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L’image captive

Les « professionnels de la profession » appellent cela une captation : la retransmission en direct et en intégralité d’un événement, avec bien entendu, tout ce que demande la mise en image pour la télévision (éclairages, matériel de prise de vue dernier cri, régie de réalisation digne des plus grands shows télévisés…). Tous les candidats à la présidentielle française, sans aucune distinction idéologique mais avec des moyens très différents, ont eu recours à la « captation » de leurs grandes réunions publiques. Ce sont les équipes de campagne qui fournissent désormais « clefs sur porte » les images de leur candidat. Les chaînes en sont désormais réduites à tourner quelques « à-côtés » et sont priées de ne pas encombrer le champ des caméras privées qui contrôlent donc la moindre image du meeting. La méthode importée des États-Unis n’est pas nouvelle : déjà en 1988 les grands meetings de François Mitterrand étaient réalisés par des sociétés de service mais il restait, alors, une plus grande latitude pour filmer d’éventuels contre-champs auxquels les publicitaires du candidat préféraient échapper. Ces fameux – et indispensables – contre-champs que la télévision bannit le plus souvent car ils peuvent briser le regard univoque du petit écran. Désormais, tout est sous contrôle, d’abord sous prétexte d’assurer la sécurité. La frénésie médiatique d’une campagne que bon nombre de journalistes ont pourtant jugée sans beaucoup d’intérêt a, il est vrai, démultiplié les demandes d’accréditations des médias audiovisuels de plus en plus nombreux sous leurs différentes déclinaisons (chaînes classiques ou d’info en continu, sites internet). Mais on trouve la véritable raison de cette nouvelle mise en scène des candidats, dans la volonté déclarée des services de communication de fournir une « image propre » des présidentiables. En fait, il s’agit surtout d’une image lisse débarrassée de toutes les scories que les hasards de la vie ou l’ironie du sort peuvent offrir dans la représentation de l’homme en action. Tout est donc calibré : le temps des applaudissements (pas trop long car la télévision ne supporte pas ces espaces considérés comme les temps morts de la logique cathodique), les groupes de jeunes qui brandissent drapeaux et pancartes et qui se mettent en branle dès que « leur » caméra tourne… Et surtout pas d’imprévu ! Un échange à l’allure trop ironique dans le public, une interpellation contestataire ou l’assoupissement progressif mais inéluctable du notable placé au premier rang (en son temps, Raymond Barre s’en était fait une spécialité…) : tout cela est désormais banni des écrans. Il y a dans cette esthétique officielle du candidat (de tous les candidats, de la gauche radicale à l’extrême droite) une sorte de mélange doucereux du spectacle et de la propagande. Cette « captation » de la réunion publique livre une image « captive » de la politique. Elle est d’autant plus importante que cette image – en quelque sorte « privatisée » – est offerte aux chaînes d’info en continu qui pour la première fois dans l’histoire des présidentielles ont retransmis en direct toutes les grandes réunions des principaux candidats.