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Gouverner, c’est prévoir (après)

Ce soir, je vous propose un jeu : ça s’appelle le « jeu de lois » ou encore « gouverner, c’est prévoir après ». Je vous explique : imaginons que nous sommes réunies en Conseil des ministres, que l’actualité nous bouscule et que nous devons mettre en avant une idée, une exigence, ou mieux encore une loi. Moi, je suis Première ministre, je tranche. En une phrase, vous devez me convaincre que votre demande est non seulement importante, mais prioritaire, et que nos électeurs, tous partis confondus, peuvent s’en émouvoir. Exemple : un agent de la STIB se fait agresser, hop, vous exigez de renforcer la présence policière dans le métro. Vous avez compris ? C’est parti. – Je commence ! Les médias nous rapportent une série d’agressions d’une grande violence contre les gays. Je propose donc d’aggraver les peines pour les agresseurs de gays. – Accordé ! Suivante ! – Moi, j’ai été interpellée par le documentaire de Sofie Peeters sur le harcèlement des femmes en rue. Le monde entier en parle Voir aussi sur les blogs de Politique, le Coup de griffe de Carabosse : « Femme de la rue, rue dans les brancards ! ».. ! Je propose donc d’instaurer des amendes pour les harceleurs de femmes en rue. – Accordé ! Suivante ! – On va libérer Michèle Martin à la moitié de sa peine ! Nos électeurs ne le comprennent pas (surtout si on ne leur explique rien) ! Lâchez tout, rien de plus urgent qu’une loi sur les peines incompressibles ! – Accordé ! Suivante ! – Moi je propose de réduire le nombre de fonctionnaires : sinon l’Europe, l’OCDE et même le Saint-Esprit vont nous râler dessus. – Accordé ! Suivante ! – Euh, madame la Première ministre, si nous décidons qu’il nous faut plus de prisons, donc de gardiens, et encore plus de policiers, comment ferons-nous pour diminuer le nombre de fonctionnaires ? – Bah, il suffit d’avoir moins de profs ou d’infirmières pour équilibrer… Ou moins d’inspecteurs du fisc, tiens C’est déjà le cas. Voir L’Écho et De Tijd, 4 août 2012 , voilà des gens pas très populaires, que personne ne va regretter !… Suivante ! – D’accord, on a compris le but du jeu : tout pour la répression. On peut en rire – ou en pleurer – mais nous sommes quand même bien contentes que le viol soit enfin considéré comme un crime, les maris violents poursuivis et le harcèlement au travail pris au sérieux… – Reconnaître que des comportements jusque là tolérés ne sont pas acceptables, et même punissables, est une chose. Courir en chiens fous derrière l’actualité en est une autre ! – Réprimer, de plus en plus souvent, de plus en plus fort… Si ça devait rendre la société moins violente, ça se saurait ! En Europe, il y a 129 détenus pour 100 000 habitants ; aux États-Unis, cinq fois plus Chiffres tirés d’une étude d’Eurostat, citée dans Le Soir, 5 avril 2012. Et vous pensez que la société nord-américaine est moins violente ? – Bon, on n’est pas là pour réfléchir, mais pour gouverner. Une autre actualité, une autre idée ? – Voilà, j’ai une affaire particulièrement croustillante : Arcelor Mittal annonce le licenciement de 800 personnes à Liège, tandis que son boss se pavane à Londres avec la flamme olympique. Je propose donc une loi pour interdire les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices. – Refusé ! Démagogique !