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Le chagrin des socialistes

Nous en connaissons tous, des mandataires socialistes qui n’ont rejoint leur parti que pour y faire carrière et qu’un passage à l’opposition, loin des fromages du pouvoir, rendrait malades. Mais nous connaissons aussi des militants, de base ou à des postes de responsabilité, qui ont des convictions de gauche chevillées au corps et qui résistent, dans un climat idéologique pourri, pour que leurs idéaux ne soient pas complètement sacrifiés sur l’autel de compromis déséquilibrés. Parmi eux, beaucoup ont endossé dans le passé des postures plus radicales. Ils y ont renoncé, préférant engranger de petites avancées plutôt que rêver de grandes transformations qui n’arrivent jamais. Ce choix fut longtemps validé. À sa belle époque, le « compromis social-démocrate » ne fit chez nous que des gagnants. Le gâteau de la croissance était alors partagé équitablement entre le capital et le travail en échange de la paix sociale. C’était avant le choc pétrolier de 1973, avant la révélation de la crise écologique, avant la crise bancaire. Depuis, le gâteau a cessé de croître et, avec la mondialisation, l’État national n’est plus le cadre obligé des compromis sociaux. Compte tenu de cette nouvelle scène, une ligne de compromis différente est en train de s’établir sur la base de rapports de force dégradés. Il ne s’agit plus d’avancer, de conquérir de nouveaux droits, de diminuer les inégalités, mais simplement de limiter la casse autant que possible. Pour des socialistes, ce n’est pas glorieux.

« .En 2009., Anne Demelenne déclarait : « Le refus net d’Elio Di Rupo d’une éventuelle coalition avec le MR a été apprécié par les militants de la FGTB ». »

Pourtant, il faut le reconnaître : les ministres socialistes résistent pied à pied au sein d’une coalition fédérale où la droite domine. Jusqu’à nouvel ordre, la régression sociale est moindre en Belgique que dans les pays voisins. Elle est néanmoins réelle, puisqu’aucune mesure ne vient frapper les revenus du capital, dont les menaces de délocalisation font mouche, tandis que les revenus des salariés et des allocataires sociaux sont effectivement écornés. Le compromis social-démocrate est bien dépassé et les modalités de l’action politique qu’il avait façonnées montrent leurs limites. Ne serait-il pas temps de changer de logiciel ? Avant les élections de juin 2009, la FGTB avait résolument appelé à voter socialiste : « Sans les socialistes – et sans le mouvement syndical pour les appuyer – il ne resterait pas grand chose de la sécurité sociale. Et c’est chaque fois contre les libéraux qu’il a fallu mener ces batailles. »[1.« Choisissez le progrès, votez à gauche ! », Syndicats, 29 mai 2009. Appel signé par le Secrétariat fédéral de la FGTB et les directions des centrales professionnelles.]. Dans un entretien accordé alors à Politique[2.« FGTB : soutien sans allégeance », Politique, n°62, décembre 2009.], Anne Demelenne déclarait : « Le refus net d’Elio Di Rupo d’une éventuelle coalition avec le MR a été apprécié par les militants de la FGTB ». Aujourd’hui, les socialistes sont entrés en coalition avec ces libéraux tellement décriés naguère. Mais évidemment, « sans eux ce serait pire ». C’est sans doute vrai. Mais jusqu’où cet argument va-t-il encore servir ? Du coup, des responsables de premier plan de la FGTB et de la CSC sont en train de changer leur fusil d’épaule. Certains à mots couverts, d’autres ouvertement appellent de leurs voeux l’émergence d’une nouvelle force politique à la gauche du PS et d’Écolo. Les derniers résultats électoraux indiquent que, pour la première fois depuis longtemps, un électorat est disponible dans ce sens. Même si la profondeur de l’ancrage populaire du PS reste sans concurrence, même si l’apport d’Écolo au renouvellement de la culture politique est un indiscutable acquis, l’un comme l’autre ont le plus grand besoin d’une sérieuse émulation sur leur gauche. Celle-ci ferait notamment le plus grand bien à tous ceux et à toutes celles qui, au sein de ces partis, ne considèrent pas que la participation au pouvoir dans n’importe quelles conditions politiques est la seule façon de « prendre ses responsabilités ».