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Hommage à Jacques Liesenborghs, éducateur politique

« Réveillons-nous » et « construisons un monde où le buen vivir pour tous deviendra la norme ». Ces mots de Jacques Liesenborghs, ancien professeur, directeur d’école, militant de la cause éducative et ancien membre du collectif de Politique, semblent indiquer la même route à suivre que celle tracée par l’écrivain franco-allemand Stéphane Hessel, dans un opuscule écrit en 2010 et resté célèbre, « Indignez-vous ! »

À 93 ans, ancien résistant, Hessel s’adressait à un large public – « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous sommes fiers » – en nommant les champs de lutte à investir : « Pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis […] ».

Petite nuance néanmoins entre les deux hommes : Jacques le sympathique – il ponctuait la plupart de ses interventions d’un large sourire – s’adressait surtout à ses ami·es de gauche… qu’il aimait bousculer quand leurs combats s’écartaient un peu trop de la quête d’é-ga-li-té, la fameuse « étoile polaire » de la gauche, selon le philosophe italien Norberto Bobbio. Placer l’égalité au centre de la pièce donc ! Pour une société plus « fraternelle », plus « hospitalière », mais aussi plus « tendre », où l’« écoute », l’« audace » ou encore l’ « entraide » devaient se trouver en bonne place, disait-il, il y a trois mois. « Coopérons dans la diversité pour l’égalité », clamait Jacques le rassembleur… et surtout contre la droite ! « Au-delà de toutes les considérations savantes, subtiles… et justes, ni les verts ni les « roses » n’ont, au cours de ces années, renforcé ou renouvelé les perspectives d’alternatives aux droites de plus en plus extrêmes ! », écrivait-il, pas très tendrement, en cette même année 2022. Il faut dire que Jacques affectionnait jouer à la mouche du coche, probablement moins pour rappeler l’horizon d’une société à construire que pour agir concrètement, ici et maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Jacques co-fonda ainsi la Confédération générale des enseignants, devenue ensuite Changements pour l’égalité (CGé).

Sa méthode ? L’éducation, souvent par l’écriture. Interventionniste (beaucoup de « cartes blanches » publiées dans les gazettes) mais sans volonté patente, chose plutôt rare à gauche, de donner des leçons. Jacques le passeur, l’éducateur bienveillant et souriant, très proche en cette matière d’un Pierre Ansay, autre membre du collectif de Politique disparu récemment.

L’écriture, donc. Avec ce profil, aucun hasard si Jacques atterrit à Politique, milieu des années 2000. Rapidement, il y publiera des articles engagés, puis coordonnera brillamment deux dossiers principaux, sur l’enseignement et l’éducation, ses sujets de prédilection (son modèle : la pensée de Philippe Meirieu, avec qui il écrira un livre), probablement en partie car, comme il l’écrivait encore récemment, « c’est un des terrains les plus propices à l’éveil de l’esprit critique (cette finalité répétée depuis des dizaines d’années et si peu ancrée dans des pratiques qui « parlent » aux jeunes). » Et c’est probablement aussi à cause de cet intérêt pour l’esprit critique qu’il s’intéressa de près aux médias (il fut administrateur de la RTBF). Toujours récemment : « Dans les médias, je trouve qu’il faudrait mettre en valeur les émissions qui laissent le temps de débats sereins (et animés comme le 28 minutes sur Arte) et oser dénoncer les spectacles de faux débats. » Avec un peu d’imagination, il n’est pas trop compliqué de comprendre quelles « émissions » étaient ciblées… Mais il n’épargnait pas non plus les médias amis, comme le nôtre : il faut s’intéresser à « des personnes qui ne prendront pas la plume et ont des choses à relayer. Un impératif : sortir des seuls exposés de recherches savantes ou d’universitaires et syndicalistes jargonnants et/ou formatés. » Bien compris, Jacques, merci (vraiment) !

Jacques alliait analyses militantes sérieuses, légèreté et écoute des autres. On se sentait toujours bien auprès de lui.