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L’Europe, les fractures et le retour de la politique

Le dessin date de la fin du XIXe siècle, il représente une paisible famille française à table pour le traditionnel repas du dimanche. « Surtout n’en parlons pas » dit l’un d’entre eux….Le dessin suivant nous montre une table dévastée, des commensaux qui s’insultent et qui s’étripent: «Ils en ont parlé…», commente sobrement la légende. La célèbre caricature de Caran d’Ache illustre les divisions qui bouleversèrent la France, y compris au sein des mêmes familles, lors de l’affaire Dreyfus. Le débat sur la Constitution européenne n’est pas loin de reproduire les mêmes schémas, sinon les mêmes scènes. Sans, bien sûr, la dimension tragique de l’ affaire Dreyfus mais avec des enjeux historiques qui ont véritablement saisi les esprits. Parce que la France est inséparable de la création européenne, parce qu’il y a referendum mais aussi parce que la politique y a toujours été aussi valeur symbolique, l’hexagone cristallise et exacerbe l’affrontement entre partisans et adversaires du projet de Constitution. On l’a déjà abordé ici, les divisions traversent les partis politiques et les références idéologiques mais elles séparent aussi familles, groupes d’amis ou de collègues de travail. Sans doute souvent les arguments sont caricaturaux, et les objets du débat déplacés, mais peu importe, on assiste bien à un certain retour du débat politique. Ailleurs en Europe aussi le débat prend corps mais le décalage reste surprenant. En Italie, par exemple, autre pays de la politique par excellence, la possibilité d’un « non » français désoriente et surprend, surtout à gauche. Quand on arrive ces jours-ci dans un aéroport italien, des militants européens vous tendent des tracts en français appelant à voter « oui ». Les principaux dirigeants de gauche publient un appel aux Français dans le même sens. Tous, comme Bruno Trentin, leader historique de la gauche syndicale et politique italienne soulignent le « besoin d’une Europe capable d’affirmer son rôle de sujet politique de dimension mondiale». Même Toni Negri, ancien inspirateur de la contestation la plus extrême et aujourd’hui figure de proue de l’alter mondialisme appelle au « oui » estimant notamment que seule l’Europe peut s’ériger en contre-pouvoir contre l’unilatéralisme américain. Surprises et contradictions du débat conduisent parfois à de surprenants reclassements politiques mais nous indiquent surtout la complexité de la question à trancher.