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Culture du viol, zones grises, justice…

Octobre 2017. Sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #metoo, des milliers de témoignages à travers le monde dénoncent le harcèlement et les agressions sexuelles contre les femmes.
Par son universalité, le grand nombre de dénonciations et la diversité des victimes, l’ampleur du phénomène est manifeste.
Le mouvement provoque une certaine prise de conscience. Des femmes se découvrent victimes, des hommes « qui ne se rendaient pas compte » tombent des nues. Être qualifié·e de féministe n’est plus tout à fait une insulte…

Il y aura un avant et un après #metoo. Dans les milieux féministes, on ne parle pas de libération de la parole – car les femmes ont toujours raconté ce qu’elles vivaient – mais d’écoute : on écoute les femmes plus attentivement depuis fin 2017. Si l’écoute semble donc aujourd’hui doucement faire son chemin dans certains esprits (masculins), ces derniers restent néanmoins fortement formatés par le patriarcat, l’oppression ou la domination masculine. Cette domination structurelle n’est plus à démontrer. Les agressions sexuelles dont sont victimes les femmes constituent, depuis des siècles, un des produits de cette domination.

« Mon corps m’appartient », « Quand c’est non, c’est non » sont autant de slogans qui revivent depuis 2017. Parce que rien n’a changé, ou si peu ? Si certaines choses ont évolué, le corps des femmes – ou non viril – reste un espace à disposition, à conquérir et à posséder. D’ailleurs le manifeste des féministes en mouvement nous rappelait en 2012 : « Les violences faites aux femmes sont une question politique. Qu’il s’agisse d’un viol, d’un viol conjugal, d’une agression sexuelle sur le lieu de travail […], dans tous les cas, ce qui se joue, c’est le contrôle d’un corps de femme par un homme. Ce contrôle existe depuis toujours, dans toutes les sociétés, et structure en profondeur l’ensemble des rapports femmes-hommes sur la planète[1.Mais qu’est-ce qu’elles veulent encore ! Manifeste des
féministes en mouvements, Les Liens qui libèrent, 2012, p. 41.]. »

Bref, comme le rappelle le célèbre slogan qui refait également surface depuis deux ans, « le privé est politique » et il s’agit donc d’en parler. L’« électrochoc » de l’automne 2017 pose un grand nombre de questions sur les rapports entre hommes et femmes.
Parmi celles-ci, un concept se détache (sexuel). La notion de consentement sexuel apparaît au grand jour dans les années 1980.
L’affaire Tonglet Castellano, du nom de deux jeunes touristes belges victimes de viol sur la Côte d’Azur en 1974, n’y est pas pour rien. Le procès a lieu en 1978 dans une grande effervescence. La partie civile est rudement prise à parti, la presse médiatise l’affaire, le mouvement féministe n’est pas en reste. Gisèle Halimi est l’avocate des deux jeunes femmes. La gravité du viol et de ses répercussions sur les victimes frappent les esprits. Cette affaire aboutira au vote d’une nouvelle loi qui punira beaucoup plus sévèrement le viol en France.
En Belgique, le droit ne reconnaissait pas le consentement de la victime dans la définition du viol avant 1989. La fin du « devoir conjugal » (soit l’autorisation du viol entre époux) a également et seulement 30 ans… En 2018, 23 pays européens ne définissaient toujours pas le viol comme un acte sexuel non consenti par la victime[2.Amnesty International Belgique, « Violences faites aux femmes : des lois dépassées en matière de viol partout en Europe », 28/11/2018 : https://urlz.fr/amJe].

Difficile de ne pas en faire un sujet politique…
Le consentement est un concept. Lui donner une définition claire est donc chose peu aisée. Tacite, éclairé, contraint, mutuel, implicite… il y a beaucoup de formes possibles de consentement. Geneviève Fraisse, philosophe, féministe et auteure de Du Consentement (publié
en 2007 au Seuil et reparu en 2017 dans la vague #metoo #balancetonporc) explique : « Le consentement a un double sens : soit je décide, je choisis, j’adhère ; soit j’accepte […], je n’ai pas pu faire autrement que consentir. Cette double définition fait toute l’ambivalence, l’ambiguïté et la zone d’ombre qu’il va y avoir dans le consentement[3.Voir « La notion de consentement, c’est ça », Brut : https://urlz/aoBm]. »
Cette zone d’ombre, plus communément présentée – et fort discutée depuis 2017 – comme « zone grise », est intimement liée au consentement et se retrouve donc logiquement au cœur de ce dossier. Compliment sur l’apparence physique, envoi de SMS érotiques, proposition insistante pour coucher, où se situe le consentement, où commence le harcèlement, voire l’agression ? Au-delà des actes non appropriés, voire carrément condamnables, réfléchir au consentement c’est travailler à la reformulation des relations entre les sexes, dans l’intérêt de tous les sexes. G. Fraisse rappelle : « Il faut que le consentement devienne un partage entre les sexes et entre sexes pour qu’on n’ait pas encore cette représentation en tête qui est que ce sont les femmes qui consentent, les hommes eux ont d’autres moyens de se battre ou d’exprimer ce qu’ils ont a dire ou à désirer. C’est un imaginaire aussi qu’il faut transformer et pas seulement des lois. »

L’idée de ce dossier est donc de tenter de mieux cerner les contours de ce concept encore assez peu connu (sauf des féministes) et les enjeux qu’il charrie. Nous avons fait le choix de mettre en avant plusieurs récits de vie dans ce dossier car ces derniers sont beaucoup trop souvent invisibilisés. Parmi ceux-ci, deux témoignages d’hommes homosexuels peuvent étonner au milieu d’un dossier essentiellement genré. La raison en est simple : le consentement sexuel ne se pose simplement pas uniquement qu’entre hétérosexuels.
On notera aussi que parole est donnée à différents féminismes, non pas dans l’idée d’exacerber leurs divergences (« ces femmes qui se disputent », à la manière masculiniste), mais pour montrer les dialogues possibles. De fait, les féministes qui s’expriment dans le dossier ne se contredisent pas ou bien peu.

Le consentement est un concept de plus en plus vulgarisé qui demande à être questionné. Pour ce faire, le présent dossier est construit en deux parties : la première, Turbulences, fait l’état des lieux, la seconde, Transformations, s’attache à décrire les solutions proposées par différents mouvements féministes contre les violences sexuelles.

Turbulences

Dans la première partie du dossier, Roxane Chinikar, formatrice en autodéfense et collaboratrice du projet Espaces publics (de l’ASBL Garance), attaque la question même du consentement libre. Existe-t-il ? Quelles sont les limites subjectives ? Elle défend l’idée qu’appréhender le consentement comme un concept abstrait et non une pratique risque d’individualiser les rapports sociaux de domination et par conséquent, lui donner un caractère néolibéral. Pour approfondir cette question, Valérie Loetvoet, dans une entrevue,
déclare que le consentement est un concept consensuel « qui n’est pas un bon outil pour le féminisme ». D’après elle, il serait bien mieux de s’interroger sur le désir des femmes au lieu de réfléchir en termes de consentement.
L’entretien avec Noémie Renard, chercheuse en biologie et auteure de l’ouvrage En finir avec la culture du viol, apporte une analyse fine du consentement tout en présentant les différents points de vue présents chez les féministes. Cette entrevue permet ainsi de mettre en exergue les différents avis présentés dans les deux premiers articles.

Parce que le manque de consentement caractérise le viol, un article de l’association SOS viol rappelle que la plupart des viols sont commis par des proches, ce que les statistiques des plaintes ne révèlent pas. Pour parler des viols conjugaux, l’auteure préfère parler de violences sexuelles au sein d’un couple (qui comprend les couples d’expartenaires). Elle appuie sur les difficultés de parler du viol d’autant plus quand ceux-ci sont les faits d’un être aimé ou d’une personne avec laquelle l’on a construit sa vie. Elle déconstruit pour cela la notion de « devoir conjugal » et dénonce de ce fait qu’au sein des couples les rapports sexuels forcés nécessitent moins de contraintes physiques.
Pour conclure cet état des lieux, Camille Wernaers et Jérémie Detober rapportent les débats survenus à la suite du #metoo et du #balancetonporc, principalement autour des notions de « délation » et de « présomption d’innocence ».
Si le manque de consentement caractérise le viol, qu’en est-il du concept de « zone grise » – cette zone dite d’entre-deux où s’imbriquent comportements sexuels acceptables et pratiques problématiques – qui bien que critiqué semble utile dans certaines situations. Pour aborder cette notion, deux femmes au travers du récit d’expériences intimes, discutent de l’usage qu’elles font de la zone grise, de son intérêt et de ses dangers.
Dans une perspective intersectionnelle et pour faire le lien entre l’état de lieux sur le consentement établi par des travailleuses sociales et les récits d’expériences individuelles, nous ajoutons quatre témoignages anonymes qui racontent ladite zone grise, le viol et le consentement.

Transformations

La deuxième partie présente des solutions qui sont actuellement portées par les milieux associatifs féministes en Belgique. Fabienne Bloc ouvre cette deuxième manche en parlant des missions de l’Evras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle). Elle propose de valoriser la conscientisation du désir féminin. S’ouvre alors la discussion sur les mesures à prendre face aux agresseurs. Irène Kaufer, pour Garance, développe les possibles options entendues chez les féministes et est résolument pour la prévention. Béa Ercolini, de l’association Touche pas à ma pote, défend quant à elle la loi « sexisme », en argumentant que ce qui n’est pas interdit est permis. Face à cette position, on retrouve l’entrevue de Françoise Vergès, politologue et auteure de Un féminisme décolonial. Elle explique à force d’arguments l’impossibilité pour elle d’être féministe et de soutenir le système carcéral héritier d’institutions aux pratiques racistes, sexistes et classistes. Il faudrait selon elle valoriser ce qu’elle appelle « un féminisme transformateur ». Camille Wernaers rapporte elle les différents moyens mis en place aux États-Unis, en Suède et en Belgique pour s’assurer du consentement des partenaires sexuelles.
Enfin, des dessins originaux de l’illustratrice Odile Brée parsèment ce dossier.

Ce dossier a été coordonné par Hamza Belakbir, Jérémie Detober, Camille Wernaers et Yasmina Zian.