Notons que ce scénario n’est pas incompatible avec la procédure que le gouvernement est en train de mettre en œuvre.

Ambition

Le gouvernement De Croo est ambitieux. Il ne vise rien de moins qu’une nouvelle structure étatique (dès 2024 !) et non une adaptation du dispositif actuel. Le nouvel agencement devrait être plus efficace, plus lisible avec une meilleure répartition des compétences de manière « plus homogène ». La précision ne manque pas d’ironie. En effet, la précédente réforme de l’État avait déjà été justifiée (d’abord) et saluée (ensuite) en ce qu’elle distribuait précisément aux entités fédérées des « paquets homogènes » de compétences. Il est probable, rétrospectivement, qu’il faille comprendre cela comme un transfert substantiel vers les entités fédérées. La crise du covid-19 est passée par là et, désormais, on semble enclin à comprendre  cette notion d’homogénéité comme une lutte contre le morcellement des compétences. Cette formulation est néanmoins suffisamment ambiguë pour satisfaire les personnes réclamant une refédéralisation de certaines matières[2.On a suffisamment entendu parler des 7 ou 9 ministres de la santé qui empêcheraient une bonne gestion de la crise sanitaire.], tout en contentant celles qui plaident pour un approfondissement des transferts jusqu’à confier aux entités fédérées l’ensemble des matières relevant d’un même domaine. Cette possible double compréhension est confirmée par la suite du communiqué du Conseil des ministres qui associe, tel un oxymore, le principe de subsidiarité[3.Je souligne l’apparent paradoxe, car les éléments de  langage de certains nationalistes assimilent le principe de subsidiarité au transfert de compétences vers l’entité la plus  proche des personnes concernées, alors que l’acception politologique revient à distribuer des compétences aux niveaux de pouvoir le plus approprié, donc ouvre la possibilité d’un transfert à un niveau supérieur si la compétence s’étend au-delà d’une entité particulière.] et la solidarité interpersonnelle.

En combinant l’ensemble de ces notions (homogénéité, efficience, subsidiarité et solidarité interpersonnelle), le gouvernement De Croo s’adresse à l’ensemble de la classe politique, tous partis (démocratiques) confondus. Chacun devrait pouvoir se retrouver dans les propositions émises, a fortiori si la société civile ou des citoyennes et des citoyens sont impliqués dans le processus. Ce faisant, il balaie l’écueil de la recomposition du paysage parlementaire suite aux prochaines élections.

Calendrier et enjeux

Cette nouvelle structure devra être opérationnelle en 2024, soit immédiatement après les prochaines élections législatives fédérales et régionales. Il s’agit ici d’un double pari du gouvernement. Tout d’abord, il doit trouver – avant les prochaines élections – des partenaires de majorité spéciale qu’implique toute réforme de l’État. Dans un second temps, cette majorité doit sortir « gagnante » des prochaines élections, c’est-à-dire qu’elle doit conserver sa majorité des deux tiers. On l’a vu, la formulation de cette ambition devrait permettre de relever le premier pari, sans quoi tout (majorité et accord) serait à renégocier après les élections. On pourrait ajouter un troisième écueil : transposer rapidement l’accord en révision constitutionnelle ou de lois spéciales, sans rouvrir la boîte de Pandore communautaire. Avec la caution citoyenne, on peut espérer que cette tentation sera moins grande.

L’enjeu est majeur. En effet, si le premier pari est gagné, cela signifie que le corps électoral sera amené à voter sur cette question très particulière, sans qu’elle soit évidemment exprimée telle quelle. Les prochaines élections pourraient ainsi être vues comme un référendum sur la réforme de l’État. Bien entendu, les élections législatives ne sont pas mono-thématiques. Les motivations du vote sont bien plus complexes et celui-ci est sans doute le produit d’un arbitrage entre plusieurs considérations et priorités de chacune et chacun. On peut s’interroger sur la manière de rédiger un accord de gouvernement si les programmes électoraux ne portent que sur la réforme de l’État. À l’inverse, on peut se demander comment on évaluera la réaction citoyenne à la réforme de l’État si le projet gouvernemental ne constitue qu’un élément parmi l’ensemble des priorités des programmes électoraux.

Rôle de la plateforme de dialogue

Un projet de déclaration de révision a déjà été rédigé et validé fin avril par le Conseil des ministres. Le contenu de ce projet s’articule autour de 5 articles (46, 48, 96, 142 alinéa 5, 195). Les travaux de la plateforme de dialogue viendront de manière inédite « compléter » cette déclaration. Le caractère inédit est double. D’une part, c’est la première fois qu’un gouvernement entend consulter, de manière participative, les citoyens et les citoyennes. Ce n’est, par contre, pas la première fois qu’on fait appel à l’expertise académique. D’autre part, l’association de cette plateforme de dialogue à la formulation du projet semble bel et bien concrétisée. On ne se trouverait pas dans le cas de figure, classique, de la mise en place d’une instance purement consultative[4. Voir l’article de Sophie Devillers et Ben Eersels dans ce dossier.].

Deux sentiments sont possibles à l’examen du (pré-)projet : l’enthousiasme ou l’incrédulité. L’enthousiasme peut se comprendre à la perspective d’une procédure inédite et ambitieuse ouvrant les portes à la société civile, mais aussi à des citoyennes et des citoyens en plein contexte de désaffection du politique, tandis que l’incrédulité risque de frapper les personnes observant la politique belge de longue date. Le vocabulaire utilisé peut parler à tout le monde et de nombreux partis pourraient s’y retrouver. Les aménagements permettant l’implication citoyenne ne sont pour l’instant que très symboliques et ne sont pas sans rappeler la tradition d’encommissionnement.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.0 ; photographie prise en 2015 par Tyler Yeo.)