Retour aux articles →

Fiscalité verte, un levier au service de la justice environnementale et sociale

En Belgique, la ministre fédérale du climat est une écologiste. Mais où Zakia Khattabi place-t-elle l’enjeu de la « taxe », ou « fiscalité carbone » dans le défi climatique ?

Pour évoquer la fiscalité carbone, j’aimerais d’abord rappeler un constat : les émissions de gaz à effet de serre sont la cause principale du dérèglement climatique. Ce changement frappe beaucoup plus durement les pays les plus pauvres et les groupes les plus vulnérables de la société. Cette double inégalité ne peut pas nous laisser indifférents. Ma conviction, sur ce point, est que la crise climatique est le défi social de notre siècle, et que la transition est un impératif de justice sociale.

Le monde doit non seulement s’orienter vers la neutralité climatique et renoncer aux combustibles fossiles le plus rapidement possible, mais il doit aussi s’efforcer de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’améliorer la qualité de l’air. L’illustration publiée par Oxfam en 2019 me semble parfaite pour comprendre la situation. Sous la forme d’une pyramide inversée, elle démontre à quel point la responsabilité de la crise climatique est inégalement répartie. Les dix pour cent les plus riches de la population sont responsables de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre et les 1 % les plus riches d’entre eux émettent davantage que les 5 milliards de citoyens les plus pauvres dans le monde.

Il est donc clair que cette double inégalité doit être combattue de façon simultanée. Les pays et les citoyens les plus riches ont la responsabilité morale de s’attaquer d’abord à leur pollution et de remédier aux dommages qu’ils causent ailleurs dans le monde.

Quelle fiscalité carbone ?

Soyons clairs, une tarification carbone socialement équitable ne constitue pas à elle seule une bonne politique climatique. Nous devons mobiliser l’ensemble des politiques si nous voulons réussir la transition et nous inscrire dans une approche systémique, avec pour fil rouge la justice sociale. L’illustration d’Oxfam montre clairement qu’à l’échelle mondiale, une taxe sur le carbone pourrait constituer une forme d’impôt sur la fortune. Dans une perspective de redistribution progressive, 90 % de la population mondiale recevrait davantage, sous la forme d’un bonus ou d’un dividende climatique. Dans le même temps, la pollution diminuerait considérablement. Il est donc manifeste que la question sociale posée par la taxe carbone renvoie à un choix politique. Celui de l’affectation des recettes obtenues.

En Europe, le CO2 est déjà taxé dans la production d’électricité et, de plus en plus, dans la production industrielle. Le prix du CO2 dans le système d’échange de quotas d’émission est actuellement de l’ordre de 70 euros par tonne de CO2. Une partie des recettes provenant de la tarification du carbone sera affectée à 76 – 77 un fonds de modernisation destiné à aider les États membres les moins riches de l’UE. Pour l’introduction de la tarification carbone européenne pour les bâtiments et les transports à partir de 2027, ETS BRT (ou « ETS 2 »), cette redistribution va un pas plus loin. Un Fonds Social pour le Climat a été créé par l’Union européenne, dont les ressources sont explicitement destinées à soutenir les citoyens les plus vulnérables dans la transition.

Ces fonds doivent être mis au service du développement de transports publics qui restent abordables, à la construction de logements sociaux économes en énergie ou pour le financement de compensations directes, dé nommées « bonus climat » ou « dividende carbone ». Au niveau européen, 86,7 milliards d’euros seraient consacrés à cette politique climatique sociale au cours de la période 2026-2032.

Et en Belgique ?

Si les mesures européennes sont encourageantes, je suis persuadée que nous pouvons faire bien plus, notamment au niveau belge. Dès le début de la législature, j’ai d’ailleurs plaidé pour que le reste des recettes provenant de la nouvelle tarification du carbone européenne soit utilisé en priorité à des fins sociales. J’ai ainsi défendu l’idée d’un « bonus climat » qui agirait de manière progressive, en compensant davantage les ménages les plus modestes pour les éventuelles augmentations du prix des combustibles fossiles dues à la tarification du carbone européenne. Cette prime climatique a d’abord été intégrée dans le plan climatique fédéral et nous nous rapprochons aujourd’hui d’un consensus national. Ce dont je me félicite ! Concrètement, et à ma demande, dans le cadre des discussions sur le Plan National Energie Climat, le comité de concertation a ainsi décidé que les revenus de l’ETS BRT devraient être utilisés pour soutenir les ménages et les PME dans la transition climatique, mais aussi afin de compenser l’augmentation du prix des combustibles fossiles à partir de 2027, en mettant l’accent sur les publics les plus vulnérables.

Eu égard à notre système institutionnel, il appartient désormais à tous les gouvernements de notre pays d’en adopter les modalités concrètes. Nous devons bien entendu veiller à ce que cet instrument n’entraîne pas d’aggravation de la pauvreté dans le domaine de l’énergie ou des transports. Cela a toujours représenté un engagement fondamental à mes yeux : une justice environnementale qui va de pair avec la justice sociale.