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État islamique et forum nucléaire

Les penseurs de la démocratie ne sont pas tous d’accord sur les principes fondamentaux qui l’animent et surtout sur la hiérarchie entre ceux-ci, mais tous reconnaissent qu’au-delà, c’est une certaine dose d’incertitude, d’indétermination, de possibilité d’intervenir sur notre futur qui traverse et relie ces derniers. Si d’aucuns privilégient la liberté de la presse, la liberté d’entreprendre et surtout la liberté de penser, d’autres penseront d’abord à l’égalité, à la justice sociale, à la juste redistribution des richesses, conditions indispensables pour être ensuite libre, pour pouvoir penser, entreprendre, etc. Les principes retenus et l’ordre d’importance varient d’un auteur à l’autre mais tous s’accordent sur un fil conducteur qui relie ce qui précède : la démocratie est un régime politique qui autorise le changement dans de multiples domaines (lois, normes, valeurs, mœurs, perception de l’histoire, perception du juste…). Bien conscient de cette difficulté dans la perspective de la révolution américaine, Thomas Paine indiquait qu’il fallait trouver un système suffisamment solide pour survivre aux contrerévolutions mais pas trop pour que nos enfants puissent le changer. On doit pouvoir façonner le monde et peser sur notre avenir mais, à défaut de pouvoir revenir en arrière, il faut que le système puisse être modifié, adapté et qu’à certains égards les générations futures puissent aussi bénéficier d’une « feuille blanche » pour tracer leur destin[1.La citation exacte de Thomas Paine : « Chaque siècle, chaque génération doit avoir la même liberté d’agir, dans tous les cas, que les siècles et les générations qui l’ont précédé. ».].

Si Jésus avait enterré des déchets .nucléaires. dans son jardin, on devrait encore aujourd’hui payer un équivalent temps plein pour surveiller le site et le protéger contre des terroristes ou des ennemis mal intentionnés, et on ne serait qu’au 1/3 voire au 1/5 du temps écoulé avant que ces déchets ne représentent plus de danger pour la santé.

Ce raisonnement anime la réflexion sur l’Union européenne. À bien des égards, on nous la présente comme désormais inéluctable – et donc peu démocratique –, et il faut reconnaître qu’il est difficile d’imaginer un retour en arrière radical, au sens de ce qu’a pu être le continent avant la déclaration de Schuman le 9 mai 1950. Ministre des Affaires étrangères français, il proposait la création d’une Communauté européenne dont les pays membres mettraient en commun leur production de charbon et d’acier…, une Europe très très réduite dans ses prérogatives et ses ambitions. Même l’extrême droite ne souhaite pas aujourd’hui revenir si loin en arrière. Le raisonnement de Thomas Paine anime également le débat sur le réchauffement climatique. En effet, à quoi bon s’étendre dans des débats pédants sur la nature profonde de la démocratie si de toute façon l’état de la planète dans quelques dizaines d’années exigera une gestion autoritaire des ressources, et donc des populations. Quel est l’intérêt de bénéficier de la liberté d’expression et de participer à des élections libres si le gros de l’agenda politique, demain, consistera à organiser la survie d’une population perdue sur une planète désormais peu hospitalière. Le Forum nucléaire a une solution : l’énergie du même nom, moins dangereuse pour le réchauffement climatique que l’utilisation de combustibles fossiles ! C’est vrai, et c’est un des arguments qui revient le plus souvent lorsqu’on parle de l’avenir de nos centrales. Cela dit, le fantôme de Thomas Paine reste omniprésent. Car s’il y a bien quelque chose que nous laisserons à nos descendants pendant des milliers d’années, ce sont des déchets nucléaires. Non seulement on impose à des centaines de générations futures le financement de ce type de politique, mais de surcroît ils ne pourront jamais revenir en arrière, ils pourront juste arrêter d’accumuler des déchets, ils ne pourront pas s’en débarrasser. C’est ce qu’on appelle du temps long ! Si Jésus avait enterré des déchets dans son jardin, on devrait encore aujourd’hui payer un équivalent temps plein pour surveiller le site et le protéger contre des terroristes ou des ennemis mal intentionnés, et on ne serait qu’au 1/3 voire au 1/5 du temps écoulé avant que ces déchets ne représentent plus de danger pour la santé. Un équivalent temps plein pendant 6000 ans ? Il faudrait plus, peut-être une centaine de gardiens par site, et c’est ce qui nous amène à l’État islamique et à une question toute simple : que serait-il arrivé si la Syrie ou l’Irak avait enfoui des déchets nucléaires sur les zones aujourd’hui contrôlées par l’État islamique ? La réponse est dans la question. Elle montre que personne ne peut garantir sur 10 000 ans, et même 1000 ans, la stabilité d’un État ou d’une zone géographique, et qu’à ce titre ces déchets sont des armes en puissance extrêmement dangereuses. Au même titre que les centrales à l’arrêt pour cause d’accident, hyper-contaminées, recouvertes d’un sarcophage, comme à Fukushima au Japon (en construction), ou à Tchernobyl dans ce pays si apaisé et si stable qu’est l’Ukraine.