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Roms : chronique d’un succès

Lundi 19 septembre. 72 Roms dont 40 enfants sont réveillées à 5h30 du matin par la police de Schaerbeek Pierre Verbeeren est directeur général de Médecins du Monde-Belgique… Ils dorment sous un abri dehors devant la Gare du Nord, depuis début août pour la plupart d’entre eux sans aide ni de la commune de Schaerbeek ni du CPAS. Celui-ci a bien dépêché sur place ses travailleurs sociaux. Ils ont pu organiser un épouillage et une séance de douches mais n’ont pu prendre connaissance de la situation juridique et sociale des personnes et encore moins de leur assurer l’aide sociale. Le CPAS qualifie publiquement sa mission d’humanitaire et n’assure pas sa mission sociale. La police de Schaerbeek expulse les 72 personnes hors de son territoire. Elle les conduit sur Bruxelles-Ville, dans un parc derrière Fedasil Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile.

Ces propos tranchent avec ceux du délégué général aux droits de l’enfant qui fustige l’indignité de l’opération.

Annoncé à l’avance et assumé comme tel par les autorités communales, cet événement est suivi par plusieurs caméras et génère le jour même une forte indignation médiatique. On voit sur les images une bourgmestre (MR) heureuse du devoir accompli et une présidente de CPAS (Écolo) clamant son incompétence alors qu’elle aurait tellement aimé aider Dominique Decoux, présidente du CPAS de Schaarbeek, a souhaité réagir à cet article. Voir 2186… Ces propos tranchent avec ceux du délégué général aux droits de l’enfant qui fustige l’indignité de l’opération. Médecins du Monde rappelle que ces personnes sont demanderesses d’asile et qu’à ce titre, à défaut d’une aide de Fedasil, elles ont droit à l’aide sociale. Bruxelles-Laïque reste mobilisé comme elle l’était déjà à la gare du Nord. la Ligue des droits de l’Homme, le Ciré, la FGTB bruxelloise expriment eux aussi leur colère et se rendent sur place pour faire le point sur les aides possibles aux familles expulsées. Très rapidement, décision est prise de reconduire ces personnes sur le territoire de Schaerbeek. Rester sur Bruxelles-Ville signifie reprendre à zéro les relations avec les autorités communales alors que plusieurs démarches avaient été entreprises auparavant pour que Schaerbeek assure une aide aux Roms de la Gare du Nord. Un lieu est identifié : il s’agit de la place Gaucheret. Vide de toute circulation automobile, les enfants y seront en sécurité. Mieux, le bâtiment qui y trône, presque comme un hôtel de ville, n’est autre que le service de prévention, d’intégration et de solidarité de la commune : Soleil du Nord, un symbole d’une aide disponible et pourtant interdite. Quarante huit personnes migrent du parc Maximilien vers la place Gaucheret. Les autres disparaissent dans la nature le temps que cela se calme. La commune enjoint la police d’interdire l’accès au bâtiment pourtant totalement adapté (cantine, cuisine, hall où dormir, WC). La commune refuse que Médecins du Monde dresse des tentes et installe des WC et des cabines de douches. Ce faisant, elle organise les troubles de voisinage puisque l’absence de WC ne signifie pas l’absence de besoins. Une présence policière est assurée de jour comme de nuit. La maraude de Saint-Josse et deux trois bénévoles assurent la logistique. Médecins du Monde distribue des couvertures. Le délégué général aux droits de l’enfant installe son bus articulé place Gaucheret pour permettre aux enfants de ne pas dormir dehors. Il passe deux nuits avec eux accompagné du directeur général de Médecins du Monde, d’un représentant de Bruxelles-Laïque et du président de la Ligue des droits de l’Homme. Des citoyens apportent à manger, quelques vêtements et des jeux pour les enfants. Mardi 20 septembre. Le réveil se fait face caméra. La presse, flamande et francophone, condamne unanimement les autorités schaerbeekoises. Le premier revirement vient du CPAS : il prétend apprendre que les SDF sont demandeurs d’asile non européens. Il les croyait européens. À ce titre, continue le CPAS, ils n’auraient pu prétendre à l’aide sociale mais s’ils sont vraiment extra-européens, ils pourraient y avoir droit. Ce jeu de mauvaise foi ouvre donc une solution pour les familles bosniaques ou serbes qui représentent 60% des expulsés de la Gare du Nord. Tout le monde sait que le CPAS se trompe sur les autres 40% à qui la loi permettrait d’accorder l’aide sociale mais on se réjouit d’une première porte ouverte. Pendant ces palabres, Fedasil trouve un logement pour une famille et une autre part pour Liège. La présence policière reste forte. Les services communaux reçoivent l’instruction de ne pas venir en aide aux Roms dormant dehors, de faire accompagner par un gardien de la paix tout adulte ou enfant qui voudrait aller aux toilettes dans la maison « Soleil du Nord ». Les gardiens du parc Gaucheret font semblant de ne pas voir que les sans-abri utilisent leurs toilettes. Les travailleurs sociaux de Soleil du Nord font semblant de ne pas voir que les bénévoles utilisent leurs cuisines. Tout le monde fait semblant de suivre les instructions communales mais rares sont ceux qui en désirent l’application. Mercredi 21 septembre. Notamment avec l’aide de la Maraude de Saint-Josse qui connaît parfaitement chaque famille pour les avoir accompagnées lorsqu’elles étaient à la Gare du Nord et dispose d’un médiateur de culture rom, les non-Européens introduisent une demande d’aide sociale au CPAS. On se rend alors compte que 2 familles d’entre elles avaient déjà fait la démarche le 6 septembre, prouvant que le CPAS était au courant du droit à l’aide. L’installation s’organise. Le quartier s’interroge et de nombreuses personnes se mobilisent. Chacun se demande pourquoi les Roms n’envahissent pas la maison communale « Soleil du Nord » pourtant tout à fait adaptée. Les Roms répondent qu’ils ne veulent rien faire d’illégal. Leur demande est de disposer d’un toit et de pouvoir travailler alors que leur statut de demandeurs d’asile ne le leur permet pas. Mercredi 21 septembre en soirée. 50 personnes assistent à une rencontre de soutien aux Roms dont… le CPAS de Schaerbeek qui se veut rassurant. Mais rappelle qu’il n’est légalement tenu que de répondre dans les 30 jours. Il distribue un communiqué de presse qui demande pourquoi il devrait aider ceux venus d’ailleurs alors qu’il peine déjà à aider ceux venus d’ici. Cette rhétorique est peu appréciée. Quelques noms d’oiseaux volent. Jeudi 22 septembre. Le délégué aux droits de l’enfant demande par lettre aux autorités de Schaerbeek la réquisition d’immeubles vides pour loger les familles. Par après et chaque jour, la commune et le CPAS font l’objet d’une pression soutenue. Quand accordera-t-on l’aide sociale aux familles ? Quand utilisera-t–on le droit de réquisition ? En attendant, n’est-il pas urgent de desserrer l’ostracisme dont font l’objet les familles à la place Gaucheret ? Les réponses sont chaque jour annoncées pour le lendemain. Vendredi 23 septembre. Une association de volontaires appelée « les Petits Samouraïs » emmène les Roms vers un nouveau logement, le Home Van Aa à Ixelles. Le bus du délégué aux droits de l’enfant s’en va faute d’utilité et part en réparation. Apprenant qu’ils ont quitté la commune, le CPAS s’attriste de ne plus pouvoir intervenir alors que tout avait été mis en œuvre pour délivrer l’aide sociale de façon imminente. Or, ce déménagement est un échec. Retour dans la nuit à Gaucheret. Retour à la rue. Le weekend se passe heureusement sous le soleil. RAS. Mardi 27 septembre. On notera trois événements. Le passage très intimidant de la représentante du service d’intégration sociale de la commune ; les menaces proférées aux familles slovaques par de soi-disant représentants de leur ambassade qui se permettent de prendre l’identité de leurs ressortissants et de leur reprocher vertement de salir l’image de leur pays ; et l’annonce par le CPAS d’une première décision d’octroi de l’équivalent aide sociale pour un papa bosniaque seul avec ses 4 enfants. Sans confirmation.

Quarante-trois personnes dont 21 enfants dorment toujours dehors contre le mur du service d’intégration et de solidarité de la commune de Schaerbeek.

Mercredi 28 septembre. Un calicot est découvert dans l’école voisine demandant aux parents d’être prudents parce que la tuberculose aurait été découverte sur la place. Fausse rumeur mais vrais remous. Des fonctionnaires communaux expriment officieusement leur soutien aux Roms. La commune se dit sous la pression de ses services communaux qui n’accepteraient pas qu’on favorise les sans-abri de la place Gaucheret. Quelques Schaerbeekois décident de déposer une interpellation publique du conseil communal dénonçant l’expulsion de la Gare du Nord et réclamant des mesures assurant la dignité des Roms. Quarante-trois personnes dont 21 enfants dorment toujours dehors contre le mur du service d’intégration et de solidarité de la commune de Schaerbeek. Leur nourriture est assurée par la solidarité locale et quelques associations. Jeudi 29 matin. Les soutiens se réunissent sur place et sont fortement interpellés par les Roms. Y a-t-il vraiment une issue possible ? À quoi sert vraiment l’aide qui leur est apportée si c’est pour rester à la rue ? Il faut maintenir la pression. Quelques citoyens soutenus par Bruxelles- Laïque et la Ligue des droits de l’Homme préparent une « Roms Pride » place Gaucheret à l’instar de ce qui se fera le 1er octobre dans plusieurs villes européennes. La commune menace d’abord, annonce qu’elle tolèrera ensuite. Chaque parti politique local est sensibilisé mais le conseil communal se réunit sans aborder la question. Le CPAS fait déposer quelques colis alimentaires. La Roms Pride se déroule paisiblement. La police prend les noms des familles logeant dehors. Des rumeurs de solution perlent ça et là de la chape de silence communale. Une famille expulsée du centre d’accueil de Turnhout rejoint la place Gaucheret. Elle est composée d’un couple et de 5 enfants dont un nouveau-né de 2 mois et une fillette de 7 ans handicapée. Septante personnes dorment désormais contre le mur du service d’intégration et de solidarité de la commune de Schaerbeek. Mercredi 5 octobre. La commune transfère 48 personnes vers un logement réquisitionné sur base de la loi Onkelinx de 1993. Une première à Bruxelles. La famille arrivée le samedi est reprise par Fedasil. Les personnes en rade trouveront une solution temporaire. La victoire est totale. Elle s’accompagne d’une lettre ouverte de la Conférence des 19 bourgmestres de la Région bruxelloise aux autorités fédérales. Elle réclame « des mesures immédiates quels que soient la situation particulière et le statut de chaque personne ». Cette lettre réclame la mise en œuvre du plan de répartition des demandeurs d’asile, c’est-à-dire la solidarité entre toutes les communes. Elle invite les Affaires étrangères à faire respecter le droit international aux pays d’origine. Elle ferait pâlir de jalousie toute organisation à la pointe du progressisme.