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« La mobilité est une pierre angulaire dans nos vies »

© Antonio Ponte saigneurdeguerre
En Belgique, selon le Bureau fédéral du Plan, les trajets domicile-travail se situent toujours dans les principales raisons qui poussent les Belges en âge de travailler à se déplacer. La voiture demeure le premier moyen d’exercer ces déplacements, même si le vélo est le mode de circulation qui enregistre la plus forte hausse (+11 %), à la différence des transports en commun, qui semblent bien stagner. Mais la situation est peut-être amenée à évoluer avec l’essor du télétravail. Pour analyser les liens entre ces deux activités fondamentales de notre quotidien, la mobilité et le travail, nous avons choisi d’ouvrir ce dossier en partageant la route des cellules de la mobilité de la FGTB et de la CSC.
Cet article a paru dans le n°121 de Politique (décembre 2022).

Quel est le rôle de vos cellules mobilité ?

JULIE RIGO : J’ai travaillé pendant longtemps au sein du projet Rise, j’ai participé à sa création en 1996. C’est important parce qu’à ce moment-là, il y a eu un changement fondamental dans la loi sur le bien-être au travail. Ce changement a conféré des droits aux délégués pour s’occuper des questions d’environnement. Nous disposions donc d’outils légaux qui nous permettaient d’intervenir en entreprises dans tous les domaines liés à cette thématique. Il y a cinq ans, j’ai intégré la cellule mobilité de la FGTB. Nous travaillons essentiellement en Région wallonne, nous formons les délégués syndicaux et nous leur apportons de la matière au sujet de la mobilité afin de les amener, dans les entreprises, à se saisir de ce sujet et à se concerter avec les employeurs. La mobilité est une question essentielle pour tous les travailleurs qui doivent se rendre sur leurs lieux de travail. Même si le télétravail a changé la donne pour certains, la plupart continuent de se déplacer tous les jours.

MAXIME BRUGGEMAN : La Région wallonne a signé une convention avec la Fec et le Cépag pour traiter la mobilité au niveau syndical. Du côté des patrons, la Région fait de même avec l’Union wallonne des entreprises. Nous travaillons pour convaincre les travailleurs à propos des politiques de mobilité et pour les former. Nous incitons à lancer des actions et des publications sur ces questions. Nous répondons aussi aux équipes syndicales qui souhaitent de l’aide pour élaborer une convention collective qui concerne la mobilité.

En préparation de cet entretien, vous avez tous les deux mentionné le fait que vous travaillez dans de très petites équipes. N’est-ce pas un paradoxe, alors que la mobilité semble être une question importante, surtout en ce moment ?

JULIE RIGO : Ce n’est pas propre à la mobilité. Les syndicats disposent de ressources financières limitées. Avec la complexification de la société, la concertation sociale s’étend à nombreux sujets. En Belgique, cette concertation s’effectue à différents niveaux de pouvoir. De manière générale, nous avons de petites équipes sur toutes les matières. Nous avons la chance de bénéficier de subventions pour nous occuper de mobilité. Il y a 20 ans, il s’agissait de thématiques moins évidentes, on se demandait pourquoi les syndicats se préoccupaient d’environnement et de mobilité. Cette question ne se pose plus depuis quelques années.

MAXIME BRUGGEMAN : On peut aussi préciser que l’Union wallonne des entreprises reçoit une seule grande enveloppe de subsides alors que pour nous, elle est bien moindre et divisée entre nos différentes cellules mobilité, ce qui explique les petites équipes. Les patrons, quant à eux, semblent partager une seule et même vision de la mobilité !

Justement, pouvez-vous résumer votre vision de la mobilité ?

JULIE RIGO : Pour nous, il est primordial d’orienter la population vers une mobilité durable. Nous formons nos délégués pour pouvoir sortir du tout à la voiture et d’une mobilité pensée uniquement de manière individuelle. Nous souhaitons une mobilité plus collective, faite de transports en commun publics, ou une mobilité douce et durable, qui fait la part belle au vélo ou à la marche, qui sont des mobilités individuelles mais qui ne sont pas lourdes de conséquences au niveau climatique et environnemental. Mais cette mobilité doit aussi être accessible, notamment géographiquement. Une récente étude de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps)[1. J. Charlier et J. Juprelle, Interaction mobilité/aménagement du territoire en Wallonie dans une perspective de transition juste, Iweps, mars 2022] a montré que l’accessibilité des transports en commun en Wallonie laissait à désirer. Voilà un point essentiel pour que la mobilité évolue. Or, nous sortons de plusieurs années de désinvestissement dans le rail et dans les transports publics en Wallonie. Nous devons inverser la vapeur. C’est ce que font les gouvernements actuels… mais on ne rattrapera pas ces années de désinvestissement en deux coups de cuillère à pot. Cela va prendre du temps.

Il faut aussi que les modes de transports soient accessibles financièrement. En Région wallonne, comme en Région bruxelloise, un gros travail est en cours pour atteindre la gratuité des transports en commun. Il existe déjà en Wallonie une gratuité pour certaines catégories de la population, à Bruxelles, on se place également dans cette perspective. La mobilité douce est également la moins coûteuse.

Parmi les alternatives, il n’y a pas que le train ou le bus et le vélo, il y a aussi le covoiturage, les voitures partagées ou encore la micromobilité. Il faut une offre variée, complète et disponible à travers tout le territoire, bref de la multi-modalité. La Wallonie est vraiment différente de la Région bruxelloise, où on se trouve dans un milieu urbain. Il existe un droit à la mobilité, et il s’agit d’un droit essentiel pour bénéficier d’autres droits : à l’éducation, à la santé, pour aller travailler, etc. La mobilité est une pierre angulaire dans nos vies.

DES TRANSPORTS EN COMMUN GRATUITS ?
La sortie médiatique de Paul Magnette, président du PS, réclamant la gratuité totale pour les usagers de la SNCB, voire d’abord d’une gratuité sélective identique à celle en vigueur en Wallonie et à Bruxelles, avait surpris. Mais elle est restée sans lendemain et n’est pas reprise dans la note « Vision rail 2040 » déposée par le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet (Ecolo). Chaque parti, à cette occasion, y est allé de sa petite déclaration rappelant son point de vue. La gauche radicale (PTB) a fait de la gratuité totale une de ses revendications sociales importantes au plan régional (mais curieusement pas au plan fédéral où il est plutôt question de sélectivité et de réduction des tarifs). À l’autre extrémité du champ politique, la droite MR s’oppose à toute gratuité sous l’angle du slogan « rien n’est gratuit », tentant de semer la confusion entre la gratuité de l’accès et l’évidente impossibilité d’assurer un service de transport sans faire face aux coûts. Pour les centristes (Les Engagés et Défi), les écologistes et les socialistes, on s’oriente plutôt vers une gratuité sélective de l’accès aux transports en commun ; la gratuité pour les jeunes et les seniors fait consensus. Et elle est présente dans les décisions des gouvernements régionaux bruxellois et wallon.Au Nord du pays, depuis l’arrêt de la gratuité totale expérimentée à Hasselt, ce thème a tout simplement disparu des débats.
La plupart des organisations syndicales estiment quant à elles que pour réussir une politique de gratuité, il faut vraiment s’en donner les moyens et donc accroître la qualité du service rendu ainsi que la fréquence des transports en commun. Mais c’est difficile dans le cadre d’une enveloppe fermée et sans une autre fiscalité, qui permettrait de mieux financer globalement les services publics. Jean-Paul Gailly

MAXIME BRUGGEMAN : Moins de voitures, oui, c’est aussi notre vision, nous rejoignons vraiment les positions de l’association Inter-Environnement Wallonie[2. Inter-Environnement Wallonie, devenue Canopea à l’été 2022, est la fédération des associations de protection de l’environnement en Wallonie. Pendant bruxellois : Inter-Environnement Bruxelles. (NDLR)]. Nous souhaitons faire prendre conscience de l’importance de cet enjeu. Mais nous nous occupons de la Wallonie, cela signifie qu’il faut des réponses adaptées, il ne s’agit pas, par exemple, de mettre en place une taxe kilométrique sans s’intéresser à la composition ou aux revenus des ménages wallons. Nous plaidons pour la mise en place de plans de déplacement dans chaque entreprise, pour trouver des réponses « à la carte » pour les travailleurs, car on ne va pas pouvoir créer des lignes de train au milieu d’un zoning industriel ! On peut par contre envisager une ligne de bus, qui est plus facilement adaptable, ou évoquer le vélo et le co-voiturage, qui est la solution la plus facile à réaliser… mais qui s’écarte significativement de la mentalité ambiante depuis les années 1950 et 1960 selon laquelle la voiture est la continuité de la propriété privée. On imagine que nous nous sentons bien, tout seul dans notre voiture, et qu’il est dérangeant d’avoir quelqu’un d’autre avec soi.

Nous essayons aussi de mener des débats au sein de nos organisations syndicales, ce qui n’est pas toujours facile ! Par exemple, dans certains secteurs, la question des voitures de société se pose. Comment leur dire que l’équivalent de 500 euros de salaire par mois va leur être retiré ? Notre vision de la mobilité va aussi de pair avec un réaménagement du territoire : il faudra construire ou déménager les entreprises là où des offres de transports existent déjà et pas construire au milieu des champs et ensuite se plaindre qu’il n’y a pas de transports.

Vous avez mentionné les inégalités géographiques et les inégalités financières, avez-vous identifié d’autres types d’inégalités en matière de mobilité ?

MAXIME BRUGGEMAN : Mentionnons aussi les inégalités de genre, qui sont calquées sur le reste de la société. Il existe un plafond de verre au niveau des fonctions dans les entreprises. Les voitures de société bénéficient plus aux hommes, malheureusement. Celles qui galèrent le plus, ce sont les travailleuses des titres-services, qui sont majoritairement des femmes qui n’ont pas toujours les moyens de s’acheter une voiture. Elles peuvent s’en sortir avec les transports en commun à Bruxelles ou dans des grandes villes comme Charleroi ou Liège, mais c’est beaucoup plus difficile en-dehors de ces pôles. Les inégalités de genre se reflètent sur les salaires, sur la mobilité, sur l’impact sur l’environnement, qui est moindre pour les femmes.

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JULIE RIGO : L’accès à la mobilité est effectivement très inégal en fonction des revenus. Ceux qui ont les plus bas salaires n’ont le plus souvent pas de voiture et dépendent le plus des transports en commun. D’autres inégalités se marquent par rapport aux capacités des personnes. Nous nous trouvons face à une mobilité de plus en plus digitalisée, il faut acheter les tickets en ligne, etc. Des personnes éprouvent des difficultés à ce sujet. Toute cette mobilité qui dépend d’outils informatiques n’est pas plus accessible, bien au contraire.

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MAXIME BRUGGEMAN : Je pense aussi que la politique de gratuité de la Région wallonne engendre une inégalité. Pourquoi rendre les transports en commun gratuits de 18 à 25 ans ? Pourquoi pas les plus jeunes ? Dans une même famille, cela fait des différences en fonction de l’âge des enfants.

JULIE RIGO : C’est là que nos positions diffèrent. Il manque des morceaux de gratuité, c’est vrai : les 12-18 ans mais qui ont déjà un tarif réduit et les demandeurs d’emploi. Les 65 ans et plus, les 18-25 ans et les personnes bénéficiant du statut BIM sont déjà concernés. À la FGTB, on estime cependant que la gratuité n’est pas un objectif en soi pour l’instant et les raisons en sont visibles dans l’étude de l’Iweps : seule une personne sur cinq utilise un arrêt de bus qui se trouve à moins d’un kilomètre de chez elle. Il faut augmenter la qualité du réseau pour convaincre les gens. On ne le fera pas par la gratuité, on le fera parce que le réseau sera performant et quand il constituera vraiment une alternative à la voiture individuelle. Donc, renforçons d’abord le réseau… et puis seulement pensons à la gratuité. J’ajoute qu’il faut bien comprendre que pour nous, c’est aux employeurs à financer la mobilité des travailleurs. Pour nous, il faut donc une prise en charge à 100 % des transports en commun, il faut une généralisation de l’indemnité vélo, etc.

MAXIME BRUGGEMAN : Oui, nos positions divergent. À la CSC wallonne, nous pensons qu’il faut d’abord mettre en place la gratuité des transports en commun pour ouvrir le débat sur les offres et débloquer la question. « C’est gratuit mais je n’ai pas de bus près de chez moi, comment vais-je faire ? » Notre positionnement est différent mais notre objectif final reste le même.

Durant les premières vagues de la pandémie de coronavirus, le télétravail a été instauré pour un certain nombre de travailleurs et travailleuses. Ce télétravail a parfois été présenté positivement, notamment par la diminution des trajets qu’il a engendrée et donc son impact bénéfique sur l’environnement. Qu’en pensez-vous ?

JULIE RIGO : Avant la pandémie, 17 % des Belges télétravaillaient déjà. On ne partait pas de zéro, mais la pandémie a donné un coup d’accélérateur puisque beaucoup de travailleurs ont été obligés de passer au télétravail, ce qui leur a d’ailleurs permis de conserver leur salaire. L’impact sur l’environnement et la mobilité est, lui, assez mitigé. Il existe une étude du Bureau du Plan[3. Bureau fédéral du Plan, Télétravailler plus pour circuler moins ? Utile, mais insuffisant, 20 novembre 2020. ] qui montre que le télétravail à lui tout seul ne va pas résoudre les problèmes de mobilité des travailleurs. S’il fait partie des outils à disposition, le télétravail pose toute une série de problèmes sociaux, économiques et même environnementaux.

Par exemple, faire des visioconférences alors que certains des participants sont sur leur lieu de travail, cela signifie doubler les impacts environnementaux : les impacts du trajet des travailleurs et les impacts de la visioconférence. La question de l’énergie est également cruciale.

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MAXIME BRUGGEMAN : C’est comme les panneaux solaires, seuls ils ne vont pas produire toute l’énergie dont nous avons besoin à l’avenir. Il faut combiner le télétravail à d’autres mesures. Je pense notamment à certains bureaux pendant la pandémie où tous les ordinateurs n’étaient pas éteints, le chauffage y était allumé, alors que les travailleurs télétravaillaient et se chauffaient à leur domicile. On double, là aussi, l’impact écologique. En revanche, au niveau congestion des villes et embouteillages, et donc l’impact polluant des embouteillages, il est vrai que cela résout en partie le problème, surtout dans les grandes villes. Le télétravail ne règle cependant pas la question des trajets locaux qui polluent plus car on allume le moteur pour un tout petit trajet.

En Belgique, à partir de 2026, les voitures de société devront être électriques, comment analysez-vous cette décision ?

JULIE RIGO : Il s’agit d’une décision du gouvernement fédéral de verdir le parc des voitures de société. Cela ne résoudra pas tout. Pour l’instant, le projet ne comporte pas de paramètre qui concerne la masse, ni la puissance des voitures, par exemple. Si le projet est d’aller vers des voitures SUV électriques, qui font plus de deux tonnes, c’est une erreur. Idéalement, le concept même de voiture salaire devrait être écarté. Quand on a une voiture de société, on fait moins de co-voiturage, on utilise moins les transports en commun. Il s’agit d’un système qui prône une mobilité individuelle. Cette mesure n’est donc pas soutenable si on s’intéresse aux objectifs climatiques. Elle n’est pas soutenable non plus pour le budget de l’État. Nous sommes doués pour cela en Belgique : on prend des décisions pour ne pas fâcher. Si on veut vraiment être cohérent, il faut sortir de ce système, tout en n’impactant pas le salaire des travailleurs.

MAXIME BRUGGEMAN : Au niveau de la CSC wallonne, nous avons décidé que nous voulions mettre fin au régime des voitures de société. C’est un autre débat au niveau de la CSC nationale car une communauté du nord du pays est plus frileuse sur cette question. Les clivages politiques se reflètent dans nos syndicats, et c’est normal. Il faut cependant une compensation pour les travailleurs, ils ne doivent pas perdre en droits, et il faut de vraies alternatives qui ne sont pour l’instant pas couvertes par le budget mobilité[4. Le budget mobilité est un budget que l’employeur octroie à un travailleur chaque année pour remplacer une voiture de société traditionnelle à laquelle il a droit. Le travailleur peut ainsi dépenser ce budget dans les alternatives durables de son choix.], en tout cas moins bien couvertes en Wallonie. Je prends souvent cet exemple en formation : pourquoi y a-t-il autant de Tesla en Wallonie ? Je ne pense pas qu’il y a autant de gens qui peuvent se payer une voiture à 70 000 euros. Les dés sont donc pipés avec cet avantage fiscal qui permet à des sociétés qui ont des gros portefeuilles, comme les industries pharmaceutiques, de s’acheter ces voitures et de les amortir en quelques années.

Ceci montre bien que les inégalités sont engendrées par ce système. Les entreprises reçoivent une déductibilité de 200 % pour les bornes électriques, espérons que cela encourage à avoir des bornes partout et surtout qu’elles les mettent à disposition de tout un chacun, et pas uniquement pour leur personnel.

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Rencontrez-vous des difficultés dans votre travail ?

JULIE RIGO : 58 % des Wallons habitent à maximum 15km de leur lieu de travail. Parmi ces personnes, 83 % utilisent leur voiture. C’est énorme. Et je dirais que c’est la plus grande difficulté pour mettre les travailleurs, et la population en général, sur une voie qui leur permette de changer de mode de transport. Il y a un grand travail culturel à faire sur la place de la voiture et sur son impact environnemental et sociétal, pour que la population comprenne qu’elle dispose d’accès à des alternatives et qu’elle peut changer sa mobilité. Cela ne relève pas toujours de problèmes dans l’offre de transport, cela relève d’un changement culturel et c’est le plus difficile à faire ! Oui, on peut faire les choses autrement, mais on doit surtout le vouloir ! Ce changement de comportement et de paradigme est encore à construire.

MAXIME BRUGGEMAN : À propos des difficultés, quand on donne une formation aux délégués du secteur automobile, on n’est pas très bien accueillis, et c’est quelque part normal puisqu’ils défendent leur emploi. En tant que cellule mobilité, nous leur expliquons qu’à terme il faudra moins de voitures ou que la construction d’une voiture thermique demandera plus de main-d’œuvre qu’une voiture électrique et que des pertes d’emploi s’en suivront, du moins dans un premier temps. Nous nous prenons des volées de bois vert, cela fait partie du jeu car nous ne sommes pas là pour tenir des discours qui font plaisir. Nous devons expliquer vers où nous devons aller si nous voulons respecter les objectifs européens en matière de mobilité et d’environnement. J’ai récemment formé des délégués commerciaux qui vendent des voitures. Leur métier va disparaître car, à l’avenir, moins de voitures seront vendues, nous garderons nos voitures plus longtemps, etc, mais il est difficile pour eux de regarder la réalité en face, et je le comprends tout à fait. On voue un culte à la voiture individuelle, qui est une construction sociale, on nous bassine les oreilles avec des publicités de voitures tournées dans des environnements sauvages alors qu’on va plutôt se retrouver bloqués dans un embouteillage aux environs de Liège ou de Tournai. C’est ça qu’il faut déconstruire. Et nos délégués sont le reflet de cette société, certains sont des freins et d’autres poussent aussi pour un changement ! La Wallonie se donne les moyens qu’elle peut pour accompagner ce changement, la Région arrête enfin de considérer le vélo comme étant une activité réservée aux touristes et commence à construire des corridors vélo, comme en Flandre, qui seront plus pratiques pour se déplacer au quotidien. Nous avons parlé des travailleurs et des délégués mais ce n’est pas facile non plus avec les patrons. Pour le plan de relance, nous avions plaidé, Julie et moi, pour que la création d’un plan de déplacement des entreprises soit contraignant à partir de 100 équivalents temps plein, comme à Bruxelles. Ces plans de déplacement doivent préciser comment la mobilité sera modifiée et améliorée. Ils n’ont pas accepté.

JULIE RIGO : Oui, en Wallonie, il manque d’outils contraignants dans les entreprises. Nous n’avons plus le temps de croire qu’on peut laisser le choix ou la possibilité en fonction des bonnes volontés en présence. À Bruxelles, la législation est plus contraignante, notamment avec l’obligation de plan de déplacement. En Wallonie, il n’existe pas d’obligation de mettre en place un plan de déplacement d’entreprise ou un plan de déplacement à l’échelle d’un parc d’activités ou encore d’avoir un parking vélo. Rien n’oblige les employeurs à bouger. C’est une occasion ratée, parce que les déplacements domicile-travail sont des déplacements importants, ils structurent souvent le reste de la mobilité. Il faut travailler sur cette mentalité et contribuer à faire changer les choses rapidement, cela devra passer par une législation plus contraignante.

MAXIME BRUGGEMAN : C’est plus facile de culpabiliser les individus et de demander des efforts individuels, comme uriner dans la douche. Même si nous étions tous des apôtres de l’environnement et de la mobilité douce, nous n’atteindrions qu’une réduction de 25 % des émissions à effet de serre, alors que les entreprises produisent 40 % de ces émissions. C’est au travers des délégués syndicaux que nous pourrons impulser des changements dans les entreprises et dans le reste de la société.

Propos recueillis et retranscrits par Camille Wernaers le 10 juin 2022.

(B)RISE : LES SYNDICATS ET LA SENSIBILISATION À L’ENVIRONNEMENT ET À LA MOBILITÉ
L’implication des syndicats interprofessionnels dans la problématique de mobilité est récente. Elle était laissée auparavant aux syndicats sectoriels de la route ou du rail. Cette nouvelle structuration de leur action dans une dynamique intersyndicale témoigne d’une évolution significative des mentalités en leur sein. À Bruxelles, le réseau Brise rassemble la CSC, la CGSLB et la FGTB. Son objectif est d’intégrer le souci de la durabilité dans les pratiques syndicales et de développer des emplois plus respectueux de l’environnement et des travailleurs (santé, conditions de travail, bien-être des générations actuelles et futures). Un bon exemple d’action : la fiche d’action syndicale concernant les plans de déplacements d’entreprises et leur utilisation comme levier syndical. En Wallonie, c’est le réseau Rise, réunissant la CSC et la FGTB, qui est actif. Il vise lui aussi à renforcer la capacité d’intervention des délégués des travailleurs dans les entreprises sur les questions environnementales et sur la mobilité. Un exemple intéressant d’action : l’organisation d’un « Défi Mobilité » pour les représentants des travailleurs. Jean-Paul Gailly

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY-NC-SA 2.0 ; illustration d’un métro à Bruxelles, prise en septembre 2012 par Antoni Ponte.)