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Refuser la guerre. Une brève histoire des mouvements pour la paix en Belgique

Le drapeau de la paix, l’un des symboles des mouvements pour la paix (Photo de Francesca Magurno – Unsplash).
Le drapeau de la paix, l’un des symboles des mouvements pour la paix (Photo de Francesca Magurno – Unsplash).

S’engager pour la paix, oui mais comment ? Et pourquoi ? L’histoire des mouvements pour la paix en Belgique montre que leurs divisions ne datent pas d’hier et que les voies d’action sont multiples. Parmi les pierres d’achoppement, l’unité trébuche notamment sur la légitimité de la violence.

Dès la naissance du Parti ouvrier belge (POB) en 1885, l’antimilitarisme affiché identifie la guerre au capitalisme. Ce couple est opposé à un autre, celui de la paix et du socialisme. Il existe aussi une dynamique libertaire, particulièrement dans son mouvement de jeunesse, chez les Jeunes gardes socialistes (JGS), insistant sur une opposition à l’obéissance aveugle aux ordres caractéristique de l’institution militaire.

Refuser d’être soldat

De fréquentes poursuites judiciaires auront lieu dans ce cadre, au tournant du XIXe et du XXe siècle, visant des militant·es et des journaux socialistes. Ce mouvement d’opposition et de sanctions continuera d’ailleurs après la Première Guerre mondiale, notamment avec l’épisode du «fusil brisé1», à La Louvière en 1921, provoquant la chute du gouvernement où siégeaient des ministres du POB.

Pour mettre un terme à l’agitation, dans les années 30, suite à des actes d’objection de conscience, posés cette fois par des militant·es d’inspiration chrétienne ou communiste, le ministre de la Défense propose une loi interdisant toute propagande sur le sujet. Celle-ci provoque de vives réactions, notamment du chansonnier Léo Campion et du libraire Hem Day, qui renvoyèrent leur livret militaire. Leur condamnation par le Conseil de guerre provoqua une forte mobilisation, qui déboucha sur leur renvoi de l’armée et leur libération.

Après 1945, la lutte reprend, notamment sous l’impulsion de Jean Van Lierde, ancien résistant et militant de la Jeunesse ouvrière chrétienne (Joc). Appelé «sous les drapeaux» pour le service, sa déclaration, «Pourquoi je refuse d’être soldat», devant le Conseil de guerre en octobre 1951, connut un retentissement énorme et son emprisonnement suscita de vives réactions. En 1964, le droit à l’objection de conscience fut finalement reconnu, couplé à l’obligation d’effectuer un service civil en Belgique ou dans le cadre de la coopération au développement.

Garantir la paix par le droit

Sécurité commune et multilatéralisme sont les objectifs des «pacifistes par le droit»2. Précurseur, le sénateur socialiste Henri La Fontaine, prix Nobel de la Paix en 1913, estime que la paix ne peut être garantie que par la codification du droit international, la création d’une Société des nations et la mise en place d’une Cour de justice internationale.

Isabelle Blume, féministe et antifasciste, fut une autre figure importante de l’opposition à la logique des blocs. Son adhésion au Conseil mondial de la paix, proche des partis communistes, lui vaudra son exclusion du Parti socialiste (PS).

S’unir malgré tout

Si l’on souhaite cartographier les divers mouvements opposés aux logiques de guerre à partir du milieu du XXe siècle, ils se distinguent essentiellement, mais pas uniquement, par leur approche de l’usage de la violence. Deux grandes tendances se distinguent. D’un côté, les mouvements dits «pacifistes», opposés à tout recours à la violence et qui estiment par conséquent toutes les guerres illicites. Ils refusent donc le service militaire ainsi que les crédits alloués à l’armée, et réclament le désarmement unilatéral et immédiat. Ils promeuvent l’action directe non violente. Parmi les militant·es emblématiques modèles dont ils et elles s’inspirent, citons notamment Gandhi et Martin Luther King.

De l’autre, se trouvent les mouvements «de la paix», qui ont la conviction qu’étant donné l’existence d’armes thermo-nucléaires de destruction massive, une guerre généralisée serait un suicide collectif. Mais, leurs partisan·nes ne s’opposent pas à la violence en tant que telle, et peuvent soutenir notamment des guerres «de libération»; par exemple en Algérie, au Vietnam, ou encore en Afrique australe.

Les mouvements dits « pacifistes » sont opposés à la violence et estiment par conséquent toutes les guerres illicites.

Ces différences d’appréciation n’ont pas empêché ces mouvements de joindre leurs actions au sein de plateformes de coordination, tout en ayant leur propre activité spécifique et autonome. C’est après la Deuxième Guerre mondiale que leur structuration s’opère.

Des mouvements pacifistes et des mouvements de paix, branches belges d’organisations internationales, émergent. Du côté des pacifistes, les branches belges du Mouvement international de la réconciliation (Mir), issu du pacifisme chrétien, et de l’Internationale des résistants à la guerre (IRG), toutes deux adeptes de la non-violence, fusionneront sous le nom de «Agir pour la Paix». De l’autre, l’Union belge pour la défense de la paix (UBDP), créée en 1949 comme la branche belge du Conseil mondial de la paix (CMP)3, d’inspiration communiste, prend son essor lors du célèbre «Appel de Stockholm» (1950)4.

Relevons aussi, à gauche, le Mouvement chrétien pour la paix (MCP), l’Association médicale pour la prévention de la guerre nucléaire, les Journées universitaires de la paix, et diverses initiatives juridiques comme le Groupe Jacques Leclercq (UCL) et l’Association belge des juristes démocrates (ABJD). Pax Christi5, soutenu par l’Église catholique, agit également, dans les faits, dans une dynamique progressiste. Sa branche belge devient l’association BePax en 2017.

1970, le CNAPD et la naissance d’une coordination progressiste

Alors que la fin des années 60 marque un certain essoufflement de l’engagement pour la paix, le Comité national de la marche anti-atomique6 joue un rôle important dans l’organisation de marches de 1963 à 1970. En 1970, va naître le Comité national d’action pour la paix et le développement (CNAPD), visant la création d’un regroupement progressiste, qui réanimerait un grand mouvement pour la paix, en y incluant le souci tiers-mondiste, le développement et les luttes de libération.

À sa création, les chevilles ouvrières du CNAPD sont Jean Du Bosch, pour l’UBDP, Pierre Galand pour Oxfam, René Marchandise pour le MCP, et Jean Van Lierde du Mir-IRG. Des organisations de jeunesse rejoignent aussi le comité. Parmi elles, le Mouvement belge des étudiants francophones, les Jeunesses communistes, les Jeunes socialistes (MJS) et la Jeunesse ouvrière chrétienne (Joc).

Refuser d’héberger des armes

Durant la guerre froide, l’essor du mouvement contre le déploiement de missiles de croisière surprendra par l’ampleur du soutien populaire et obtiendra finalement gain de cause7. Les mouvements traditionnels pour la paix reçoivent à cette occasion un soutien beaucoup plus large qu’à l’accoutumé : FGTB, Moc, PS (après des hésitations internes perceptibles), Écolo, Parti communiste, mais aussi des évêques belges et de la Fédération des Amis de la morale laïque, rejoints par le Cercle du libre examen. Pas de participation toutefois des Jeunes PSC et FDF, pourtant membres du CNAPD.

En 1970, naît le Comité national d’action pour la paix et le développement (CNAPD), regroupement progressiste pour la paix incluant le souci tiers-mondiste, le développement et les luttes de libération.

Plus récemment, une autre mobilisation va s’engager à propos des ogives nucléaires stationnées en Belgique, à Kleine-Brogel dans la province du Limbourg, bientôt remplacées par de nouvelles ogives, portées par les F35. Une coalition spécifique est créée à ce sujet, dont le secrétariat est assuré par la CNAPD (devenue Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie).

Quels enseignements tirer de ce rapide parcours historique ?

Il est frappant de voir combien les mouvements précités, dans une sphère militante limitée, dotés d’un pouvoir plus symbolique qu’effectif, arrivent soudain à entraîner des mobilisations beaucoup plus larges que le cercle restreint de leurs membres et de leurs sympathisant·es, tant au sein de la gauche que dans la population.

Les trois partis de gauche francophones connaissent quant à eux une grande variation de leur ligne politique à l’égard des questions de paix et de désarmement. Ainsi, le soutien à l’OTAN reste constant et paradoxal pour le PS, qui fut à l’origine du Fusil brisé, eut un sénateur Prix Nobel de la Paix, et œuvra pour le statut des objecteurs de conscience. Les liens d’Écolo avec les mouvements pour la paix étaient forts depuis sa fondation, avec encore en 2019 une proposition de loi visant à interdire les armes nucléaires. Et puis, subitement, au lendemain de l’invasion russe en Ukraine, la position des verts, sans grand débat interne, s’est concentrée exclusivement sur un soutien à l’Ukraine, en ce compris l’envoi d’armes et de missiles.

L’urgence pour la gauche paraît désormais de renforcer, non pas les logiques d’affrontement, mais le multilatéralisme et la construction de sécurités communes.

Du côté du PTB, il n’y a pas de tradition d’action pour la paix comparable. La critique des États-Unis et de l’OTAN est fréquente et historique; en revanche, la dénonciation actuelle de la logique des blocs semble revenir au style de discours de l’ancien Conseil mondial de la Paix. L’urgence pour la gauche paraît désormais être de renforcer, non pas les logiques d’affrontement et de production d’armes, mais, plus que jamais, celles du multilatéralisme et de la construction de sécurités communes. Car une troisième guerre mondiale aujourd’hui pourrait devenir le cimetière de l’humanité.