Retour aux articles →

Négocier la tartine plutôt que les miettes

5 mai 2021 : le gouvernement fixe une marge d’augmentation salariale limitée à 0,4% en 2021 et 2022.

Ce texte de la “chronique sociale” a paru dans notre n°116 (juin 2021).

« La sortie de crise sera synonyme de modération salariale », titre Le Soir du 8 mai 2021. Le journal ajoute en sous-titre : « Le gouvernement fédéral a tranché, la marge d’augmentation des salaires sera limitée à 0,4 % en 2021 et 2022 ». Dans l’espoir de rendre « la modération » digeste, le gouvernement a cependant concédé une prime de maximum 500 euros à une petite minorité de travailleurs d’entreprises performantes. De tous côtés foisonnent alors des propositions visant à faire croire que des miettes (500 euros pour quelques-uns) ajoutées à d’autres miettes (0,4 %) font autre chose que des miettes.

Pour les libéraux, rien de plus simple : il suffit d’augmenter la quotité exemptée d’impôt pour augmenter le « salaire poche » des bas revenus. Philippe Defeyt prend sa calculette et constate que cette mesure n’aurait en fait « aucun impact ou un impact limité sur le net de nombreux petits salaires ». Il se demande même s’il ne s’agirait pas là d’une tromperie dont le véritable motif serait « d’augmenter le net des catégories de travailleurs plus aisés ». Defeyt y va alors de sa propre proposition : instaurer « des crédits d’impôt intégralement et immédiatement remboursables[1.Institut pour un développement durable, Note de l’IDD, 10 mai 2021.] ». Il s’agit pourtant dans les deux cas (quotité exemptée d’impôt ou crédit d’impôt) de donner des miettes d’un côté pour les reprendre de l’autre. Augmenter le « salaire poche », comme disent les libéraux, au détriment du salaire brut aurait pour effet non pas d’enrichir mais d’appauvrir les travailleurs.
L’acquis majeur de la négociation collective a été pour les travailleurs la socialisation des salaires. Ces derniers n’obéissent plus à la loi de l’offre et de la demande mais sont régis par un processus institutionnel de négociation. Le salaire est constitué d’un salaire direct perçu par le travailleur et d’un salaire indirect. Une part notable des revenus des salariés ne dépend donc pas directement de leurs prestations et sert à financer leurs besoins collectifs en termes de soins de santé, pension, éducation, chômage, mobilité… par les cotisations sociales et l’impôt (charges sociales dans le langage des libéraux).

Les politiques néolibérales ont privilégié la liberté de choix des consommateurs au détriment des besoins sociaux définis collectivement et ont préféré les transferts monétaires à la place des services publics et de la sécurité sociale. Ce sont précisément ces choix qui ont fragilisé le système de santé face à la crise sanitaire. Au contraire, le salaire socialisé permet par la mutualisation des richesses d’investir dans les services et biens publics. C’est pourquoi la négociation des salaires ne doit porter que sur le salaire brut, sans quoi la redistribution des revenus au lieu d’être socialisée, serait privatisée. Si les syndicats devaient lâcher le salaire brut pour négocier le salaire net en acceptant des réductions de cotisation sociale et de précompte professionnel, ce serait une régression considérable pour toute la société.

La « loi pour la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité » est un obstacle à toute négociation salariale. En attendant de la réviser, la proposition de loi de Marc Goblet (PS) et Raoul Hedebouw (PTB) visant à rendre la norme salariale indicative et non contraignante donnerait alors le souffle nécessaire à la négociation collective.