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Le double enjeu de la mobilité en milieu rural

La réflexion sur la mobilité dans nos campagnes n’est pas neuve. Elle cherche à répondre à un double enjeu : celui d’une mobilité durable limitant l’empreinte écologique de la voiture individuelle et celui d’une mobilité solidaire permettant à chacun d’accéder aux services dont il a besoin. Voici un répertoire des solutions en réflexion ou déjà mises en place en Wallonie.
Cet article a paru dans le n°121 de Politique (décembre 2022).

Les enjeux liés à la mobilité sont multiples. Ils sont environnementaux en raison des émissions de polluants et de gaz à effet de serre (GES) et des nuisances sonores que les véhicules motorisés engendrent. Ils sont économiques à cause du prix élevé des carburants, des titres de transport et des véhicules, mais aussi en raison du temps de travail perdu dans les embouteillages. Ils sont également sanitaires en raison des accidents et des affections respiratoires causés par la mobilité motorisée.

Ces enjeux sont encore plus complexes en milieu rural. La faible densité de l’habitat et l’éloignement des pôles d’activités où sont localisés les services, les commerces, les écoles, les loisirs, les entreprises y engendrent des besoins de déplacements plus longs qu’en milieu urbain[1. « Déplacements en milieu rural : quelles alternatives », Cemathèque, n° 32, avril 2011. (En ligne.)]. La distance et la dispersion de l’habitat entravent l’organisation d’une desserte régulière et efficace des territoires ruraux par les réseaux de transport collectifs.

Les itinéraires des lignes de bus sont loin d’être directs, les arrêts et véhicules peu fréquents et généralement centrés sur le transport scolaire. L’offre de transport répondant aux besoins de déplacement diffus y est largement déficitaire et bon nombre de communes rurales sont donc peu, ou difficilement, accessibles en transports publics.

Par ailleurs, les pratiques de la marche et du vélo ne sont pas aisées en milieu rural, non seulement en raison des distances à parcourir, mais surtout en raison d’infrastructures cyclables et pédestres très insuffisantes, en mauvais état et peu sécurisées. C’est donc, logiquement, en raison du déficit en services et infrastructures publics en milieu rural que la mobilité des personnes s’est, depuis plusieurs décennies, essentiellement centrée sur les déplacements en voiture individuelle, synonyme d’autonomie et de praticité. D’ailleurs, c’est la démocratisation de la voiture qui a permis aux néoruraux de s’éloigner des villes et de s’installer à la campagne. Après des décennies d’exode rural, cette dépendance à la voiture individuelle est aujourd’hui largement remise en cause car elle ne répond pas aux enjeux stratégiques d’une mobilité durable qui cherche à limiter son lourd impact écologique et économique[2. C. de Favereau, « La mobilité en milieu rural : quelle évolution en 15 ans ? », ACRF-Femmes en milieu rural, septembre 2018. (En ligne.].

>>> Lire notre article : Le vélo en Wallonie et à Bruxelles vu du terrain

Par ailleurs, une partie des habitants des zones rurales ne possède pas de voiture ou de permis de conduire. Soit parce qu’ils sont trop âgés ou trop jeunes pour conduire, qu’ils souffrent d’un handicap moteur ou cognitif, qu’ils sont en situation de précarité sociale et/ou économique ou simplement qu’ils désirent limiter leur empreinte carbone. Pour ces personnes, difficile de faire les courses ou de se rendre à une formation, un entretien professionnel, un rendez-vous médical, une rencontre familiale, une activité sportive, culturelle, sociale, etc[3. C. Mahy, « Les publics cible de la mobilité inclusive et solidaire », Actes du colloque Mobilité inclusive et solidaire, Province de Namur, juin 2018. (En ligne.].

Aux enjeux d’une mobilité durable, s’ajoute donc, en milieu rural, un enjeu sociétal majeur d’accessibilité aux biens et aux services fondamentaux[4. Ibidem. ]. Enjeu d’autant plus crucial aujourd’hui vu de la disparition progressive de services essentiels tels que les postes, les magasins, les guichets de banque, obligeant les habitants à davantage de déplacements pour pouvoir en bénéficier.

Alternatives à la voiture individuelles

La vision Fast 2030 (fluidité, accessibilité, sécurité/santé et transfert modal) adoptée par le gouvernement wallon en 2017 a pour objectif de transformer la mobilité wallonne d’ici 2030 pour la rendre plus durable. Elle vise notamment à réduire l’encombrement sur les routes, à garantir à tous une accessibilités aux biens et services tout en réduisant le nombre d’accidents de la route et les émissions de GES de 40%[5. « Stratégie régionale de mobilité. Volet 1 – Mobilité des personnes », SPW Mobilité et Infrastructures, 2019. (En ligne.)]. Cette transformation de la mobilité repose sur la multimodalité, modèle combinant de manière efficace plusieurs modes de transport sur un même déplacement tout en diminuant de manière drastique l’utilisation de la voiture individuelle. Les différentes offres et infrastructures de mobilité sont articulées autour de pôles d’échanges intermodaux : les mobipôles, offrant également d’autres services aux usagers comme des stations pour voiture partagée, des parkings de co-voiturage, des ateliers de réparation vélo, etc. À l’heure actuelle, les mobipôles se concentrent principalement à proximité des gares des grandes villes wallonnes, en raison de leur forte fréquentation[6. « Promouvoir l’intermodalité au quotidien : les pôles d’échanges en Wallonie », Conférence permanente de développement territorial, 2019. (En ligne.)].

En milieu rural, ces lieux de convergence permettent essentiellement de favoriser l’utilisation intégrée du train et du bus par des horaires compatibles ou encore de combiner les déplacements cyclables et piétons et les transports en commun. Des mobipôles pilotes équipés de parkings vélo sécurisés sont actuellement à l’étude dans différentes communes rurales. Cette approche nécessite d’intégrer de manière participative tous les acteurs du projet et combine mobilité (identification des tracés, mise en place ou adaptation des lignes Tec) et aménagement du territoire (pôles d’activités).

L’intermodalité repose sur le déploiement d’un réseau de mobilité active sécurisé permettant de rejoindre les pôles d’échanges. La Wallonie ambitionne donc de créer, à l’échelle de son territoire, un réseau cyclable structurant s’appuyant sur des liaisons cyclables supra-locales et communales, existantes ou à créer, et utilisant le réseau Ravel[7. Réseau autonome de voies lentes, soit un peu moins de 1500 km de chemins verts à mobilité douce à Bruxelles et, principalement, en Wallonie. (NDLR)] ou les cyclostrades comme épine dorsale. Mais le chantier est colossal et il faudra sans doute longtemps avant de disposer de réseaux alternatifs (transports publics, vélo, marche) satisfaisants en milieu rural. D’autres politiques permettent cependant de trouver des solutions locales à plus court terme. Pensons notamment à la politique de développement rural dont l’objectif est l’amélioration du cadre de vie des habitants ruraux et qui finance des aménagements de voies cyclo-piétonnes sécurisées constituant un maillage entre les villages que les cyclistes et piétons peuvent utiliser pour se rendre vers les différents pôles d’activités de la commune[8. « À pied, à vélo, les voies vertes au quotidien : pour améliorer la mobilité dans le cadre d’une opération de développement rural », Cahiers de la Fondation rurale de Wallonie, n° 9, 2009. (En ligne.) La Fondation rurale de Wallonie (FRW) est un organisme indépendant et pluraliste dont le champ d’action est le développement des régions rurales de Wallonie par le soutien à des projets économiques, sociaux, culturels et environnementaux.].

Par ailleurs, du côté des transports collectifs, la réorganisation de l’offre de bus en un réseau hiérarchisé de lignes principales entre pôles importants, de lignes de rabattement vers les pôles et les lignes principales et de lignes scolaires devrait mieux répondre aux besoins des citoyens ruraux. Le transport à la demande tel que les Proxibus, Telbus ou FlexiTec complètent les lignes régulières Tec en milieu rural[9. « Déplacements en milieu rural : quelles alternatives », loc. cit.]. Dans ce cas, il s’agit d’une coopération entre les communes qui financent le chauffeur et les entretiens du véhicule et l’opérateur de transport public qui met le véhicule à disposition de la commune.

Enfin, la mobilité partagée, qu’il s’agisse de covoiturage (auto-stop organisé, navettes entre collègues) ou d’auto-partage[10. « Autopartage : une alternative aussi pour les territoires peu denses », Cemathèque, n° 53, avril 2022. (En ligne.)]. commercial ou citoyen, contribue à rendre la mobilité plus durable en optimisant l’utilisation de voitures individuelles[11. F. Bradfer et T. de Schutter, « Mobilité partagée : cela concerne aussi les communes », Union des villes et communes de Wallonie, janvier 2015. (En ligne.)]

Initiatives de mobilité rurale alternative

C’est plutôt dans le champ de l’économie sociale et collaborative que les solutions aux problèmes de mobilité des personnes précarisées en milieu rural trouvent leur place.Depuis une quinzaine d’années, les Initiatives de mobilité rurale alternative (Imra) constituent un panel de solutions de mobilité autres que celles des réseaux de transport structurants (réseau ferroviaire, bus Tec) et de la voiture individuelle. Les Imra proposent une offre très diversifiée de transport et de services à la demande, organisée dans une logique ascendante. Elles sont portées par des structures d’accompagnement, des communes et des opérateurs sociaux capables de répondre aux besoins spécifiques des différents publics précarisés éprouvant des difficultés à se déplacer.

Ainsi, les Imra gèrent des services de transport à la demande spécialisés tels que la mise à disposition de véhicules médicalisés ou adaptés pour les personnes à mobilité réduite dont les opérateurs sont le plus souvent des mutuelles ou des ASBL spécialisées agréées. Ces initiatives peuvent également prendre la forme de services de transport collectif non spécialisés à la demande tels les services de transport d’intérêt général (Stig) et les taxis sociaux proposés par les communes et les CPAS. Les Imra regroupent également les navettes gratuites organisées par les instituts de formation socio-professionnelle tels les IFAPME pour leurs apprenants.

Outre le transport des personnes, les Imra proposent également de nouveaux services permettant aux personnes qui en ont besoin de lever les freins à leur mobilité. Il s’agit de garages solidaires où les personnes peuvent venir réparer elles-mêmes leur véhicule, de formations au permis de conduire ou encore à l’utilisation des transports publics, de location de scooters et de vélos, de services de covoiturage ou même de l’accès à des microcrédits finançant le permis ou un véhicule pour les personnes disposant de faibles revenus.

Cette offre locale de mobilité alternative est spécifique, peu visible pour les citoyens et peu coordonnée avec les autres initiatives existantes sur un même territoire. Les centrales locales de mobilité (CLM), développées en Wallonie depuis une dizaine d’années, sont nées de ce besoin de visibilité et de coordination[12. M. Meuter, « Les acteurs de la mobilité inclusive et solidaire », Actes du colloque Mobilité inclusive et solidaire, op. cit.]. Les CLM sont des plateformes de coordination de mobilité qui recensent les initiatives locales de mobilité à l’échelle de plusieurs communes et qui assurent la gestion de l’offre en relation avec celle des deux réseaux de transport en commun structurants (Tec, SNCB). Ainsi, via un numéro gratuit unique, les CLM apportent une réponse adaptée aux besoins de l’usager, rassemblent l’ensemble des opérateurs locaux afin de coordonner cette offre sur leurs territoires respectifs et complètent, au besoin, l’offre des opérateurs existants, en soutenant ou en développant des services complémentaires.

C’est le cas par exemple de Mobilesem, une CLM pilote, active depuis 2011 et située à Philippeville. Mobilesem accompagne à ce jour une vingtaine de communes du bassin de mobilité Charleroi-métropole. En plus du travail classique de coordination de l’offre de transport, Mobilesem dispose d’un pôle formation au permis de conduire et à la pratique du vélo ainsi que d’un pôle expertise en projets de mobilité. Depuis peu, Mobilesem mène également des projets de mobilité active innovants comme des ateliers vélo mobiles pour aller à la rencontre des gens dans les villages. Ces initiatives se sont regroupées sous une coupole créée en 2019 qui a pour vocation de coordonner l’offre de transport à la demande sur tout le territoire wallon, la Centrale régionale de mobilité.

Pour un milieu rural, lieu de vie et de travail

Les solutions proposées pour développer une mobilité durable et solidaire tentent de répondre à une demande croissante de mobilité des habitants des zones rurales pour pouvoir accéder à leurs activités quotidiennes. D’autres stratégies centrées sur l’aménagement et la valorisation économique et sociale des territoires ruraux permettent d’atténuer la nécessité de mobilité.

Le maintien ou la relocalisation des services et des commerces au cœur des villages pour les rendre accessibles à tous, tout en renforçant le mieux-vivre et la convivialité, est une manière de réduire le besoin de mobilité. La politique de développement rural, notamment, y contribue directement en finançant des maisons multi-services, infrastructures polyvalentes regroupant en un même lieu des services publics et privés.

Cette même politique finance, par ailleurs, des ateliers ruraux permettant de maintenir et de développer des petites entreprises et donc d’ancrer les emplois dans les communes rurales wallonnes[13. « L’atelier rural : une solution communale pour garder et développer des petites entreprises à la campagne », Cahiers de la Fondation rurale de Wallonie, n° 1, 2017. (En ligne.)]. Les tiers-lieux et les espaces de co-working ruraux, tels qu’ils se développent depuis quelques années en Wallonie, permettent également de réduire les déplacements vers les pôles d’emploi. Des concepts innovants comme le territoire des « 20 minutes » en France, visent la création d’emplois décentralisés par rapport aux grands pôles, tout en proposant une offre de biens et de services de proximité adaptée spécifiquement au territoire et accessible en 20 minutes.

Enfin, le recours au travail à distance ou au télétravail, rendu possible grâce aux technologies de l’information et de la communication, a un impact positif direct et non négligeable sur le besoin de mobilité.

Pour une mobilité inclusive et plurielle

Les enjeux de la mobilité en milieu rural se définissent donc en termes de durabilité environnementale pour lutter contre l’augmentation des émissions de GES et la persistance du tout à la voiture individuelle, mais aussi en termes de solidarité pour permettre l’intégration des personnes en situation d’exclusion sociale ou économique.

Force est de constater que les politiques publiques visant à relever le défi environnemental n’interagissent que très peu avec la dimension sociale de la mobilité qui relève, elle, de politiques sociales, de santé, d’enseignement, de formation, de cohésion sociale et d’emploi[14. M. Pignel, « Mobilité durable : enjeux, pratiques et perspectives », Pour la Solidarité, juillet 2019. (En ligne.)]. Relever le défi de la mobilité en milieu rural consisterait donc à assurer l’accès à une mobilité durable pour toutes et tous.

Au vu des contraintes identifiées, les solutions proposées pour une mobilité inclusive doivent être plurielles pour rencontrer l’ensemble des besoins de déplacements. L’organisation de services de transport en commun efficaces ainsi que de transport à la demande, le transfert modal vers les modes actifs, l’usage partagé des véhicules constituent des solutions complémentaires qui, ensemble, peuvent répondre aux besoins spécifiques de chacun des habitants des territoires ruraux. Ces solutions multiples et variées existent déjà au niveau des centrales de mobilité qui devraient cependant être généralisées à l’ensemble du territoire wallon.

Enfin, l’aménagement intelligent des espaces ruraux pour que ceux-ci restent des lieux de vie et de travail offrant à leurs habitants des services, des biens, un emploi dans un cadre de vie agréable, répondra aux enjeux de la mobilité en milieu rural. Ceci ne peut se faire qu’en ayant une approche intégrée et multisectorielle de l’espace rural et en prenant en compte tous les acteurs du territoire.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-ND 2.0 ; photo d’un bus TEC prise en 2016 par Jean-Philippe Dheure.)