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Le taux d’emploi, une imposture ?

© Leon Hernandez
4 juillet 2022. Le Conseil supérieur de l’emploi publie un rapport dans lequel il prévient que mettre tous les chômeurs au travail ne permettra pas d’atteindre un taux d’emploi suffisant.
Cet article a paru dans le n°120 de Politique (septembre 2022).

Dans son article du Soir, le journaliste Pascal Lorent donne un aperçu clair du dernier rapport du Conseil supérieur de l’emploi : « La Belgique compte 196 000 postes vacants. Mais mettre 433 000 chômeurs à l’emploi ne suffira pas à atteindre l’objectif que le gouvernement s’est fixé d’ici à 2030. » Il ne suffirait même pas,comme le propose le Conseil[1. Conseil supérieur de l’emploi, État des lieux du marché du travail en Belgique et dans les régions, juillet 2022, www.cse.belgique.be.], de remettre « un peu » les malades au travail pour y arriver. En d’autres termes, la mise à l’emploi de tous les chômeurs et des malades de longue durée ne suffirait pas à atteindre l’objectif de 80 %, à moins de trouver, comme le précise Le Soir, 640 000 emplois supplémentaires dans la population dite inactive. Faudra-t-il alors diminuer l’âge de la scolarité obligatoire pour augmenter l’emploi des jeunes et obliger les retraités à retourner au travail ? Formulé en ces termes, l’objectif du gouvernement est donc inatteignable et ne sert qu’à mettre la pression sur l’emploi.

Le taux d’emploi mesure la proportion des personnes disposant d’un emploi parmi celles en âge de travailler. Il ne distingue pas les emplois à temps partiel des emplois à temps plein, ni les emplois précaires des emplois convenables. En conséquence, créer par exemple deux emplois à temps partiel peut coûter moins cher et augmenter plus le taux d’emploi que créer un emploi à temps plein. Sans partager pour autant le lyrisme de Georges-Louis Bouchez pour qui « le taux d’emploi est une cause nationale », l’idée suivant laquelle l’augmentation du taux d’emploi serait nécessaire pour « sauver la sécurité nationale » fait consensus dans les cercles du pouvoir.

Pourtant, paradoxalement, les propositions d’augmentation du taux d’emploi vont souvent de pair avec des emplois à temps partiel et des exonérations de cotisations sociales, désignées comme des charges. Des emplois exonérés de cotisations sociales qui ne contribuent donc pas à financer la sécurité sociale. L’amélioration de notre taux d’emploi a donc été tributaire du travail à temps partiel ainsi que la mise en place des flexijobs et des emplois relevant du statut P2P (peer-to-peer, de particulier à particulier) pour les livreurs des plateformes comme Deliveroo et Uber.

L’injonction à augmenter toujours plus le taux d’emploi consiste à mettre la pression pour augmenter le travail à temps partiel, les emplois au rabais et a pour effet de généraliser non pas la sécurité mais la précarité engendrée par le travail. Aujourd’hui, l’auteur du « droit à la paresse » aurait pu observer cette « étrange folie » qui possède nos gouvernants. Cette folie réside dans la passion moribonde du travail des autres. Paul Lafargue ajoutait encore : « Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes ont sacro-sanctifié le travail[2. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, a rédigé en 1880 Le droit à la paresse. Le retentissement de ce texte, traduit dans toutes les langues, constamment réédité, a été énorme et n’a toujours pas épuisé ses effets.]. »

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-ND 2.0 ; photo d’une personne qui coupe du métal, prise en mai 2016 par Leon Hernandez.)