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Une loi spéciale sur le climat

L’idée existait de longue date, mais elle a vraiment émergé dans le débat politique dans les suites de la marche du 2 décembre 2018, qui a réuni 100.000 personnes dans les rues de Bruxelles pour réclamer plus d’ambition dans les politiques climatiques. Elle est en fait assez simple : pour cesser de faire dépendre les avancées en la matière de la bonne volonté des majorités politiques en place, il faut ancrer ces ambitions dans une loi spéciale, de manière à assurer leur durabilité.

Pourquoi une loi spéciale ? Pour rappel, dans le droit belge, ce type de loi a pour particularité de s’imposer à l’ensemble des entités composant le pays, à savoir l’État fédéral, mais aussi les Communautés et les Régions. Elle dispose d’un caractère quasi-constitutionnel et passe par une procédure spécifique à trois titres. Premièrement, elle doit être approuvée à la fois par la Chambre des représentants et le Sénat, ce qui est devenu extrêmement rare en Belgique. Deuxièmement, elle nécessite dans chacune de ces deux assemblées une majorité des deux tiers. Troisièmement, une majorité absolue doit être assurée dans chaque groupe linguistique. Par cette triple procédure, les lois spéciales font donc l’objet d’une stabilité beaucoup plus grande que d’autres lois. Elles sont difficiles à détricoter et ne varient donc pas au gré des majorités parlementaires.

Qu’on ne se méprenne donc pas : une loi spéciale sur le climat n’a donc pas vocation à résoudre l’ensemble du problème climatique, même au niveau belge. Pour une raison simple : les changements climatiques sont liés à la plupart des aspects de notre vie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une re-fédéralisation des compétences climatiques est à peu près impossible sans remettre en cause la réalité fédérale de l’État belge : agriculture, alimentation, transport, énergie, logement sont autant de compétences essentiellement régionales dont l’impact sur le réchauffement climatique est immense.

Initiative académique

C’est pourquoi, le 1er février 2019, une série d’académiques issus de différentes universités du pays, réunis autour de Delphine Misonne, professeure à l’université Saint-Louis, ont publié une proposition de loi qui, plutôt que de s’attaquer à toutes ces dimensions, répond à deux objectifs principaux. D’abord, il s’agit de fixer les objectifs de la Belgique en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050. Une telle mesure peut apparaître assez banale au premier abord, mais elle constitue en fait un acte assez radical dans son approche : plutôt que de faire dépendre nos objectifs nationaux des ambitions définies au niveau européen, il s’agirait de les fixer une bonne fois pour toute, en instaurant de plus un effet de cliquet qui empêche de les revoir à la baisse. Les voix des secteurs les plus polluants de l’économie s’élèveront certainement, au nom de la compétitivité du marché belge : pourquoi avancer en cavalier seul, sans négocier des efforts équivalents de la part de nos voisins ? Une autre approche consiste pourtant à considérer la «décarbonation» de notre économie comme une gigantesque opportunité : à partir du moment où elle est inéluctable, les pays qui s’engageront le plus rapidement dans la transition écologique créeront d’autant plus d’emplois et disposeront à terme d’avantages comparatifs non négligeables.

Ensuite, le projet mis sur la table propose une série de réformes institutionnelles visant à améliorer la gouvernance climatique de notre pays : en créant une Conférence interministérielle climat, un Comité permanent d’experts ou encore une agence interfédérale du climat, une commission interparlementaire du climat, il institue des mécanismes destinés à mettre de l’huile dans les rouages et à assurer que les décisions soient prises de manière plus efficace et dans les respect des délais impartis, ce qui a rarement été le cas au cours de la dernière décennie.

Seulement un premier pas

Alors, un tel projet est-il susceptible de nous rapprocher d’un monde plus juste et plus durable ? Sans nul doute, s’il permet de rendre contraignants les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui sont le nerf de la guerre. En effet, on sait que le réchauffement climatique touche systématiquement davantage les pays les plus pauvres et, dans chaque pays, les catégories les plus précarisées de la population. Cependant – et ceci devra faire l’objet des discussions autour de l’adoption de la loi, que l’on espère voir aboutir avant les élections du 26 mai –, le projet mériterait d’être renforcé dans certaines dimensions liées à la justice sociale. Ainsi, si ce principe est affirmé dans la loi, la diminution des inégalités pourrait être ajoutée comme objectif transversal, de façon à assurer explicitement que les mesures prises dans les décennies à venir ne soient pas défavorables aux plus pauvres. De plus, si les émissions de gaz à effet de serre sont bien évidemment le cœur du problème, les objectifs climatiques définis dans l’Accord de Paris n’y sont pas limités : la Belgique s’y est par ailleurs engagée à contribuer financièrement à l’atténuation des émissions et à l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement. Les objectifs en la matière mériteraient d’être eux aussi intégrés à la loi, ce qui permettrait d’éviter l’écueil dans lequel notre pays est tombé dans le domaine de l’aide au développement, s’engageant à y consacrer 0,7 % de son revenu national brut sans jamais mettre cet engagement en œuvre.

Quoi qu’il en soit, comme cela a été souligné plus haut, une telle loi spéciale, si elle est nécessaire, restera insuffisante : il est en effet nécessaire que tous les niveaux de pouvoir, du local au mondial, transforment en profondeur l’ensemble des politiques menées, non seulement en matière climatique, mais plus fondamentalement en matière économique, commerciale ou agricole, pour les mettre en phase avec une double nécessité : permettre à chaque être humain de vivre dignement et de respecter les limites de la planète. Il y a du pain du la planche…