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Un mâle, des mots

«Alors, cette rentrée, tout s’est bien passé ? Nouveaux projets, nouvelles fringues, nouveaux livres et nouveaux cahiers… ? — Pfff ! Ne m’en parle pas. J’ai voulu acheter un nouveau dictionnaire pour ma fille. Un dictionnaire non sexiste. Eh bien, vous ne me croirez pas, mais on n’en trouve pas sur le marché… — Comment ça, un dictionnaire non sexiste ? Les jouets sexistes, les manuels scolaires qui présentent des images stéréotypées des hommes et des femmes, je connais. Mais les dictionnaires… ? — Oui, un dictionnaire où le terme féminin ne soit pas forcément associé aux mots grâce, douceur, charme… et où les succès féminins renvoient aux victoires du féminisme, et non aux conquêtes amoureuses de Monsieur ! Où la femelle ne soit pas définie comme un «animal du sexe qui reproduit l’espèce en produisant des ovules fécondées par le mâle», tandis que le mâle, lui, est simplement «un individu appartenant au sexe doué du pouvoir de fécondation» Définitions tirées du Petit Robert, signalées par Françoise Leclère dans Le miso mis à nu, éditions La Maronie, 2008. — Ah, je vois : le mâle est un individu, la femelle un animal… — … et en plus, la femelle a besoin du mâle pour féconder ses ovules, tandis que le mâle, lui, féconde sans l’aide de personne… — Alors, ça m’a donné envie de creuser le sujet, et j’ai emmené mon bon vieux dico en vacances. Je vous recommande l’exercice, si vous avez le temps Les exemples qui suivent sont extraits du Petit Robert de 1977 et 1996, sans grande évolution sur vingt ans. On peut retrouver des variantes du même acabit dans Le Petit Larousse. Tenez : intéressons-nous à nos ami-e-s les bêtes. On découvre que le cerf est un «grand mammifère ruminant», tandis que la biche n’est que «la femelle du cerf». De même pour la jument, la vache ou la poule, alors même que le cheval, le taureau ou le coq ont droit à leur description propre À noter tout de même que Le Petit Larousse donne à la poule et à la vache, sans doute en récompense de leur productivité, le même statut qu’à leurs époux respectifs (chacun étant le mâle ou la femelle de l’autre), ce qui n’est pas le cas pour la biche et le cerf… — Conclusion : même quand elle a gardé son nom de jeune fille, Madame ne se définit que par rapport à Monsieur… — Les exemples illustrant ces termes sont aussi assez comiques. Revenons à notre biche. Première phrase citée : «Le faon est le petit de la biche». — … comme toute femme, la biche est d’abord mère… — Puis : «La biche n’a pas de bois». — … comme toute femme, la biche se définit par ce qui lui manque par rapport au mâle. — Pour se rendre compte du grotesque de ces choix, imaginons l’inverse: Taureau : mâle de la vache. Le veau est le petit du taureau. Le taureau n’a pas de mamelles. Ou encore Coq : Mâle de la poule. Oiseau de basse-cour même pas foutu de pondre des œufs. — Mais bon, même les dictionnaires évoluent. Dans son livre Les mots et les femmes M. Yaguello, Les mots et les femmes, Payot, 1978 , Marina Yaguello s’est amusée à aller chercher des définitions des années quarante. À l’époque, la femme elle-même, comme la biche, n’était définie que comme «la compagne de l’homme». Aujourd’hui elle a quand même accédé au rang d’«être humain», même s’il est précisé, pour éviter toute confusion, que c’est «du sexe qui conçoit et met au monde les enfants», alors que l’homme se contente d’être «un être humain mâle», sans allusion directe à la procréation. Allez les filles : nos arrière-petits enfants trouveront peut-être des dictionnaires non sexistes…