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Recentrage ou union des gauches ? Le choix du PS
16.07.2024
La séquence entamée le 9 juin avec les élections fédérales et régionales en Belgique et qui s’est poursuivie avec les scrutins législatifs au Royaume-Uni et en France offre une série d’éclairages importants sur les stratégies de conquête du pouvoir par la gauche.
François Perl travaille notamment comme expert pour l’Institut Émile Vandervelde. Il s’exprime ici à titre personnel, en tant que membre du Collectif éditorial de Politique.
Les résultats de ces trois moments électoraux sont contrastés : la gauche essuie globalement une défaite en Belgique (malgré des situations qui varient selon les partis et les régions), obtient une première place mais difficile à exploiter en France et un succès franc et massif au Royaume-Uni.
Une lecture rapide des résultats français et britanniques pourrait nous amener à des réponses rapides aux réflexions stratégiques que le Parti Socialiste va nécessairement devoir engager, après les communales du 13 octobre 2024, pour se remettre progressivement en ordre de marche en prévision des prochaines élections qui ne sont pas prévues avant 2029 (sauf renversement au fédéral).
Lesdits résultats offrent une double perspective :
1°/ L’hypothèse d’un recentrage, à l’image de l’opération réalisée par Keir Starmer au Royaume-Uni ;
2°/ La construction d’une union des gauches à partir de l’expérience de la NUPES et du Nouveau Front Populaire (NFP) en France.
Si la première option n’a pas encore été privilégiée, la seconde a clairement été rejetée par Paul Magnette qui déclarait, peu avant le premier tour des élections législatives en France, que : « chez nous, l’union des gauches est une machine à perdre ».
L’illusion d’un recentrage
Le recentrage du Labour, réalisé de manière aussi rapide qu’autoritaire par Keir Starmer, procède d’une double logique :
- Le retour aux recettes blairistes pour permettre au Labour de mordre sur l’électorat des Tories et obtenir des victoires significatives dans des circonscriptions perdues lors des scrutins précédents ;
- La liquidation de l’héritage de Jeremy Corbyn qui, empêtré dans son incapacité à lutter contre l’antisémitisme structurel d’une franche du Labour, a été dans l’incapacité de capitaliser à la fois sur des résultats électoraux plus que décents et une plate-forme politique qui rompait justement avec le blairisme.
La logique arithmétique est difficilement contestable : dans un scrutin à la proportionnelle, Keir Starmer n’aurait pas fait mieux que Jeremy Corbyn.
Le «raz de marée » du Labour aux élections du 4 juillet 2024 mérite cependant une analyse plus fine. Comme le souligne le politologue Philippe Marlière : « Le Labour a remporté une majorité absolue en gagnant moins de voix qu’en 2017 car son total de voix a augmenté dans les circos remportées qui étaient détenues par les Tories ou le SNP, mais en a beaucoup perdu dans ses bastions où il avait une avance insurmontable. ». Par ailleurs, l’effondrement des Tories doit globalement autant à cette stratégie de conquête de l’électorat modéré par le Labour que par la concurrence du nouveau parti de Nigel Farage, Reform UK, qui, dans le contexte d’un scrutin uninominal à un tour, a privé les conservateurs de voix essentielles dans les circonscriptions gagnées au Labour (notamment dans le nord de l’Angleterre) en 2017 et en 2019. La logique arithmétique est difficilement contestable : dans un scrutin à la proportionnelle, Keir Starmer n’aurait pas fait mieux que Jeremy Corbyn. Cette victoire du Labour découle davantage d’éléments du contexte politique britannique que de solutions transposables comme le recentrage d’un discours (ou en l’occurrence, le retour aux recettes de la « troisième voie »1).
Si la question du recentrage du PS sera sans aucun doute posée, les dynamiques politiques propres à la Wallonie et à Bruxelles n’invitent pas à une telle option. D’abord parce que le centre politique reste, dans l’espace politique de la Wallonie et de Bruxelles, occupé traditionnellement par la démocratie-chrétienne. Le succès des Engagés aux élections du 9 juin démontre, au-delà d’un renouvellement autant cosmétique qu’idéologique, que cette réalité est encore bien ancrée dans les habitus2 politiques francophones.
Ensuite parce que le PS opère d’ordinaire un mouvement « naturel » vers le centre lorsqu’il entre dans des coalitions, a fortiori lorsque celles-ci sont le fruit de compromis politiques avec des partis de droite. L’intérêt (ou plutôt l’absence d’intérêt) pour le PS à recentrer son discours doit donc être analysé à partir de ce mécanisme qui met déjà naturellement en tension l’idéologie et la pratique du pouvoir.
Enfin, si la campagne du PS a été résolument offensive sur une série de marqueurs de la gauche (comme la taxe sur les millionnaires), le discours d’ambiance se voulait essentiellement responsable (les slogans « solide et solidaire » et « nous l’avons dit, nous l’avons fait » le confirment). Le marqueur principal du PS à l’égard du PTB se situe, en réalité, plus dans la capacité à gouverner (et à obtenir des gains politiques) que dans la surenchère idéologique. Ce n’est pas parce que ce récit politique (adroitement « raconté » par le MR et par les Engagés) a été, en grande partie, validé par une partie de la presse qu’il correspond à une réalité tangible.
Par ailleurs, d’un point de vue programmatique, le PS n’a jamais vraiment lorgné vers le Labour (en dehors d’un assez bref « moment blairiste » opéré à la fin de la présidence de Philippe Busquin et au début de celle d’Elio Di Rupo, à une époque où le chef des Travaillistes britanniques faisant encore un peu rêver à gauche). Son ADN le rapproche plus des socialistes du sud de l’Europe que du Labour ou de la social-démocratie danoise (qui est une source d’inspiration assumée de Vooruit).
L’union des gauches : une machine à perdre ?
L’autre grand sujet de discussion dans le landerneau de la gauche francophone est celui de l’alliance entre le PS, Ecolo et le PTB en vue de la conquête du pouvoir.
Cette union est un imaginaire politique puissant qui remonte régulièrement à la surface, notamment lorsque la gauche française parvient à unir ses forces. On se souviendra des assises pour l’égalité et des convergences de gauche, deux moments de politiques importants intervenus en Wallonie et à Bruxelles, au début des années 2000, dans la foulée du succès de la gauche plurielle en France.
Le NFP (faisant suite à la NUPES), en miroir de l’incapacité présumée de la gauche francophone à « réaliser l’union », sert de levier à celles et ceux qui pensent qu’une alliance pré électorale entre les 3 composantes de la gauche wallonne et bruxelloise pourrait permettre de « renverser la table ».
Le premier obstacle à cette idée se trouve dans la perception que l’on peut avoir des résultats électoraux du NFP.
Sur le plan purement mathématique, l’union de la gauche en France ne donne pas de meilleurs résultats que la présentation de listes distinctes.
Lors des élections européennes du 9 juin 2024 (un scrutin à la proportionnelle), les 3 partis composant le NFP totalisent 29,2% des suffrages. Lors du premier tour des élections législatives, le total des candidatures uniques présentées par ces 3 partis correspond à 27,9% des suffrages.
Si on se fie à cette logique mathématique, l’union de la gauche en France ne donne pas de meilleurs résultats que la présentation de listes distinctes. Les considérations à la base de la création du NFP sont ailleurs. Elles sont doublement existentielles : l’imminence du risque de prise du pouvoir par l’extrême-droite et le scrutin majoritaire à deux tours qui, dans la période actuelle, est en frein à la diversité des candidatures. Elles sont donc intrinsèquement liées au contexte français et non transposables dans nos contrées. Le scrutin proportionnel n’est pas un frein structurel à la composition de majorités de gauche comme l’est le scrutin majoritaire, ce qui doit nous amener à réfléchir à l’utilité d’un cartel électoral dans ce contexte, notamment au risque, avéré, de déperdition des voix inhérent à ce genre de cartel.
Les enjeux sont ailleurs
L’enjeu principal pour le Parti Socialiste, et pour les autres formations de gauche, est de se (re)mettre en condition de gagner les élections. Ce que, ni un recentrage, ni la création de listes communes ne semblent être en mesure de garantir.
Longtemps vue comme une espèce de « village gaulois de la gauche » au milieu d’une Europe qui se droitise, la Belgique francophone a connu, le 9 juin dernier, un nouvel avatar de la « droitisation » de l’opinion publique européenne.
Les causes de l’affaissement électoral de la gauche observé le 9 juin en Belgique francophone sont à chercher ailleurs. Une phase d’introspection commence et elle nécessite probablement de se débarrasser d’une série de présupposés formatés. Longtemps vue comme une espèce de « village gaulois de la gauche » au milieu d’une Europe qui se droitise, la Belgique francophone a connu, le 9 juin dernier, un nouvel avatar de la « droitisation » de l’opinion publique européenne. Une tendance lourde, difficilement évitable, y compris pour l’opinion publique francophone dont on a trop longtemps cru qu’elle disposait d’une sorte d’immunité « naturelle » contre la droite.
L’enjeu principal est de retrouver le chemin d’un récit politique « désirable », capable de réparer les dégâts provoqués par une véritable guerre culturelle menée par la droite et à laquelle, le PS, et les forces de gauche en général, n’ont pas trouvé d’antidote.
Si la gauche ne reprend pas la main dans cette guerre culturelle, l’alliance du centre et de la droite pourrait encore avoir de beaux jours devant elle.