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Une feuille de route pour changer de cap

L’exercice pourrait sembler utopique, sinon vain. Comment, dans un monde globalisé et écrasé par un capitalisme financier triomphant, dans une Europe étouffée par des impératifs monétaristes castrateurs, dans un rapport de forces entre travail et capital qui ne cesse de se détériorer au profit du dernier nommé, comment imaginer qu’on puisse demain mener une autre politique économique ?
À quel niveau de pouvoir le décideur politique a-t-il encore réellement la main ? Ne s’en est-il pas automutilé au gré des différentes mesures auxquelles il a consenti au niveau supranational ? À ces questionnements tragiques, on ne peut opposer aujourd’hui que le volontarisme d’une espérance récemment confortée par quelques constats : le refus chaotique mais radical qu’opposent, un peu partout, les perdants du système à sa pérennité ; la conviction de plus en plus unanime que cette pérennité conduit inévitablement à une catastrophe environnementale majeure ; la mobilisation inédite de couches nouvelles de la population pour tenter d’empêcher cette catastrophe et, donc, de changer le système qui la produit.
Politique a voulu dresser un tableau aussi lucide que possible de l’héritage que nous lèguent les politiques économiques menées jusqu’à présent. Mais il aurait été désespérant de se limiter à ce bilan. Il fallait se tourner vers ceux qui disposent peut-être d’une clé pour changer la donne, du moins en Belgique francophone, et au premier chef les partis de gauche et les organisations de travailleurs. Il fallait savoir ce qu’ils considèrent comme des priorités économiques absolues pour que demain ne ressemble pas à aujourd’hui.
Leurs réponses clarifient la perspective.
On notera une unanimité sur la nécessité de lier étroitement les politiques sociale, économique et environnementale, avec pour objectif un développement à la fois écologiquement durable et socialement équitable. Un large front se dégage aussi pour libérer des marges budgétaires en faveur des investissements publics, pour la réduction collective et concertée de la durée hebdomadaire du travail, pour une plus grande justice fiscale et pour rendre aux interlocuteurs sociaux une totale liberté de négociation.
Bref, ces politiques keynésiennes qu’honnissent les thuriféraires du néolibéralisme. On pourra dire qu’il n’y a là rien de révolutionnaire, mais au moins ces lignes de force ont-elles le mérite d’ouvrir quelques fenêtres et de faire souffler un air moins putride.

État des lieux

La Belgique est une petite économie ouverte sur le monde. Aujourd’hui, au niveau mondial et européen, il est commun de qualifier de financier le modèle économique capitaliste dominant. Henri Houben interroge ce concept pour lui préférer celui de « nouveau capitalisme financier », avec ses nouveaux acteurs : les « sociétés de gestion d’actifs ».
D’où vient-on au juste en matière de politiques économiques en Belgique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Le tirage sépia que propose un collectif d’auteurs autour de Réginald Savage n’est pas réjouissant : c’est l’histoire de l’abandon progressif des instruments qui permettent à l’État de soutenir le bien-être collectif.
L’histoire toujours avec celle de la (re)distribution des richesses en Belgique depuis 70 ans. La richesse totale d’un pays ou d’une région est, en très grande partie, produite par les salarié·es. Or, la partie de cette richesse qui leur est rétrocédée, nous explique Bruno Bauraind, varie en fonction des rapports de forces. Leur évolution révèle une inégalité flagrante.

Propositions

Campagnes électorales de 2019 obligent, nous avons sollicité les trois plus importantes formations politiques francophones de gauche ainsi que les deux grandes organisations syndicales.
À chacune, nous avons posé la même question : quelles sont vos priorités économiques ?
Pour Gilles Doutrelepont (PS), trois défis : les inégalités (qui augmentent), le climat (qui va mal) et la révolution numérique (qui s’impose). Michel Genet (Ecolo) met quant à lui l’accent sur l’assocation justice sociale – justice environnementale. Pas question de choisir entre « fin du mois » et « fin du monde ». David Pestieau (PTB) appelle à un changement radical de paradigme. Sortir du cadre néolibéral par un « red-green deal », une opération « récup richesse » et un « robin des bois fiscal ».
Au niveau syndical, la CSC (Muriel Ruol) veut une transition juste, investir dans les infrastructures, revaloriser l’enseignement technologique et scientifique, entre autres. À la FGTB (Robert Vertenueil), on insiste pour donner de l’emploi à tou·tes et viser une croissance inclusive respectueuse de l’environnement, avec accent sur l’intégration de la numérisation.
Nous avons également sollicité des acteurs de la société civile pour présenter leurs priorités socio-économiques (la famille avec Delphine Chabbert, le logement avec José Garcia, la réduction du temps de travail avec Michel Cermak, la fiscalité avec François Gobbe et le climat avec Nicolas Van Nuffel).