Guerres et conflits • Politique
Politique étrangère : la chance de guerre en Ukraine
05.05.2023
Du 24 février 2022 à nos jours : l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe est une aubaine pour les États-Unis.
Cet article a paru dans le n°122 de Politique (mai 2023).
Les États-Unis ne sont pas allés au Vietnam pour instaurer la démocratie, pas plus qu’en Afghanistan (2001) ou lors de leur guerre d’agression en Irak (2003). Et si les Européens profitent largement du contribuable américain pour sa protection militaire, ils doivent se garder d’y voir une quelconque défense des droits fondamentaux ou de quoi que ce soit dans ce domaine. La politique étrangère américaine, comme toute politique étrangère, c’est avant tout la force des choses ! Et celle-ci « évolue en permanence », il serait d’ailleurs « à peine exagéré d’affirmer que la politique étrangère pour un pays consiste à gérer ce mouvement pour en tirer avantage ou, au moins, pour empêcher qu’il ne tourne à son désavantage[1.G. Araud, Histoires diplomatiques, Paris, Grasset, p. 137.] ».
L’administration Biden ne s’y est pas trompé, elle a saisi la force des choses pour en tirer un maximum d’avantages. Soutenir militairement et financièrement l’Ukraine dans des proportions qui rappellent le Plan Marshall, c’était d’abord faire d’une pierre trois coups : renforcer l’Otan ; reporter de 20 ans tout projet de défense européenne ; et affaiblir durablement, et si possible humilier, la Russie.
L’Otan, sous domination états-unienne majeure, n’a jamais su justifier le maintien de son existence après la fin de la Guerre froide, or une alliance n’a pas vocation à continuer à exister si les conditions de sa création disparaissent, et l’organisation cherche désespérément – en permanence – une raison pour justifier le maintien de ce qui est le bras militaire le plus puissant de l’Occident : la guerre en Ukraine a été une opportunité unique ! Bien plus que la guerre en Yougoslavie.
Par ailleurs, sans l’appui militaire, technique et financier des États-Unis, l’Ukraine serait russe depuis février 2022, et les Polonais (donc l’Union européenne) seraient devenus leurs voisins directs… Le « sel » belge[2. « Guerre en Ukraine : la Belgique mobilise B-Fast pour l’envoi de 3.000 tonnes de sel de déneigement à Kiev », RTBF, 19 janvier 2023.], les trois chars Leclerc et les casques portugais n’auraient rien pu changer. La défense européenne était un projet, avec la toute-puissance militaire et financière US, elle est devenue une farce !
Enfin, le renseignement américain savait qu’au-delà du nucléaire, l’armée russe était un tigre de papier, c’était l’occasion – unique encore – de le démontrer et de supprimer des dizaines de milliers de soldats et de chars. Opération réussie, la Russie ne perdra pas la guerre, mais des milliers d’hommes, et son prestige sur la scène internationale.
Si on ajoute les gains politiques domestiques pour une administration Biden en mauvaise posture il y a un an – l’appui militaire est relativement bipartisan au Congrès, on se dispute juste sur les milliards mais pas sur le principe –, et surtout le « Batibouw » militaire que représente le champ de bataille ukrainien pour l’industrie de l’armement US, on comprendra aisément que les Américains ont su tirer avantage de la « force des choses ».
(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-ND 2.0 ; un tank en Ukraine, photo prise en avril 2022 par Oleksandr Ratushniak pour l’UNDP Ukraine.)