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« Le climat, ce n’est pas un sujet dont on discute beaucoup »

J’habite dans le quartier des Marolles et je suis plutôt actif dans les maisons de jeunes du quartier. J’ai passé la plupart de mon temps dans les maisons de quartier ou les clubs de jeunesse, j’ai aussi fait les scouts. Grâce à ces activités, j’ai beaucoup moins « trainé » dehors et du coup j’ai pu plus ou moins m’en sortir dans ma vie. La vie dans la rue et dans le quartier, si tu n’as pas des activités ou un travail, tu ne t’en sors pas.
Cet article a paru dans le n°118 de Politique (décembre 2021). Cet article fait partie d’une série, avec celui de Louise Knops et celui de Nicolas Van Nuffel.

J’ai déjà vu passer les manifs pour le climat, notamment à la place Poelaert. Je n’ai jamais participé sauf une fois ou j’étais en voiture devant une manifestation de vélos. Les voitures klaxonnaient super fort et nous on était quatre dans la voiture et on a bloqué les autres voitures pour laisser passer les vélos. On l’a fait parce qu’on trouvait que c’était important de les soutenir d’une manière ou d’une autre.

Mais aujourd’hui le climat ce n’est pas un sujet dont on discute beaucoup. On n’en parle pas dans notre quotidien. En fait, ce n’est pas la priorité. On doit réussir l’école, s’occuper de la famille, travailler pour payer nos études et parfois aider les parents. On n’a pas le temps de s’occuper de ça. Ça, je crois que c’est le premier problème.

Dans mon train de vie à moi, je ne pense pas que je pourrais consacrer du temps pour manifester pour le climat. Alors ce que je peux faire c’est essayer d’avoir des comportements respectueux pour le climat. Mais manifester, c’est trop loin de notre monde et trop éloigné de la manière de faire. Nous, au quartier, quand on a des problèmes et qu’on veut se faire entendre, on le fait à notre manière. Si on ne nous écoute pas, on va être dans une logique d’affrontement, et forcément d’abord avec la police parce qu’elle est présente tout le temps dans le quartier.

Au quartier, notre premier adversaire, c’est la police. Ils nous empêchent de vivre une vie normale, ils nous contrôlent tous les jours alors forcément qu’ils deviennent une cible parce que, d’une certaine manière, ils représentent des obstacles à notre manière de vivre.

D’un autre côté, l’information sur le climat ne circule pas assez. Moi j’utilise principalement snapchat et instagram ; je ne regarde pas le journal télévisé ni ne lit les journaux papier. Ce sont les réseaux sociaux et le bouche à oreille qui m’informent. Sur les réseaux, c’est vrai que de plus en plus, je vois des gens qui font des post sur instagram et snapchat. Il a des personnes bien suivies qui donnent des informations sur les manifestations. Ça c’est nouveau.

Le manque de diversité sociale et culturelle dans les manifs cache aussi le fait que ce soit toujours les blancs qu’on met en avant. Nous, dans le quartier, chacun a sa manière de manifester. Si aujourd’hui on regarde ce que les gens du quartier font pour lutter contre le dérèglement climatique, peut-être on aurait aussi une autre image de nous.

Ici, dans le quartier, on ne bouge pas, on ne sait pas ce que c’est concrètement le dérèglement climatique. Moi je crois que si on est bien informé alors c’est possible que les gens du quartier bougent. Mais il faudra accepter aussi que chacun bouge à sa manière…

On n’a pas l’information parce qu’on ne parle pas assez au quartier. L’information est mal communiquée. Le message n’arrive pas jusqu’à nous ou quand il arrive, on ne le comprend pas du tout.
Le message que j’ai envie de donner aux jeunes qui manifestent, c’est qu’ils doivent continuer à se battre. Moi personnellement, j’essaye de rester au courant et de les soutenir comme je peux. Et progressivement, je vois que le climat commence à rentrer dans les discussions.

Par exemple, dans mon logement social, ils ont installé des grandes poubelles de tri et forcément les gens en parlent, discutent du climat à travers ce petit exemple des poubelles dans mon logement.
Et puis aussi, les jeunes dans le quartier essayent de s’y battre pour survivre, et le climat c’est aussi un combat pour survivre non ?

(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY 2.0 ; photographie du Palais de Justice de Bruxelles, depuis les Marolles, prise en octobre 2016 par Carl Campbell.)