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A poil, la culture !

«Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je marche dans les rues, quand j’ouvre un magazine ou que j’allume la télé, j’ai l’impression de retourner trente ans en arrière. Comme si, malgré toutes les évolutions, l’image des femmes n’avait pas bougé d’un poil — si j’ose dire. — Justement, l’autre jour j’étais à Paris: sur les Champs-Elysées, impossible de rater les affiches géantes pour un magasin qui prétend vendre des produits culturels Publicité de Virgin Megastore.. : sous le slogan «Le plaisir de la culture», un sac aux couleurs dudit magasin porté par une femme nue, au dessin du corps sans doute trafiqué pour paraître encore plus filiforme, au moment où même le milieu de la mode s’émeut de la maigreur maladive de certains mannequins Un mannequin brésilien vient de mourir d’anorexie. Elle ne pesait plus que 40kg pour 1m74. Le monde de la mode s’interroge sur l’image désastreuse donnée aux jeunes filles…….. — C’est vrai, jusqu’ici les femmes à poil servaient à vendre des yaourts ou des bagnoles. Des livres, des disques, du multimedia, c’est une espèce de promotion, non ? — D’ailleurs le concurrent principal dudit magasin n’a rien trouvé de mieux que de subtiles allusions à la prostitution pour vendre sa carte de fidélité. Une vitrine entourée de néons, où un clone de Lara Croft vous invite à entrer, en précisant «adults only». La suite est encore plus explicite… et le public visé sont les 12-25 ans Voir le site www.fnac.be. Des milliers de cartes Boomerang avec la même image ont circulé dans les cafés, les lieux culturels.. ! Je me demande si toutes ces boîtes se doutent qu’elles ont aussi des clientEs ? — … Et même des clientes féministes ! — D’accord, quand je vois ces pubs, mon poil se hérisse aussi, mais nous devons faire très attention. Parce que dans le même temps, nous voyons le retour en force d’une autre tendance, d’une pruderie sourcilleuse et vindicative, qui s’en prend aux œuvres d’art «incorrectes». En septembre, le musée de la Photographie de Charleroi s’est ramassé un cocktail Molotov pour avoir posé sur sa façade une affiche d’un photographe japonais, Araki, représentant un sexe de femme… Quelques semaines plus tard, à Nice, des riverains ont exigé le retrait d’une affiche d’une galerie reprenant une oeuvre inspirée de l’«Origine du Monde» de Courbet… En France encore, une ligue de protection de l’enfance traîne en justice les organisateurs — et peut-être même les artistes ! — d’une exposition qui a eu lieu à Bordeaux, il y a six ans, intitulée «Présumés innocents. L’enfance de l’art», considérant que certaines images d’enfants étaient choquantes Libération, 20 novembre 2006… Alors, je crains qu’on nous mette dans le même sac. «Censeur» est un de ces mots qui n’ont pas de féminin, et je n’ai aucune envie de populariser un terme comme «censeure» ou «censeuse». — Tu mélanges deux réalités, et c’est ça le danger : mettre sur le même plan l’art et la publicité. C’est vrai que je suis parfois gênée par l’irruption ou le retour d’un certain «porno chic» dans l’art, notamment la photo, surtout si elle concerne les enfants. Mais malgré tout, je prétends que la fonction de l’art, c’est justement de poser des questions, de déranger… Alors que la seule fonction de la publicité, c’est de vendre. — Ouais, parce que l’art, lui, est pur, et s’il choque, c’est seulement pour faire réfléchir, jamais pour vendre…