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Antiracisme : quand les premier·es concerné·es s’organisent

En 2020, plusieurs revues associatives et médias alternatifs ont exploré les dynamiques récentes des mouvements antiracistes dans le but d’en exposer leurs nouveautés. Dans ce dossier de Politique, nous avons au contraire choisi d’observer les continuités dans les pratiques militantes au sein des associations antiracistes. Ce dossier n’a pas la prétention de répondre à la question de savoir si le nouveau souffle de l’antiracisme devrait ou non être qualifié de « nouveau mouvement social ». Le terrain est trop incertain et les questionnements et niveaux d’analyses sont vertigineusement multiples.

Cependant, nous espérons au moins qu’il remette en question ce qui semble tenu pour acquis : quelles sont les ruptures et les continuités entre ces nouvelles dynamiques et le militantisme antiraciste d’hier ?
Dès le départ, nos interrogations ont particulièrement porté sur l’auto-organisation – c’est-à-dire l’organisation par les premier·es concerné·es – des associations antiracistes en Belgique.

Nous voulions réfléchir sur le sens des mobilisations militantes qui ne sont pas uniquement le fruit d’un engagement politique ou moral, mais répondent aussi au besoin intime et profond de parler de soi, pour soi, en reconnaissant que l’action n’est pas réservée aux professionnels de la politique. Bien sûr, les différents élans sont liés : ce n’est pas parce qu’on agit comme militant·e d’un parti qu’on n’est pas, à l’occasion, susceptible de parler des « siens », ni parce qu’on se mobilise pour une cause spécifique qu’on ne fait pas de politique.

Ainsi à la lumière de l’expérience d’anciennes et de jeunes associations, nous avons souhaité observer les ruptures et continuités concernant leur manière de s’auto-organiser. À cet égard, les tensions en présence dans le champ antiraciste ont rendu essentiel et préalable un retour argumenté sur le concept de « race ».

Mobilisé comme catégorie sociale pour dénoncer les discriminations, il crispe toutefois de nombreux militants, en ce compris antiracistes. Différentes luttes sont présentées à travers des contributions d’acteurs et actrices de terrain réfléchissant sur ce qui est nouveau et ce qui est ancien dans les pratiques et outils conceptuels des associations qui luttent contre le racisme.

À travers les témoignages et entretiens, quatre associations évoquent les autoorganisations d’hier et d’aujourd’hui dans deux communautés différentes : l’émergence d’une auto-organisation des immigrés marocains dans les années 1970 et la vitalité des débats autour de la culture africaine à travers deux
associations nées après 2005.

Loin de clore le débat, nous espérons que ce dossier pourra constituer le début d’une réflexion sur la complexité du mouvement antiraciste ainsi qu’un appel à un travail de mémoire sur les fondements des engagements et pratiques militantes antiracistes. Nous espérons que sa lecture permettra de semer des questionnements nécessaires parmi ceux et celles qui mènent la lutte antiraciste, quel que soit le terrain d’action.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe d’établir le cadre méthodologique des questionnements qui ont animé l’équipe de coordination. Il est présenté dans l’article introductif de Yasmina Zian.

Concepts sous tension

À partir des débats autour de l’universalisme, Jean Paul Colleyn expose les arguments mobilisés de part et d’autre pour justifier ou éviter le concept de « race ».
Le débat organisé par Gregory Mauzé avec Petya Obolensky et Khadija Senhadji illustre les relations parfois contradictoires entre les concepts de « race » et « classe » alors que le texte de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), introduit par Henri Goldman, explore le lien singulier entre les luttes contre le racisme et l’antisémitisme.

Regards pluriels

Au cœur de l’actualité, les enjeux liés à la culture et aux violences policières s’invitent dans ce dossier. Pierre Beaulieu décrit combien la dimension culturelle est au centre des activités et intérêts de récentes associations antiracistes et comment la pratique artistique permet une émancipation politique. Il remet ainsi au cœur de l’analyse « l’infrapolitique ». Axel Mudahemuka Gossiaux, puis France Blanmailland, interrogent la persistance des violences policières à l’égard des personnes racisées et les mobilisations qu’elles suscitent. L’article que F. Blanmailland consacre au Minderhedenforum, complété par une interview de Fred Dhont, offre un double regard sur les associations ethnoculturelles en Flandre et leur rôle dans la cohésion sociale.

Témoignages d’auto-organisation

Enfin, les contributions d’acteur·rices de terrain éclairent l’évolution de l’auto-organisation des associations antiracistes en soulignant les continuités et ruptures. Ziad El Baroudi et Zoulika Atarhouch reviennent sur l’histoire du Regroupement démocratique marocain et de la Jeunesse maghrébine, deux associations issues de l’immigration maghrébine dans les années 1970. Tandis que les entretiens réalisés avec Anne Marie Georgine Dibua Mbombo d’une part, et Frédéric Lubansu et Axel Mudahemuka Gossiaux, d’autre part, mettent en lumière la valorisation de l’histoire et de la culture comme outils
politique et antiraciste dans les associations Afropean Project et Bakushinta plus récentes de la diaspora africaine.

20 mars 2021

Ce dossier a été coordonné par Yasmina Zian avec la collaboration de Pierre Beaulieu, France Blanmailland, Ziad El Baroudi et Gregory Mauzé.