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Vous avez dit « confédéralisme » ?

L’Open VLD était pour le confédéralisme, il ne l’est plus. Le CD&V l’est toujours, à condition qu’il soit « positif ». La N-VA, évidemment, quoique son véritable horizon serait bien, à ce qu’on dit, la fin de la Belgique, objectif avoué du Vlaams Belang. Le SP.A et Groen sont contre : ils sont fédéralistes comme tous les partis francophones, étonamment unanimes sur ce point. Vous avez suivi ? On reprend…

Le politologue américain Vincent Ostrom indiquait en conclusion de son The Meaning of American Federalism que le fédéralisme n’est pas juste une forme de gouvernement, c’est une méthode pour résoudre les problèmes, un way of life. Cette affirmation est parfaitement transposable à la Belgique, même si, dans notre pays, l’idée fédérale s’est développée sans alliance (convenant) ou contrat (compact) formel entre les entités participantes. La solution belge, puisque les responsables politiques étaient d’accord sur le désaccord, a plutôt été de progressivement transférer aux entités fédérées nouvellement créées les compétences qu’il n’était plus possible ou trop difficile de gérer en commun.

Assez curieusement, alors que certains agitent le spectre du confédéralisme comme étant la prochaine étape vers la désintégration du pays, il pourrait s’agir de la première opportunité pour rassembler (et ainsi reconnaître !) formellement l’ensemble des partenaires de cet « ensemble » belge. On pourrait ainsi finalement atteindre une réelle gestion polycentrique du pays, comme aux États-Unis alors que, aujourd’hui, la gouvernance est – quoi qu’on en pense – excessivement simplifiée car court-circuitée par les partis politiques qui organisent la coordination entre les différents niveaux de pouvoirs sous une forme de conférence politique consociative[1.Un régime consociatif est typique de certaines sociétés divisées où le pouvoir est partagé, dispersé et limité entre les différents segments de la population.]Louka Meliava et non comme une succession d’accords impliquant l’organisation de relations intergouvernementales quasi institutionnalisées. Il n’y a rien de tel en Belgique et, de manière surprenante vu de l’extérieur, les négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral constituent, en règle générale, la première occasion pour des responsables politiques du Nord et du Sud du pays de se côtoyer. En effet, les partis étant organisés sur base communautaire et les élections ne permettant pas aux partis francophones et néerlandophones de s’affronter, notre pays se caractérise par un double système de partis totalement cloisonné, à la mince exception de Bruxelles. Et, jusqu’à aujourd’hui, force est de constater que le Sénat n’a pas exactement joué le rôle typique d’une chambre des entités fédérées. Sans doute parce que l’appartenance partisane l’emporte sur la représentation d’une entité fédérée précise.

Un « fédéralisme de cons », vraiment ?

Aussi provocant que ce soit, il s’agit d’une analyse, non d’un avis personnel et encore moins d’une recommandation. Les politologues et constitutionnalistes ont longtemps été conviés à faire profiter leurs homologues étrangers, voire d’autres gouvernements (pensons à Chypre ou Israël), de l’expérience du système fédéral belge. C’est évidemment nettement moins le cas depuis les 540 jours de crise de 2010-2011 et la réforme de l’État qui en découle. Encore que les réserves que l’on peut exprimer quant à la transposabilité du système belge ne sont pas neuves[2.C. Van Wynsberghe, « Les faiblesses de la formule fédérale belge », L’idée fédérale, avril 2011.]. On est cependant loin de la mise en œuvre du confédéralisme en Belgique et c’est évidemment heureux car il remettrait en cause toute la solidarité interpersonnelle sur laquelle est bâti notre modèle de sécurité sociale. Néanmoins, ce mot n’est pas tabou et n’est plus cantonné à l’acception légendaire de Francis Delpérée (le fédéralisme des cons). Il sera encore au cœur de la campagne de la N-VA et probablement inscrit au programme électoral du CD&V, sans parler du Vlaams Belang qui ne se satisfait pas de cette option et préfère une vision plus radicale encore.

Les programmes pour 2014 n’étant pas encore disponibles, nous pouvons nous référer à ceux rédigés – rapidement certes – par les partis à la veille des élections (anticipées, ce qui expliquait la précipitation) de juin 2010, mais aussi intégrer les déclarations faites à la presse ou encore les rapports de congrès de partis. À côté des partis francophones, des écologistes et des socialistes flamands, tous fédéralistes (défendant le statu quo), et du Vlaams Belang clairement séparatiste, trois partis flamands (N-VA, CD&V et Open VLD) se démarquaient en optant pour le confédéralisme et en l’inscrivant dans leurs textes programmatiques[3.voir R. Dandoy, G. Matagne et C. Van Wynsberghe, Le fédéralisme belge. Enjeux institutionnels, acteurs sociopolitiques et opinions publiques, Louvain-la-Neuve, Academia- L’Harmattan, pp. 97-107 et pp. 227-243, 2013.].

Aucun cependant n’arrête une définition du confédéralisme, mais on pouvait comprendre de leurs (courts) passages consacrés à ce sujet qu’ils souhaitent que les entités fédérées [4.aucune mention n’est faite au type d’entité fédérée (Région ou Communauté), or cela n’est pas sans importance concernant l’avenir de Bruxelles. Les programmes évoquent le terme relativement passe-partout de « deelstaten ».] se placent désormais au centre du dispositif institutionnel. En s’appuyant sur les programmes du CD&V et de l’Open VLD – d’ailleurs curieusement mots pour mots identiques à ce sujet – on pourrait comprendre le confédéralisme comme étant un déplacement du centre de gravité du fédéral vers les entités. Cela correspondrait à la poursuite d’une certaine logique jusqu’au-boutiste quasi sans précédent contemporain (la comparaison avec l’ex- Yougoslavie n’est que peu appropriée, étant donné le mode de règlement par le conflit). À la réflexion, il est délicat de toujours qualifier cette tendance de fédérale étant donné que l’acception commune, et certainement l’étymologie du terme, visent l’union et non la désunion. Si la Belgique d’aujourd’hui est une fédération et que celle d’hier avait la forme d’un État unitaire, cette dynamique est, à terme, séparatiste. C’est d’ailleurs la piste adoptée par la N-VA, qui refuse d’assumer que le confédéralisme implique nécessairement la séparation, la scission, de la Belgique en différents nouveaux États indépendants. L’Open VLD était tout aussi ambigu dans son programme car il ajoutait que le scénario confédéral permettait d’éviter le séparatisme et donc de maintenir l’unité du pays.

Une confédération sans parlement ni gouvernement

C’est évidemment à ce genre de mention que l’on se convainc que l’acception politique – stratégique en fait – est assez éloignée de la signification scientifique. Les spécialistes des études fédérales considèrent classiquement qu’une confédération est instaurée par un traité entre des États totalement indépendants qui décident de se concerter, voire de mettre en commun un nombre réduit de compétences, tout en conservant leur souveraineté. Il s’agit d’une démarche coopérative. Pour être tout à fait exact cependant, il faut reconnaître que l’indépendance de ces États ne doit pas être ancienne. On peut donc ainsi imaginer consacrer la dislocation de la Belgique et la constitution d’une confédération dans deux textes successifs, dans l’intervalle de temps qu’il faut pour les signer (ceci sans présumer de probables difficultés de reconnaissance par l’Union européenne, mais cela nous éloigne de notre sujet). Les politologues comme Wheare ou Elazar ont, par ailleurs, précisé la distinction entre fédération et confédération. Ainsi, dans le premier cas, les gouvernements fédéral et fédérés interagissent avec les citoyens, tandis que dans le second cas, les citoyens ne sont en contact qu’avec le gouvernement de leur État (et non de la coupole confédérale). Il faut ajouter, sans être exhaustif, qu’il n’y aurait probablement ni gouvernement, ni parlement à une peu probable confédération belge, mais que les décisions communes seraient, dans ce cas de figure, sans doute prises lors de conférences inter-gouvernementales ponctuelles (les mêmes qui manquaient à la Belgique fédérale) et sur des thématiques précises. Notons que, sémantiquement, un politologue aurait tendance à évoquer la mise en commun de compétences par des États souverains, tandis que le programme de la N-VA entretient la confusion en parlant des compétences conservées par la coupole, sous-entendant ainsi que sa souveraineté ne serait pas remise en question.

En résumé, la confédération de la N-VA est une fédération vidée de la plupart de ses compétences. On peut supposer que ne resteront en commun que les matières problématiques (dette et Bruxelles essentiellement), ce qui est suffisamment surprenant pour être souligné. En effet, depuis les années 1960 jusqu’à la sixième réforme de l’État, les négociateurs n’ont eu de cesse de transférer aux Régions et aux Communautés les compétences qu’il n’était plus possible de gérer au niveau fédéral. Or le scénario confédéral de la N-VA ne maintient au niveau de la coupole uniquement les matières sur lesquelles aucun accord n’est possible ! C’est non seulement opposé à la logique fédérale belge (historique), mais également en contradiction avec la logique confédérale d’un point de vue scientifique, ce qui démontre bien l’aberration de la proposition.

Selon une vision « modèle », l’accord confédéral entre les États ex-belges devrait pourtant ressembler à un accord… fédéral typique. Une confédération belge consacrerait enfin la reconnaissance de toutes les parties prenantes à l’accord comme des partenaires à part entière et égaux. Même s’il ne s’agissait que des deux Communautés, cela signifierait qu’on a tranché entre la lecture communautaire et la lecture régionale. Ces partenaires seraient alors finalement les acteurs de leur propre destin, contrairement au jeu politique des 50 dernières années où les représentants des partis se sont accordés sur les différentes réformes de l’État à l’insu des entités fédérées. En effet, au fil des réformes et des négociations, elles n’ont jamais été consultées alors même qu’elles sont les principales « bénéficiaires » des transferts de compétences, et que les moyens de les assumer ne suivent pas automatiquement. À nouveau, les partis se sont substitués à la coordination et l’approbation intergouvernementale, là où dans d’autres fédérations l’accord d’une majorité de la population et d’une majorité des entités fédérées est nécessaire.

2014 : confédéralisme au frigo ?

Le spectre confédéral s’est néanmoins quelque peu éloigné. L’Open VLD a procédé à un virage à 180° en supprimant le confédéralisme de son programme et en consacrant, lors de son congrès de novembre dernier, le principe de subsidiarité et le fédéralisme. Bruxelles y obtient une reconnaissance comme Région à part entière, la circonscription fédérale figure en bonne place parmi les priorités, de même que la construction d’une Europe… fédérale. En quelque sorte, les libéraux flamands passent d’une vision stratégique (confédérale) à une vision romantique (fédérale). Il faudra évidemment voir comment ces éléments seront transposés dans le programme électoral.

Côté CD&V, on ne gomme pas la référence au confédéralisme mais on l’adoucit de l’adjectif « positif » et on montre combien la réforme du Sénat prévue par la sixième réforme de l’État est déjà compatible avec cette vision. Rappelons que dorénavant les sénateurs ne seront plus élus directement mais seront désignés par les entités fédérées (comprendre les Communautés, avec un quota pour Bruxelles). Ce changement tout relatif dans la composition du Sénat serait à même d’en faire une véritable chambre des entités fédérées qui devra toujours se prononcer sur les matières « communautaires », révisions de la Constitution y compris. Étant donné le poids des partis dans le système politique belge, il est cependant peu probable que cela induise le moindre changement structurel en matière de pratiques fédérales[5.Lire également C. Van Wynsberghe, Révolution copernicienne ?, Politique, n°80, mai-juin 2013, pp. 55-56].

La N-VA, quant à elle, n’a pas précisé les modes de gouvernance confédéraux (si ce n’est qu’il n’y aurait plus de parlement, mais bien un gouvernement restreint dont on ne sait pas à qui il rendrait des comptes), mais elle a eu l’occasion en octobre dernier de proposer son objectif en termes de distribution des compétences. La coupole « confédérale » ne tiendrait pas exactement de la coquille vide, mais plus de l’écheveau inextricable. Comme anticipé, la N-VA y laisserait la dette, mais également la défense ou la politique d’asile. Bruxelles (et la Communauté germanophone) se verrait dotée d’un statut particulier, dont on ne sait rien. Les militants seront amenés à se prononcer lors du prochain congrès sur un texte qui servira de base à la rédaction du programme électoral.

Un parti en Belgique n’arrive évidemment jamais à faire passer l’ensemble de ses idées, ne fût-ce que parce qu’une coalition est nécessaire pour gouverner à chaque niveau de pouvoir. Il n’est pas dit non plus que la N-VA aura ou l’opportunité ou l’envie de participer à des négociations pour former un gouvernement. Impliquée jusqu’à présent au gouvernement flamand, la N-VA reste un parti d’opposition au fédéral.

Trois pistes

Mais le confédéralisme n’est pas qu’une affaire d’étiquettes et de programmes électoraux, c’est aussi une série de tendances qui traversent notre système politique. Le mode de formation des gouvernements fédéral et fédérés suite aux élections de mai prochain devrait constituer un sérieux indicateur de la dynamique « fédérale » du pays. Ainsi nous pouvons isoler trois manières de faire qui donneront probablement le « la » lors de futures négociations pour une réforme de l’État. En effet, nous pouvons envisager un mode de formation fédéral, un mode de formation confédéral et un mode de formation unitaire alors que les élections fédérale et fédérées sont synchronisées.

La première piste, fédérale, est sans doute utopique et verrait se former chacun des exécutifs de manière indépendante. C’est peu probable, d’une part, vu le rôle centralisateur des partis organisés sur une base communautaire alors que les élections fédérées sont régionales et, d’autre part, vu la configuration particulière de la Communauté française qui méritera sans doute pour la première fois parfaitement son appellation de fédération Wallonie- Bruxelles. À la manière des poupées russes, on pourrait adopter la même grille de lecture en trois pistes pour la constitution de ce gouvernement. Rappelons que, classiquement, les fédérations ne tiennent pas l’ensemble de leurs élections législatives le même jour. Seul un décalage de calendrier entre le fédéral et les élections fédérées, mais aussi un décalage entre les élections fédérées, pourraient permettre d’envisager des formations totalement indépendantes en Belgique.

La deuxième tendance, confédérale, a déjà été envisagée au lendemain des élections de juin 2010 quand il a été question de former des majorités « calques » ou « miroirs ». Dans ce cas de figure, les entités fédérées constitueraient dans un premier temps leurs propres coalitions et le choix délibéré serait fait d’adopter des majorités symétriques au fédéral. De ce fait, on court-circuite la première étape classique dans la formation d’un gouvernement fédéral, à savoir le choix des partenaires. D’une certaine manière, ceux-ci seraient imposés par leurs entités d’origine, un peu à la manière dont est formé le gouvernement bruxellois (chaque groupe linguistique établit sa propre majorité de manière indépendante, à charge ensuite pour l’ensemble des partis concernés de rédiger un programme). Dans ce cas de figure, une symétrie entre les partis politiques d’une même famille n’est plus particulièrement recherchée, comme ce fut le cas précédemment. Il faut dire que les partis frères n’ont pas forcément évolué parallèlement et que des distances idéologiques ont été prises.

Enfin la troisième voie, de type unitaire, est assez similaire à ce qui était pratiqué à l’époque préfédérale belge (entre la création des Régions wallonne et flamande et les premières élections fédérées) : les gouvernements fédérés constituent une émanation du gouvernement fédéral. Concrètement, les gouvernements devraient se former en parallèle, à moins d’un blocage. La première option qui correspondrait à un fédéralisme mâture peut donc a priori être évacuée, sauf si les négociations fédérales sont telles qu’il deviendrait souhaitable/nécessaire que les majorités régionales soient mises en place au plus vite. Les 540 jours de crise de 2010-2011 n’auraient effectivement sans doute pas été concevables sans gouvernements fédérés. Le fédéralisme est notre way of life et le confédéralisme un épouvantail, même si des traits confédéraux sont déjà en place. À l’heure actuelle, le principal obstacle à la poursuite d’une expérience fédérale mâture n’est pas tant la menace que la N-VA peut faire planer sur l’intégrité du pays, mais le fonctionnement consociatif et particratique de notre démocratie. Ce sont cependant les deux bases qui assurent la stabilité de notre système politique, à la manière du pacte fédéral dans un pays comme les États-Unis.

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