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Roberto D’Alimonte : « Les difficultés du centre gauche : du M5S au « cas Renzi »

Roberto d’Alimonte enseigne et dirige le département des Sciences politiques de l’université privée romaine, la LUISS (Libera Università Internazionale degli Studi Sociali Guido Carli) fondée en 1974. Il est expert en matière de loi électorale et dirige le « Centro Italiano Studi Elettorali » (CISE).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hugues Le Paige : Existe-t-il encore une gauche en Italie ?

Roberto D’Alimonte : Il existe encore « quelque chose » de gauche. C’est une gauche extrêmement fragmentée. Il y a différents « morceaux » de gauche. Il y a naturellement un grand parti — le Parti Démocrate — qui se définit comme étant de centre gauche et qui l’héritier lointain du PCI.

Mais pour vous, le PD est encore un parti de centre gauche  ?
Oui. Mais à sa gauche, il y a un archipel de petits partis qui cherchent une identité1 et qui sont principalement constitués pour une part de scissions du PD et de groupes de la gauche plus radicale, d’autre part. La liste est très longue de ces groupes en recherche d’identité et d’unité. La gauche italienne, dans son ensemble, est en difficultés comme dans toute l’Europe. Son sort est aussi lié au système électoral. Et la nouvelle loi électorale favorise — et exige même — des coalitions qui ont été rendues difficiles en raison de toutes ces divisions. La gauche est donc en grave difficulté tant vis-à-vis de la droite que du M5S. Mais ce n’est pas la seule raison de ces difficultés. Le problème est aussi que de nombreux suffrages qui allaient à la gauche se sont portés sur le M5S qui est un mouvement de protestation unique avec cette particularité de la transversalité idéologique, politique et sociale de son recrutement et qui, selon les sondages, en fait le premier parti italien. Le M5S prend des voix à la gauche, mais aussi à la droite, en particulier dans le Sud. Et là, il les prend à l’électoral de Berlusconi. L’autre particularité est qu’en Italie, nous n’avons pas ou plus un parti de droite nationale. Forza Italia est un parti de la droite modérée — de centre droit. On a un parti de droite régionaliste, La ligue du Nord, on a un petit parti de droite, les Fratelli d’Italia, mais qui est concentré à Rome et dans le Lazio. L’unique parti de droite nationale qui était le MSI — Alleanze Nazionale (Mouvement Social Italien-Alliance Nationale)2 a disparu. Cette configuration s’explique aussi par le succès du M5S. Celui-ci est aussi transversal du point de vue social et générationnel. En dehors des plus de 55 ans, et dans toutes les catégories sociales (employés, indépendants, classes moyennes, diplômés ou sans qualification), le M5S est actuellement le premier ou le second parti.

Cela signifie que le M5S a occupé la place laissée vide par la gauche  ?
Oui, mais ce n’est pas la seule raison de leur succès. Le mouvement attire à lui beaucoup de jeunes qui ne se reconnaissent plus dans la gauche. Cette gauche n’a plus de représentation dans la jeunesse. Les syndicats sont essentiellement des syndicats de pensionnés. Le même phénomène existe pour les chômeurs qui ne sont pas représentés. Mais la principale raison du succès du M5S est sa position comme « parti de l’honnêteté », le parti contre la corruption. Certains points de sa plateforme en ont fait le parti des gens en colère. Le refus du financement public des partis politiques, comme celui du cumul des mandats ou des candidats sous inculpation ont fait du M5S le parti de ceux qui disent « cela suffit avec cette classe politique, avec cette caste ». Mais sa transversalité fait aussi qu’il vote en faveur de la construction de nouvelles prisons ou pour des mesures très restrictives à l’égard de l’immigration. Il refuse la dichotomie gauche/droite. Et, il est particulièrement fort dans le sud de l’Italie. Bien entendu, il faut encore ajouter aux raisons du succès du M5S, la personnalité de Beppe Grillo qui a marqué profondément la communication du mouvement. Cet homme de spectacle, comme Berlusconi est un homme de spectacle, a fait la fortune du mouvement. Le M5S est né au Nord et à gauche. Après sa victoire de 2012 aux élections régionales en Sicile, il deviendra le premier parti au Sud et il l’est toujours. En 2012, Grillo pour sa campagne avait décidé de traverser le détroit de Messine à la nage ! Succès médiatique… et populaire garanti.

Si le M5S occupe une partie du territoire politique abandonné par la gauche, pour en revenir au PD, Renzi, lui, a tourné une page de l’histoire du centre — gauche  et du PD. Il a définitivement rompu avec ce qui restait de la gauche issue du PCI et de ses héritiers de plus en plus lointains.
C’est certain. On parle aujourd’hui d’un New PD comme on parlait du New Labour de Blair. Renzi a imposé l’orientation social-libérale. Il a aussi précédé Macron dans cette voie. Et même s’il n’en parle plus aujourd’hui, Macron a salué la nouveauté politique que représentait à ses yeux Renzi. Beaucoup de choses les rapprochent sur le plan idéologique, mais aussi dans la politique socio-économique. La différence et que Renzi n’a pas voulu créer un nouveau parti. Il a voulu s’emparer du PD. Il a réussi, mais cela l’a entrainé dans de longues querelles politiques et de personnes. La personnalisation de la politique leur est commune, mais Macron dispose lui des institutions de la Ve République alors que Renzi doit composer avec les institutions italiennes qu’il a cherché à modifier, mais qui restent plus proches de la IVe République française. Mais il y a aussi un « problème Renzi ». C’est un homme de rupture dont la personnalité est très clivante. Il a refusé avec une certaine brutalité les pratiques consociatives et les complicités traditionnelles qui caractérisent le système italien. Il a beaucoup de difficultés à travailler avec des collaborateurs, sauf ceux qu’il contrôle complètement. En fait, il n’aime pas les équipes. J’en ai fait l’expérience personnelle en travaillant étroitement avec lui quand nous voulions mettre au point la loi électorale précédente (projet dit Italicum) qui a échoué. Il appelle certes des experts, mais il est incapable de constituer un vrai réseau de collaborateurs. Cela s’est vérifié dans la gestion du PD. Il cultive aussi l’idéologie du « faire » et veut multiplier les réformes en s’attaquant de front à toutes les résistances. Celles des syndicats, des salariés, des enseignants (qui constituent la base du PD). Cela explique, par exemple, son échec au référendum constitutionnel de décembre 2016 qu’il avait voulu transformer en plébiscite sur sa personne. Il n’est pas certain qu’il en ait tiré les conséquences…

1 Une partie d’entre eux comme MDP-Articolo1, Possibile et Sinistra Italiana formeront la liste Liberi e Uguaki (LeU). Voir le dossier.

2 Regroupant les postfascistes dont une partie se retrouve aujourd’hui dans les Fratelli d’Italia.