Retour aux articles →

Les chemins difficiles de la laïcité plurielle

Le paysage religieux en Belgique s’est profondément modifié depuis les années 1960. À la sécularisation rapide issue de la baisse très importante de la pratique religieuse des catholiques a répondu l’émergence de nouveaux cultes et de nouvelles pratiques. L’immigration a amené le développement de l’islam, mais également de nouvelles églises orthodoxes et protestantes évangéliques, dont de nombreuses églises africaines. Des mouvements cultuels plus marginaux se rencontrent également de plus en plus fréquemment : témoins de Jéhovah, scientologues, mormons… Dans la foulée d’une commission d’enquête parlementaire sur les sectes, dont la liste annexée au rapport aura fait couler beaucoup d’encre et quelques larmes, un Centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles a vu le jour. Il trahit la volonté des pouvoirs publics d’exercer un contrôle ou au moins une surveillance à l’égard de ces mouvements cultuels. Mais cette intrusion des pouvoirs publics dans la sphère religieuse s’opère également à l’égard des cultes reconnus et organisés. Ainsi, les responsables du culte islamique sont depuis longtemps familiarisés avec les contrôles de la sûreté de l’État. Dans le contexte sécuritaire qui s’est installé après septembre 2001, tous les gouvernements occidentaux veillent à garder à l’œil les mouvements religieux qu’ils estiment potentiellement dangereux; mais ils peuvent également aller plus loin, et tenter d’utiliser les ministres du culte, lorsque leur salaire est payé par l’État, comme instruments d’une politique de contrôle social. En Belgique, cette évolution se heurte à l’existence d’un régime légal des cultes très complexe, dont l’origine remonte à l’époque napoléonienne et qui a été conçu essentiellement pour l’Église catholique. Il consacre, d’une part, l’indépendance des cultes vis-à-vis des pouvoirs publics et, d’autre part, leur financement par des deniers publics. Adapter ce modèle au XXIe siècle, en cherchant à prendre en compte la diversité des croyances et l’intérêt de la société dans sa globalité, n’est pas simple. Dans la Belgique fédérale, lorsque la matière est partiellement régionalisée, l’évolution du système devient encore plus compliquée. Elle est cependant nécessaire, indépendamment de la volonté des pouvoirs publics, pour garantir le respect des principes d’égalité entre les citoyens: il ne sera sans doute plus longtemps possible de favoriser un petit nombre de cultes reconnus, au détriment des croyants d’autres confessions. Au-delà de la problématique du financement public, la Belgique est confrontée, comme tous les autres pays européens, à la nécessité de réorganiser son rapport global avec le religieux. Les règles de l’occupation de l’espace public, la place accordée aux responsables religieux lors des cérémonies publiques, la représentativité de ces derniers par rapport à des communautés culturelles et non pas seulement cultuelles, la pertinence de l’organisation d’un dialogue régulier avec les cultes, sont quelques unes des questions qui se posent aujourd’hui à la société européenne dans son ensemble. La première partie de ce dossier est consacrée au régime belge des cultes. Caroline Sägesser en rappelle les fondements, et Jean-François Husson expose le coût budgétaire du financement public des cultes. Eric de Beukelaer et Marc Snoeck posent sur le système les regards respectifs d’un porte-parole de l’Église catholique et d’un responsable laïque. Bernard Wesphael explique pourquoi la Région wallonne n’avance pas dans la voie d’une réforme de la législation sur les cultes, alors qu’un décret flamand a vu le jour il y a plus de trois ans. Enfin, Caroline Sägesser replace notre système dans le contexte des différents régimes des cultes qui existent au sein de l’Union européenne. Le dossier propose ensuite une incursion dans le monde contemporain des cultes. Frédéric Moens analyse les attitudes actuelles face aux croyances et aux pratiques. Laure-Anne Bernès et Hassan Boussetta se penchent sur la deuxième religion la plus importante du pays, l’islam, pour en retracer l’inscription difficile au sein de notre régime des cultes. Francis Renneboog parle des églises protestantes évangéliques, un courant qui connaît une croissance très rapide. L’Union bouddhique belge souhaite obtenir sa reconnaissance par les pouvoirs publics: Bernard de Backer revient sur la présence de cette religion (ou de cette philosophie?) dans notre pays. Henri de Cordès évoque quant à lui la politique des pouvoirs publics à l’égard des organisations sectaires nuisibles. Une série de réflexions à propos de l’inscription des religions dans nos sociétés modernes et démocratiques et de la nature de la relation que les pouvoirs publics doivent entretenir avec elles constituent la troisième partie de ce dossier. François Foret explore les nouveaux contours religieux des sociétés européennes que l’on croyait sécularisées sans voie de retour possible. Henri Goldman aborde la lancinante question des «signes religieux» et de la neutralité de l’État. Enfin, Jean-Paul Gailly dénonce un vrai retour du cléricalisme sous forme de condamnations morales et appelle à la reprise du combat contre l’obscurantisme.