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Pour une gauche médicale : médecine réparatrice ou émancipatrice ?

En politique comme en médecine, il y a des généralistes et des spécialistes. Entre les deux, la coupure ne peut être radicale : un bon généraliste doit avoir des notions de tous les domaines qu’il embrasse, un bon spécialiste sait que tout est lié et comprend dans quelle pièce il joue.

Dans les jeunes générations qui s’ouvraient à la conscience politique à la veille de mai 68, les deux espèces cohabitaient. À côté d’une nouvelle gauche purement politique, des gauches plus spécialisées aspiraient à révolutionner leur domaine d’activité conformément à un projet général de transformation. Ces mouvements affectèrent de nombreuses professions à fort contenu idéologique : les avocats, les journalistes, les architectes, les artistes. Et les médecins, dont la profession a connu sans doute la plus radicale remise en cause. C’est dans ce sens que nous parlons d’une « gauche médicale ».
Dans ce dossier, nous racontons ses engagements : ceux d’hier, d’aujourd’hui, peut-être de demain.

Cette gauche médicale s’est déployée depuis 1964 avec deux parrainages : la gauche politique en recomposition et la
critique philosophique des institutions productrices ou reproductrices de rapports sociaux détestables. Les figures tutélaires furent donc aussi bien Marx et le docteur Che Guevara que Foucault ou Illich.

La médecine de groupe, la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, la médecine humanitaire, le traitement des usagers de drogues, l’alternative à la psychiatrie asilaire constituent autant de changements radicaux dont la gauche
médicale fut maîtresse d’œuvre ou participante majeure. Chacun de ces sujets mériterait un dossier à lui seul mais c’est à un portrait de groupe qu’on s’est attaché ici.

Ce portrait de groupe est incomplet. La question de la formation des médecins, la réflexion sur les liens entre ces derniers et le reste des professions de la santé, la montée en puissance des multinationales de la pharmacie constituent autant de sujets manquants dans ce dossier. Mais celui-ci n’est pas une fin en soi. Pourquoi pas l’occasion d’un nouveau départ, ou à tout le moins d’un bilan d’étape ?

Ils sont nécessaires. La génération qui a donné à la gauche médicale une consistance institutionnelle s’en va progressivement à la retraite. À l’heure du bilan – qui ne vaut que s’il y a quelqu’un pour le lire et se l’approprier –, elle s’interroge quant à la pérennité de ce qu’elle a pu construire et à la possibilité de sa transmission.
Une somme d’expériences encore insuffisamment décrites – et a fortiori analysées – attend en effet qu’une génération nouvelle s’en saisisse pour les adapter aux fluctuations du contexte.

Jusqu’ici, les médecins se sont situés du côté des pouvoirs en place, en acceptant sans état d’âme une logique marchande qui se présente comme naturelle et incontournable.
Cette posture est renforcée par des organisations corporatistes qui les encadrent et les formatent. La sociologie médicale évolue cependant. Le nombre de soignants augmente, la profession se féminise, des médecins indépendants se paupérisent. De jeunes médecins prennent goût à de nouvelles formes de rémunération, et en particulier le paiement au forfait, alternative au paiement à la consultation. L’Ordre des médecins et les syndicats corporatistes perdent de leur superbe.

Face à cela, certains rêvent d’une nouvelle alliance, entre patients et soignants cette fois. Vaste chantier.

Les pages qui suivent doivent donc moins s’envisager comme un monument du souvenir que comme un objet transactionnel que leurs auteurs voudraient digne de la polysémie du terme « témoin » : celui qui dit ce qu’il a vu ou vécu et ce bâton que des coureurs se passent de main en main dans les relais pour poursuivre l’élan collectif.

Ce dossier a été coordonné par Georges BAUHERZ et Edgar SZOC.