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Voiture électrique : la nouvelle arnaque écologique ?

C’est une des forces indéniables du système capitaliste que de partir d’une compréhension fine de nos aspirations pour «se vendre» et continuer à faire tourner à pleine vitesse la machine productive. Notamment aiguisée par des enjeux comme celui du réchauffement climatique, une conscience écologique internationale voit indéniablement le jour (principalement dans les pays «riches»). L’aspiration à ne pas laisser à nos enfants une planète dévastée grandit. Les citoyens cherchent des alternatives de consommation. Intéressés, les acteurs économiques se sont emparés de cette tendance et jouent aujourd’hui à maquiller de vert toutes leurs productions. Au coeur de ce processus, on retrouve l’industrie automobile, et un produit « phare », la voiture électrique. Les véhicules arborant fièrement un «0 gramme émission C02» sur leurs rutilantes carrosseries fleurissent dans les salons automobiles, et bientôt ils déferleront sur nos routes. L’objectif avoué des constructeurs est de couvrir 10% du parc automobile d’ici 2020. Mais, à les ausculter de près, ces voitures sont-elles si écologiques ? Le remplacement de tout ce parc automobile signifie la mise à la casse d’environ 120 millions de véhicules. Or, selon une étude de l’Ademe (Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), le «coût CO2» lié à la fabrication d’une voiture est de l’ordre de 5,5 tonnes de CO2 par tonne. Cela donne donc environ 600 millions de tonnes de CO2 émises pour cette transition technologique dite verte de 10% du parc automobile vers des véhicules électriques. Cela représente 5 fois l’intégralité des émissions annuelles de CO2 d’un pays comme la France.

Les constructeurs automobiles sont dans une situation schizophrénique ; ils parlent d’écologie mais ont d’abord des impératifs de rentabilité à court terme. C’est donc aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités.

La tromperie la plus flagrante réside sans doute dans l’affirmation que ces voitures, ne produisent pas de dioxyde de carbone (CO2). La manipulation publicitaire vient de ce que ces véhicules n’émettent pas de CO2 lorsqu’ils roulent. Toutefois, même si notre pays est parfois orageux, l’électricité ne tombe pas du ciel. Or, pour parcourir en moyenne 150 kilomètres, les véhicules actuellement développés demandent une recharge de 8 heures à une puissance de 3000 watts, soit 0,16kWh/km KWh/km = énergie électrique (exprimée en kilowatt heure) nécessaire pour parcourir 1 kilomètre) et même un peu plus pour les systèmes de recharge rapide. Pour un pays fortement «nucléarisé» comme la Belgique, les chiffres officiels de l’AIE font état de 290gCO2/kW gCO2/kW = nombre de grammes de CO2 émis en moyenne pour produire 1 kWh , soit une émission de près de 60gCO2/km gCO2/km = nombre de grammes de CO2 émis en moyenne pour parcourir 1 kilomètre. Au niveau mondial, les deux tiers de l’électricité proviennent de centrales à charbon, au fioul ou au gaz fortement émettrices de CO2. En conséquence, selon une autre étude de l’Ademe publiée en juillet 2009, le bilan CO2 du véhicule électrique (126gCO2/km) est en fait à peine meilleur que celui d’un véhicule classique (161 gCO2/km en 2008 alors que les moteurs thermiques sont encore améliorables). On le voit, il y a encore beaucoup de gris dans ces voitures vertes. Par ailleurs, il faut produire cette électricité supplémentaire. Pour un système de recharge rapide et 15 000 kilomètres par an (distance moyenne parcourue par une voiture en Belgique), on doit compter 3000kWh/an par véhicule. Pour remplacer le parc automobile belge (6,5 millions de véhicules), il faudrait produire 23 TWh/aniv pour une production actuelle de 85 TWh/an. Cela représente une augmentation colossale de pratiquement 30%. Un autre souci des véhicules électriques est le stockage de l’énergie dans des batteries. Celles-ci comportent des produits (comme le carbonate de lithium) aux réserves (pour les types d’extraction aujourd’hui technologiquement pratiqués) limitées et concentrées dans quelques pays. On évalue à seulement 10 à 20 millions de tonnes les réserves mondiales de lithium, des réserves par ailleurs convoitées par d’autres «clients» puisque l’on retrouve des batteries au lithium dans les ordinateurs et téléphones portables, les GPS… En quelques années, le lithium a vu son prix exploser, passant de 350 à 3000 euros la tonne. Si elles sont en partie recyclables, la durée de vie de ces batteries est par ailleurs limitée (environ 50 000 kilomètres). Il faudrait donc en changer 2 ou 3 fois sur la durée de vie moyenne d’un véhicule. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt potentiel des véhicules électriques, lesquels présentent quelques avantages indéniables (pas d’émission de particules fines, réduction des pollutions sonores…), mais de mettre sérieusement en perspective la dénomination de «voiture verte» avancée par l’industrie automobile. Les constructeurs automobiles sont dans une situation schizophrénique ; ils parlent d’écologie mais ont d’abord des impératifs de rentabilité à court terme. C’est donc aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités. Il faut exiger des véhicules moins gourmands en carburant (moins motorisés et plus légers) mais surtout plus durables. Augmenter la durée de vie d’un véhicule de 50 000 km peut diminuer d’un quart l’émission de CO2 par kilomètre liée à la production du véhicule. Par ailleurs, il est essentiel de ne pas oublier que plus verte des «voitures», c’est le transport en commun (en particulier le tram et le train) et le vélo pour les trajets plus courts. Pour chacune de ces alternatives, on ne peut que regretter le retard pris par la Wallonie, où le réseau ferré est moins étendu aujourd’hui qu’au XIXe siècle, où un véritable transport en commun structurant se fait désespérément attendre dans les grandes villes (comme le tram à Liège) et où les sites propres cyclables sont quasi inexistants.