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Le PTB ira-t-il au pouvoir à Bruxelles ?

D’après les sondages, le PTB serait le deuxième parti à Bruxelles avec près de 20% des voix. Avec encore 16% d’indécis à quelques jours des élections, on ne peut tirer aucune conclusion définitive, mais cette tendance s’installe. Quelle conséquence cette évolution aura-t-elle pour la formation des gouvernements ?

Les dernières projections à Bruxelles, sur base du dernier baromètre RTBF/La Libre/Kantar, donnent les résultats suivants chez les francophones : 20 sièges pour le MR, 17 pour le PTB, 13 pour le PS, 10 pour Écolo, 6 pour Les Engagés (ex-cdH) et 6 pour DéFi.

Retournez les alliances dans tous les sens, une conclusion mathématique s’impose. Si les intentions de vote se confirment à Bruxelles : soit le PTB est disponible pour un gouvernement ; soit le MR sera incontournable (et inversement, mais on sait que le MR est bien candidat au pouvoir).

Le PTB ouvre-t-il vraiment la porte à un gouvernement des gauches ?

Durant cette campagne, le PTB a formulé notamment une condition importante à son entrée au gouvernement bruxellois : qu’il y ait, préalablement, un accord fédéral pour un refinancement structurel de Bruxelles – une décision, donc, prise à un autre niveau de pouvoir. C’est en effet une réalité dure, partagée par tous les partis francophones, et contre laquelle il faut se battre : la région de Bruxelles souffre gravement de son sous-financement structurel. Problème : le PTB veut un refinancement par le fédéral.

Refinancer structurellement Bruxelles au départ du fédéral pour éviter de gouverner dans la disette budgétaire se traduirait par la modification d’une loi spéciale de financement1. Il faut donc une majorité renforcée de deux tiers, sans oublier une majorité dans chaque groupe linguistique. Dans les perspectives actuelles, cela signifie obligatoirement trouver un accord avec la N-VA pour refinancer Bruxelles, laquelle ne sera pas exactement enthousiaste à cette idée, contraire à ce qui fait son ADN.

On sait que les gouvernements régionaux se formeront avant le fédéral. A cet échelon, on anticipe un nouveau long blocage pour former un gouvernement. Parmi les raisons, il y a notamment le fait que le premier parti de Flandre est d’extrême-droite et placé sous un cordon sanitaire, tandis que le deuxième, outre son programme radical, veut – sans plus l’assumer tout à fait – la fin de la Belgique.

En posant une condition impossible, le PTB ne se rend pas disponible pour aller au gouvernement bruxellois.

Un refinancement de Bruxelles par le fédéral – hypothétique, parce qu’il faudrait une majorité flamande pour le décider – n’arrivera donc pas avant la formation du gouvernement bruxellois. Ce qui signifie qu’en posant cette condition préalable, même s’il prétend le contraire, le PTB ne se rend pas, dans les circonstances actuelles, disponible pour entrer dans un gouvernement bruxellois.

Se donner la chance d’une autre politique

Le PTB a un argument important pour ne pas y aller : la crise sociale à Bruxelles est majeure. Il faut montrer, en y allant, qu’on sait faire la différence, mettre en place une « politique de rupture ». Y aller sous des règles d’austérité, ce serait risquer de décevoir, donc risquer de voir le sentiment d’abandon d’une part de la population échapper au vote radical de gauche. Pour aller où ?… Suivez mon regard.

Même à l’intérieur du carcan budgétaire, certaines décisions, qui pourraient être prises par une majorité de gauche, changeraient radicalement les choses pour les citoyen·nes.

Mais sous la chape du budget bruxellois – et rien ne dit qu’en y allant sans garantie budgétaire initiale, on ne gagne pas le combat au fédéral ensuite –, un gouvernement où le MR est le premier parti et un gouvernement où c’est le PTB qui occupe cette position s’équivalent-ils vraiment ?

Même à l’intérieur de ce carcan budgétaire, un gouvernement de gauche franche et plurielle ou un gouvernement avec le MR ne feraient pas du tout la même chose. Certaines décisions, qui pourraient être prises par une majorité de gauche, changeraient radicalement les choses pour les citoyen·nes. Pour le dire autrement : même si un refinancement n’est pas – encore – gagné, une politique de rupture est possible.

Voici quelques exemples pour lesquels aucun accord budgétaire supplémentaire n’est nécessaire : le gel et la modération des loyers par une grille contraignante, qui explosent dans la capitale ; la fin de tous risques de discrimination dans le droit à l’emploi des femmes musulmanes, ainsi qu’une politique antiraciste de testings ambitieuse ; une reconnaissance par le gouvernement bruxellois de la réalité de l’apartheid en Palestine – nous serions, après la Catalogne, la deuxième Région au monde dans les pays occidentaux –, la suspension de toutes les relations économiques et commerciales avec Israël ; une décolonisation profonde de l’espace public. Citons également la capacité de bloquer, sur le territoire de toute l’Europe, des projets d’accords de libre-échange (comme le CETA) ; et n’oublions pas l’activation des chômeurs, qui est aussi une compétence régionale. Sur toutes ces questions qui n’ont rien de symbolique, un gouvernement de gauche plurielle serait en réelle rupture par rapport aux gouvernements dans lesquels elle s’allie avec la droite.

Clarifier les lignes, maintenant

Il serait évidemment tout à l’honneur d’une formation politique non-réformiste de reconnaître que les conditions institutionnelles et sociales ne sont pas réunies pour lui permettre d’exercer le pouvoir.

Mais si la question n’est pas celle-là, reste qu’en formulant la condition préalable de refinancer Bruxelles, le PTB ne situe pas le rapport de forces au bon endroit, car c’est au fédéral qu’il faut poser cette condition. De plus, et surtout, le parti garantit ainsi le pouvoir au MR.

Si le PTB révisait d’ici le 9 juin ses conditions pour participer à un gouvernement, la responsabilité de la réussite ou de l’échec d’une majorité de gauche plurielle serait alors partagée avec le PS et Écolo.

A l’inverse, s’il révisait, d’ici le 9 juin, ses conditions pour participer et formulait des propositions qui, quoique radicales, soient possibles dans la pratique2, la responsabilité de la réussite ou de l’échec d’une majorité de gauche plurielle serait alors partagée avec le PS et Écolo. Ces derniers devraient alors faire un choix clair, entre gouverner avec un partenaire connu, mais dont on est idéologiquement et fondamentalement opposé, et oser l’aventure à gauche. En d’autres termes, lever cette condition irréaliste obligerait les partis de gauche à un choix quant aux convergences possibles. Et donc, à clarifier leurs lignes politiques à l’épreuve du réel.

A défaut, et sauf, bien sûr, de grandes évolutions entre la moyenne actuelle des sondages et le verdict des urnes, maintenir cette condition que l’on sait impossible, c’est effectivement donner raison au PS et à Écolo, lorsqu’ils disent qu’ils n’ont pas le choix et que voter PTB… c’est donner le pouvoir au MR.