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Bruxelles-Gaza, le boomerang

Quel est le vrai point de départ de ce carnage ? Les tirs de roquettes sur Sderot ? Le bouclage hermétique de la bande de Gaza ? Le «coup d’État» du Hamas en 2007 ? Sa victoire électorale en 2006 ? Ou faut-il remonter à 1967 (Guerre des Six jours et occupation par Israël de toute la Palestine du mandat), à 1947(vote à l’Onu du plan de partage divisant la Palestine et créant l’État d’Israël.), à 1917 (déclaration Balfour par laquelle la Grande-Bretagne envisage avec faveur la création d’un foyer national juif en Palestine) voire en 1882 (première installation de colons juifs européens en Palestine)? Puisqu’il faut choisir, nous prendrons une date beaucoup plus récente : le massacre de Gaza a commencé à Bruxelles le 9 décembre 2008.

Ce jour-là, les ministres des Affaires étrangères des 27 États européens se prononçaient à l’unanimité en faveur du principe d’un «rehaussement» des relations avec Israël. Comme le relata alors le quotidien israélien Haaretz, «ce rehaussement se traduira notamment par une série d’activités communes telles la tenue à Bruxelles de sommets annuels entre le Premier ministre israélien et les chefs d’État européens (un premier sommet de ce type se tiendra en avril prochain) et des rencontres trimestrielles du ministre israélien des Affaires étrangères avec ses homologues européens.» Il paraît que la Belgique a eu des réticences. Mais pas au point de bloquer une décision inique qui requerrait l’unanimité. Au moment de cette décision, l’offensive sur Gaza n’a pas encore commencé. L’enclave palestinienne est «seulement» assiégée. Le même jour, Robert Falk, l’émissaire spécial de l’Onu, décrit ainsi la situation : «Israël poursuit son siège de Gaza avec acharnement, n’autorisant à peine suffisamment de nourriture et de combustibles pour éviter une famine de masse. Une telle punition collective constitue une violation flagrante et massive de la loi humanitaire internationale comme stipulée dans l’article 33 de la 4ème Convention de Genève

Une incroyable argutie

Personne n’ignore donc la situation sur place. Et c’est le moment que choisit l’Europe pour récompenser Israël en lui promettant un statut qui en fait l’équivalent d’un 28ème État de l’Union européenne. Insconscience ? Pas du tout. Stratégie dont vous jugerez de la subtilité. En réponse à une question parlementaire de Josy Dubié, le vice-Premier Patrick Dewael, au nom du gouvernement, fit lire la réponse suivante qui ne manque pas de sel : «Je vais profiter de ce dialogue intensifié entre l’Union européenne et Israël ainsi que des contacts bilatéraux entre la Belgique et ce pays pour insister encore davantage sur le devoir – nécessaire et incontournable – qu’a celui-ci de respecter le droit international, le droit communautaire et ses propres engagements dans le cadre du processus de paix.» On n’en croit pas ses oreilles : un État bafoue le droit international et l’Europe, qui en est parfaitement consciente, récompense cet État par un «rehaussement» plutôt que de le punir par des sanctions, sous le prétexte d’être ainsi en meilleure position pour pouvoir l’influencer ! Dans le monde entier, pour aucun autre État, on n’oserait se ridiculiser par une aussi incroyable argutie. Message reçu cinq sur cinq. Le 27 décembre, le gouvernement israélien déclenche l’opération «Plomb durci» qui mettra la bande de Gaza a feu et à sang. Aucun doute : le signal de l’impunité de cette action provient du blanc-seing donné anticipativement par l’Europe. Le 9 décembre à Bruxelles. Et le boomerang revient. Car en réaction avec les massacres de Gaza, on voit ressurgir des nouvelles banlieues intérieures de nos villes une mobilisation spontanée proprement sidérante. D’abord, on avait oublié que ça pouvait encore exister, des mobilisations de masse. Il y a quelques décennies, les marches anti-atomiques, contre la guerre du Vietnam et les diverses dictatures méditerranéennes ou latino-américaines, ou bien autour de conflits sociaux majeurs, réussissaient encore des mobilisations à cinq chiffres. Mais à l’exception de la Marche blanche en 1996, il avait fallu chaque fois motiver les troupes en mettant au travail tout un tissu associatif, quelques fois longtemps à l’avance. À chaque fois, c’était plus dur. Et voilà que presque sans aucune mobilisation, le 31 décembre et surtout le 11 janvier, des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées dans la rue.

Raccolage ethnique ?

On laissera à d’autres l’évaluation du nombre de «barbus» ou de «femmes enfoulardées» parmi les manifestants. Ceux-ci étaient composés de citoyens de nationalité belge pour la plupart, dont la légitimité à (se) manifester est totale. Mais leur manifestation a mis en évidence une coupure inquiétante entre ceux, issus de l’immigration, qui se sont rendus visible à cette occasion, et les autres qui étaient ce jour-là presque invisibles. À quelques encablures du 7 juin, jour des élections régionales, les partis feront leurs comptes. Il n’est pas impossible que la position des plus timorés sur le conflit israélo-palestinien évolue, vu l’impact constaté de cette cause sur la population dite arabo-musulmane dont les voix sont tellement courtisées. Ceux qui militent depuis des années en faveur d’une telle évolution ne doivent pas s’en réjouir. Le racolage ethnique est une pratique indigne de la démocratie. De la même façon que les leçons du génocide nazi ne concernent pas que les Juifs, le refus des massacres dont sont victimes les Palestiniens ne concerne pas que les Arabes. La quête de la justice pour les peuples est une quête universelle, en Palestine comme partout. Ceux qui ont peur qu’elle se réduise à une affaire communautaire n’ont qu’une manière de l’empêcher : porter cette quête au niveau de toute notre société, et s’engager dans ce sens devant tous les citoyens, au lieu de tenir des doubles ou des triples langages selon les publics. 2 février 2009