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La meilleure médecine du monde ?

À l’origine de la programmation récente d’un dossier de Politique qui soit en prise avec «la santé», il y avait plutôt un sentiment de vide à combler. Diantre, en huit ans de curiosités sociétales tous azimuts et d’incitations méthodiques au débat, il nous sautait soudain aux yeux qu’aucun numéro n’avait encore vraiment fait d’un tel thème son plat de consistance. Et l’on dit la classe politique bien éloignée des préoccupations les plus cruciales de ses électeurs-administrés ! Nous, modestes maquisards de l’activation démocratique et de la réhabilitation du choc des idées face au poids des images, ne nous découvrions-nous pas soudain tout aussi négligents à l’égard d’une réalité basique. Car enfin, s’il est bien un sujet qui préoccupe tout un chacun, à côté de l’emploi, de l’affectif et de la sécurité globale d’existence, c’est bien celui de l’intégrité physique et mentale. Le rituel usé mais tenace des vœux saisonniers («… et surtout la santé, n’est-ce pas, Madame, car c’est quand même le plus important !») nous le ressasse jusqu’à plus soif. Les sondages sur les principaux motifs ordinaires de préoccupation de nos contemporains (même lorsqu’on y inclut les risques plus effarants, comme le terrorisme…) nous le confirment avec un systématisme confondant. Certaines vogues commerciales et certains empressements législatifs ou réactifs des autorités également, car au nom de la santé tout semble bon à prendre, que ce soit pour se rassurer soi-même, dans la sphère privée, ou pour rassurer les autres sur son sens des responsabilités, dans la sphère publique. À lire certaines des contributions qui suivent, néanmoins, on se rassure quant à notre sagacité éditoriale : point n’est besoin de parler seulement de médecine, technologies du vivant, médicaments, hôpitaux pour aborder de front les réalités et les déterminants de la santé humaine. Ainsi, comme Monsieur Jourdain, en consacrant des dossiers à la gestion de la ville, à la Sécu, à l’avortement, nous étions bien en partie au cœur du sujet, sans le dire et en s’en doutant quand même un petit peu. Reste qu’il nous paraissait intéressant, malgré tout, d’explorer de façon un peu plus directe et approfondie l’univers qui, pour le commun des mortels (si bien nommé en l’espèce !), incarne le plus sûrement la «fourniture» et la «garantie» majeures de santé. A savoir le monde du soin professionnel. Ce faisant, nous ouvrions par ailleurs une nouvelle boîte de Pandore aux perspectives si variées – santé physique et santé mentale; ressources médicales du nord et du sud de la planète… – qu’il nous a encore fallu faire des choix d’orientation relativement circonscrit. Un petit groupe de travail, réunissant quelques-uns des futurs contributeurs rattachés à différentes disciplines de santé, nous a aidés à identifier un fil rouge : mettre à l’épreuve la vision hagiographique classique de notre système de soins et d’assurance maladie, réputé un des meilleurs au monde sous tous rapports. Ce choix nous a d’office ancrés dans la réalité belge, resituée ici et là par rapport aux vents dominants de la «zone» économique et technologique des pays de l’OCDE. En ouverture, Thierry Poucet évoque quelques questions sensibles de société et de rapport culturel à la vie chevillées à notre modernité médico-sanitaire. Il épingle au passage la plasticité sociologique des définitions de la santé et le gisement d’enjeux profonds auquel celles-ci renvoient. Pour rentrer directement dans le vif du sujet, Daniel Désir, Pierre Gillet, Oscar Grosjean et Jean Hermesse radiographient par touches la médecine belge en en relevant tant les clefs de voûte que les scories. À leur suite, sont auscultées les stratégies et les pratiques de quatre principaux acteurs, au sens large, du système de soins de santé. Il s’agit, avec Yves Hellendorff, des représentants des travailleurs paramédicaux qui, par leur action, défendent une certaine idée du service au public. Vient ensuite la recherche médicale dont Christian Léonard montre les liens ambigus qu’elle entretient avec les industriels. De son côté, Pierre Drielsma dissèque les enjeux du différend qui oppose médecine générale et médecine spécialisée depuis plusieurs décennies. Alors que Christian Van Rompaey dirige son projecteur sur les médias pris en étau entre la surpuissance des lobbies et industries de la santé et leur propre nécessité de «vendre» des informations sans toujours pouvoir en garantir la qualité ou la pertinence sociale. Troisième temps de ce thème : les inégalités. Qu’elles soient sociales, avec Perrine Humblet, qui nous montre, au niveau européen notamment, qu’un bon niveau de santé général dans la population ne signifie en rien l’abaissement des inégalités. De genre, en matière cardio-vasculaire notamment. Ou bien envers les populations d’origine étrangère vivant en Belgique, qui, comme l’explique Nathalie Perrin, commencent progressivement à bénéficier de plus d’attention spécifique dans les grands centres de soins. Quatrième sujet d’observation : les modes de régulation du système belge et les enjeux d’une éventuelle libéralisation de celui-ci. Aux propos de Marie-Christine Closon, qui pointe la très complexe conciliation des efforts d’incitation économique à l’efficience et à l’équité, répondent à la fois ceux de Jean-Marc Laasman, pour qui le système belge dispose aujourd’hui d’outils d’analyse et de gestion plus subtils qu’hier, et ceux de Michel Roland, qui met en garde contre l’arrivée d’un modèle de santé régulé par le seul marché. Pour conclure, deux regards «perspectifs». D’abord, la méthode de financement des prestations de soins «au forfait» ou «à l’objectif», présentée par Jacques Morel, ne devrait-elle pas être envisagée à plus grande échelle, alors que le financement «à l’acte», plaque tournante du système de remboursement belge, incline peu à la prise en charge globale des patients ? Ensuite, Patricia Kirkove et Georges Grinberg montrent en quoi le principe des «bassins de soins», par son idée de concentration fonctionnelle de l’offre hospitalière, pourrait répondre à certains maux endémiques du système de soins actuel. Enfin, d’un point de vue décalé, Michel Dupuis, a disséminé ici et là quelques clins d’œil éthiques pour prolonger la réflexion. Ce Thème a été coordonné par Jérémie Detober et Thierry Poucet.