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Proposition pour un héritage plus égalitaire : augmenter le taux de taxation

(Didier Weemaels. Unsplash)
(Didier Weemaels. Unsplash)

Un si bel impôt… si mal aimé ! Du point de vue économique, imposer la richesse au moment de sa transmission à la génération suivante est pourtant l’une des meilleures façons de financer les dépenses de l’État, tant du point de vue de l’équité, puisque cela favorise la justice sociale, que de l’efficacité, puisque cela augmente le PIB. Malgré tous ces avantages, ce type d’impôt est abandonné par nombre de pays. Et là où il existe, il présente un piètre rendement et jouit d’un faible soutien populaire.

Les enquêtes d’opinion confirment la mauvaise réputation de l’impôt sur la succession1. Elles montrent aussi que les gens surestiment le taux de prélèvement, surtout quand il s’agit de la ligne directe. Il existe deux raisons à cette impopularité et cette méconnaissance. D’une part, il est sans doute celui qui a la plus forte iniquité horizontale, entendant par-là que des familles également fortunées paient des impôts fort différents. À richesse égale, ceux et celles qui détiennent des actifs financiers se soustraient à l’impôt plus facilement que les propriétaires fonciers. Ensuite, les gens voient dans cet impôt une interférence insupportable avec les choix familiaux. Ce sentiment est renforcé aux États-Unis par un lobbying intense.

En dépit de cela, les droits de succession par comparaison à d’autres prélèvements obligatoires ont des avantages évidents. D’abord, ils permettent de lutter contre la croissance des inégalités patrimoniales dénoncée notamment par Thomas Piketty. En outre, ils garantissent une certaine mobilité sociale, laquelle tend à diminuer depuis plusieurs années, entraînant ainsi dans une partie de la population un sentiment d’exclusion. Outre cet argument d’équité, les droits de succession sont aussi un impôt efficace. En effet, ils ont peu d’effets désincitatifs (découragement de l’effort et de l’épargne) sur les agents économiques, surtout quand les héritages résultent d’une mort prématurée.

Est-ce à dire qu’ils ne doivent pas être réformés ? Non, et ce pour plusieurs raisons.

Alors que dans la plupart des pays, les donations sont soumises à des taux d’imposition assez élevés, en Belgique leur traitement est extrêmement favorable.

D’abord, il faudrait supprimer la plupart des exonérations qui conduisent à l’iniquité horizontale évoquée plus haut.
Ensuite, tout en gardant une différence de taux entre lignes directe et indirecte, davantage de liberté de tester devrait être donnée. Deux réformes nous semblent particulièrement urgentes. En Belgique, l’avantage donné aux donations prématurées sur les legs traditionnels est exagéré, bien plus fort que dans les autres pays. Autre anomalie caractéristique du système belge : le montant de richesse qui peut être exonéré des droits de succession est nettement plus bas que dans la plupart des autres pays.

Le traitement des donations

Dans la plupart des pays, les donations sont moins imposées que les successions. Ce fait repose sur deux raisons. D’abord, la plupart des successions se font au profit d’héritiers qui ont plus de 50 ans, un âge ou leurs besoins de liquidités sont moins forts qu’au début de leur vie active. Ensuite, les motivations sous-jacentes aux donations sont plus altruistes que celles qui expliquent les successions en fin de vie. Cela implique que les donations sont beaucoup plus sensibles à l’impôt que les successions et donc devraient être moins imposées du point de vue de l’efficacité économique. En revanche, on observe que les donations sont concentrées sur les ménages les plus fortunés, et, à cet égard, moins les imposer serait anti redistributif.

Alors que dans la plupart des pays, les donations sont soumises à des taux d’imposition assez élevés, bien qu’inférieurs à ceux des successions, en Belgique leur traitement est extrêmement favorable, à tel point que l’expression anglaise « impôt pour les stupides » à propos des droits de succession prend toute sa pertinence.

Nous prendrons la Région wallonne comme exemple, les deux autres régions du pays ayant des régimes légèrement différents. On y distingue deux types de donations. Il y a d’abord les donations non enregistrées qui permettent de réaliser une donation mobilière (comme un meuble, un tableau, de l’argent, une voiture…) sans devoir payer de taxe. Toutefois, si le ou la donataire décède dans les cinq ans qui suivent la donation, ce qu’il ou elle a donné sera repris dans la succession. Il ou elle devra alors payer des droits de succession.

En revanche, lorsque la donation est enregistrée, le risque de devoir payer des droits de succession disparaît, mais il faut payer des droits de donation. Ceux-ci restent nettement moins élevés que les droits de succession : 3,3 % pour les donations en ligne directe, entre époux et entre cohabitants légaux et 5,5 % pour les donations entre toutes autres personnes. Le délai de cinq ans ne tient plus pour le calcul des droits de succession. En d’autres termes, jusqu’à la fin de sa vie, le donateur ou la donatrice peut éluder les droits de succession quelle que soit la somme donnée à condition qu’elle soit enregistrée.

Ce régime est difficilement défendable.
Il n’incite pas les parents à céder leur patrimoine à leurs enfants quand ceux-ci en ont le plus besoin et il permet aux plus grosses fortunes de se léguer en fin de vie au taux dérisoire de 3,3 %. Une réforme raisonnable serait d’augmenter le délai de cinq ans à une période de dix ans et d’appliquer à toutes les formes de donations un taux progressif certainement plus élevé que 3,3 %.

Plutôt que donations et successions, il serait préférable de distinguer les droits de succession selon la durée de
vie des donataires.

Ajoutons à cela le fait que l’espérance de vie des plus fortunés est nettement plus élevée que celle des classes moyennes inférieures. En conséquence, pour ceux et celles qui ont une vie courte, donation et succession se confondent. On pourrait de ce fait défendre l’idée suivante : plutôt que de distinguer donations et successions, il serait préférable de distinguer les droits de succession selon la durée de vie des donataires. Ceux qui meurent prématurément seraient soumis à un impôt relativement faible, pour compenser le fait d’avoir eu une vie si brève.

L’abattement

En Belgique, l’héritier en ligne directe, le conjoint ou le cohabitant légal de la personne décédée ne paye pas de droits de succession sur la première tranche de 12 500 euros qu’il ou elle recueille personnellement dans la succession. Il existe une exonération supplémentaire pour l’héritier en ligne directe qui reçoit moins de 125 000 euros ou qui est mineur. Quoiqu’il en soit, cet abattement est un des plus faibles qui soient. En France, l’abattement pour des successions en ligne directe est de 100 000 euros2. Aux États-Unis, où l’impôt porte sur l’ensemble de la succession, et non les montants hérités par chacun, l’abattement est de plus de 20 millions de dollars, ce qui réduit le nombre de successions imposées à une infime minorité, celle des plus riches.
De ce fait, la Belgique est de loin le pays de l’OCDE ayant le plus grand nombre de successions touchées par l’impôt : 48 % alors que ce n’est que 10 % en Allemagne et 0,2% aux États-Unis pour l’année 2019. Il nous semble donc indispensable de relever le montant de cet abattement, pour éviter à des foyers modestes d’être soumis aux droits de succession qui, de toute façon, rapportent peu.

Taxer davantage les morts tardives

Les droits de succession dans les pays où ils existent sont indépendants de l’âge du donataire. Or, on considère souhaitable de vivre aussi longtemps que possible ; en d’autres termes, une mort prématurée est pénalisante. Si l’on veut assurer une certaine équité entre les personnes de longévité différente, il convient de permettre à ceux et celles qui décèdent prématurément de laisser plus de patrimoine à leurs proches, que les personnes qui décèdent tardivement. Ceci sous-entend que l’utilité du défunt est d’autant plus élevée que le legs qu’il ou elle laisse à ses héritiers est important. Favoriser ainsi ceux et celles qui ont la malchance de décéder prématurément est plus défendable, puisqu’à la différence des personnes qui vivent longtemps, ils et elles n’ont pas l’opportunité de réaliser anticipativement des donations, dont la fiscalité est généralement plus légère.

Il existe un autre argument qui va dans le même sens d’une fiscalité plus légère pour ceux et celles qui meurent prématurément. C’est l’argument qui prend en compte la présence de survivants sans ressources, typiquement l’époux ou l’épouse au foyer et des enfants mineurs. Cette présence est d’autant plus probable que la personne décède prématurément. Il est peut-être préférable de ne pas taxer sa succession trop lourdement, alors que le problème ne se pose pas pour des âges plus avancés.

Trois réformes sur la voie de l’égalité

Une réflexion d’ensemble sur notre système fiscal en matière de successions et de donations semble donc nécessaire. D’abord, il conviendrait de relever les exonérations afin de ne toucher que les successions élevées et d’épargner ainsi les classes moyennes dont le patrimoine se réduit le plus souvent à une modeste habitation. Ensuite, il faudrait que toute donation faite moins de cinq ans avant la mort du donataire soit soumise aux droits de succession applicables. Enfin, on pourrait envisager des droits de succession qui augmenteraient avec l’âge du donataire. Cela permettrait de compenser les familles qui perdent un parent prématurément.