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Schaerbeek : le prix du mensonge

Contracter un accord secret revient à mentir par omission aux électeurs. les responsables de ce ratage ne son pas ceux qui ont dénoncé l’accord. Mais bien ceux qui l’ont signé et qui l’ont tu.

Question: à Schaerbeek, Isabelle Durant avait-elle le droit de ne pas respecter le pacte signé avec le PS et le CDH pour passer, le soir des élections, un autre accord avec le bourgmestre MR Bernard Clerfayt? Oui, affirme la secrétaire fédérale écolo. Ce pacte entre trois partis était conditionné par le fait que «l’électeur leur en donne ensemble les moyens». Cette condition n’était pas remplie, l’Olivier n’obtenant que 24 sièges sur 47, soit une majorité beaucoup trop courte. Pas d’accord, déclare Henri Simons. L’ex-échevin vert à la Ville de Bruxelles, écarté par représailles de la nouvelle majorité PS-CDH, n’accepte pas la manière. Au minimum, il fallait d’abord en délibérer au sein du parti et s’expliquer avec les autres signataires, qui ont appris la nouvelle de la rupture du pacte sur les plateaux de télévision. Mais tous deux se retrouvent sur un point, que tout le monde n’a découvert que le soir du scrutin et qui semble n’émouvoir personne: il y avait bien un accord, et ce depuis le 28 septembre 2005! Six personnes au moins étaient au courant, et non des moindres, puisque l’accord était signé par Isabelle Durant (Écolo), Laurette Onkelinx (PS) et Denis Grimberghs (CDH), et parrainé par Henri Simons, Philippe Moureaux et Joëlle Milquet. Et c’est bien là le problème. Car ce type d’accord symbolise à merveille cette ancienne culture politique dont il faut absolument se défaire pour redonner de la noblesse à la politique en tant que mise en forme de la délibération démocratique. Pour jouer leur rôle, les citoyens-électeurs doivent pouvoir accéder à toutes les informations susceptibles d’éclairer leur vote. Et notamment: avec qui souhaitez-vous aller au pouvoir, et pour y faire quoi? Dans un pays où le système politique impose la formation de coalitions, il est capital que chacun puisse savoir avec quelles formations celle qui aurait sa préférence envisage de faire des compromis. Avant les élections fédérales de 1999, un accord de gouvernement existait entre le PS de Philippe Busquin et le PRL de Louis Michel. Malgré les dénégations des signataires, chacun savait, à ce moment-là, qu’en votant PS, on ramenait les libéraux au pouvoir. Ce fut une des raisons pour lesquelles, en juin 1999, de nombreux électeurs de gauche ont voté pour Écolo qui avait révélé le pot aux roses et fit alors son score historique. Mais ce genre d’accord n’a de vertu démocratique qu’à une condition: qu’il soit assumé publiquement du début à la fin, «si l’électeur en donne les moyens ». Le modèle à suivre vient du Brabant wallon: à Ottignies-Louvain-la-Neuve, pour les élections communales de 2000 et de 2006, les Verts, les socialistes et les démocrates-chrétiens du cru ont passé un pacte de majorité. Le contenu de leur programme de mandature a été rendu public. Par son vote, l’électeur ottintois choisissait en pleine connaissance une équipe dirigeante. Et s’il adhérait à la majorité Olivier qui lui était proposée, il pouvait en prime choisir parmi les trois listes coalisées celle qu’il souhaitait renforcer. Donc pas d’accord secret, mais un contrat clair face à l’électeur qui a pu se faire une opinion en adulte informé. À Schaerbeek, plusieurs choix politiques étaient honorables d’un point de vue de gauche. On pouvait manifester sa préférence pour un Olivier, ce que firent dans la commune le PS et le CDH. On pouvait privilégier la continuité de la majorité sortante MR-PS-Écolo sous la houlette du bourgmestre Clerfayt, mandataire progressiste égaré dans un parti de droite et dont l’action est appréciée bien au-delà de son propre camp. Mais on pouvait également, et cela semblait la pente d’Écolo, ne pas trancher entre les deux formules qui présentaient chacune des avantages, en attendant le verdict des urnes. Dans toutes les hypothèses, les partis de la gauche schaerbeekoise pouvaient jouer franc jeu avec leurs électeurs. Inutile pour cela de signer quoi que soit dans leur dos. Avec la révélation le soir de leur vote de l’existence d’un accord secret, ces électeurs peuvent éprouver une légitime amertume: on leur a menti, ne fut-ce que par omission. Les responsables de ce ratage ne sont pas particulièrement ceux qui ont dénoncé l’accord. Mais bien ceux qui l’ont signé et qui l’ont tu.