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Lumumba, notre déshonneur

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Il est né le 2 juillet 1925. Hier, c’était son anniversaire. Il aurait pu mourir dans son lit, comme Nelson Mandela qui passe désormais pour un saint aux yeux du monde, Belgique compris. Mais non : la Belgique officielle, avec son gouvernement et sa monarchie, a armé le bras de ceux qui l’ont assassiné le 17 janvier 1961.

J’étais gamin quand les anciens coloniaux rentraient du “Congo belge” qui commençait à sentir le roussi pour eux. Dépités, ils avaient dû se résoudre à abandonner sur place leurs “boys” et leurs “boyesses”. Au cinéma, dans les actualités « Belgavox » qui précédaient l’entracte et la vente des esquimaux glacés, chaque fois que sa silhouette apparaissait, des vociférations montaient immanquablement de la salle. Un mot l’emportait sur tous les autres : “macaque”. À la même époque, quand j’accompagnais mon grand frère au stade pour voir les matches d’Uccle Sport, alors en division 2, la métaphore jouait à plein pour déstabiliser les joueurs noirs de l’équipe adverse, traités de “Lumumba” dans l’hilarité générale des mâles sportifs de la tribune. C’est dire avec quel soulagement son assassinat fut accueilli par une part majeure de l’opinion publique belge. Ce “macaque” n’avait eu que ce qu’il méritait.

Le temps a passé, ainsi que les générations. Des milliers d’afro-descendants sont devenus citoyens belges. Les plaies de l’histoire peuvent se cicatriser. Mais pas de deuil, pas de pardon sans reconnaissance du crime. En décembre 1970, le chancelier allemand Willy Brandt s’est agenouillé devant le monument au ghetto de Varsovie. En juillet 1995, Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la France dans la rafle du “Vel’ d’Hiv”. Mais en Belgique ? Les plaques de rue à la gloire des officiers belges coupeurs de mains n’ont pas été retirées – pas plus d’ailleurs que la statue équestre du guerrier islamophobe Godefroid de Bouillon sur la place royale. (Vous vous souvenez : ce héros national qui voulait chasser les “infidèles” de Jérusalem.) Oui, il y a encore du travail pour “décoloniser” notre récit national et pour y intégrer les chapitres que pourraient y écrire nos compatriotes arabes et noirs, notamment en revisitant notre histoire coloniale simultanément par les deux bouts. Et, pour commencer, il faudrait peut-être décoloniser la mouvance antiraciste qui a un mal fou à renoncer à son vieux paternalisme.

Lire à ce propos Mireille-Tsheusi Robert, Racisme anti-noirs, entre reconnaissance et mépris, Couleur livres, 2016.

Pour espérer pouvoir solder cette vieille dette, il faudrait un acte symbolique fort. Par exemple : donner le nom du Premier ministre congolais assassiné à un lieu public. Ce lieu existe. Il est à deux pas du quartier Matongé. Il a été choisi par de nombreuses associations qui, comme le collectif “Mémoire coloniale”, ont fait des enjeux de mémoire un des axes de leur quête de dignité et de reconnaissance. Virtuellement, il est même déjà reconnu par Google Maps. Mais pas question pour la bourgmestre Dominique Defourny (MR) : tant qu’elle sera bourgmestre, il n’y aura pas de place Lumumba à Ixelles, déclarait-elle en ajoutant finement : “Il y a 12.000 Français à Ixelles : est-ce qu’on doit donner des noms de Français connus à chaque rue? », ce qui démontre sans doute de sa part un sens aigu du vivre-ensemble.

Bientôt les élections communales. À Ixelles, cette question mérite d’être un enjeu.