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On a sifflé la Marseillaise

Le Stade de France a connu un nouvel outrage le 14 octobre 2008 avant le match France-Tunisie : la Marseillaise a été bruyamment sifflée par «son» public. Tout est là, dans ces guillemets. C’est quoi, au juste, le public de l’équipe de France ? En quoi consiste exactement l’équipe de France, en quoi est-elle «de France» ? Le même événement s’était déjà produit en 2001 (France-Algérie) et 2007 (France-Maroc), il risque de se reproduire à la prochaine occasion, comme ces feux de voiture qui reviennent chaque année illuminer la nuit de la Saint-Sylvestre dans les banlieues des grandes villes françaises. Est-ce à dire que les jeunes Français d’origine maghrébine ne se reconnaissent pas dans l’équipe de France ? Pas du tout, au contraire, cette équipe est bien la leur, et depuis longtemps. Karim Benzema, Samir Nasri et Hatem Ben Arfa, de parents algériens et tunisiens, y ont succédé au célébrissime Zinedine Zidane, lui-même lointain héritier de Larbi Ben Barek et Rachid Mekhloufi qui ont joué avec les «Bleus» dans les années 50, alors que leurs pays, Maroc et Algérie, étaient encore colonisés par la France (Mekhloufi s’éclipsant en 1958, en pleine guerre d’Algérie, pour rejoindre la révolution et l’équipe du FLN). Depuis toujours, la France a l’équipe «nationale» de football la plus chamarrée d’Europe, avec des joueurs de toutes origines, venus de l’immigration (Kopa, Platini), des ex-colonies (Tigana, Vieira) et des territoires d’outre-mer (Trésor,Thuram). En somme, l’équipe de France a toujours montré le revers de la France, elle n’a cessé de dévoiler son inconscient pluriel et elle a valorisé cette pluralité, au point de s’en faire une gloire universelle. Elle est donc une sorte d’antithèse de la Marseillaise, dans la mesure où celle-ci est d’abord perçue comme le chant du coq gaulois, paré des couleurs bleu-blanc-rouge. Jean-Marie Le Pen ne s’y est jamais trompé, il a constamment vitupéré l’équipe de France, reprochant pêle-mêle à ses joueurs d’être des mercenaires étrangers et de ne pas chanter la Marseillaise à pleins poumons. Il fut l’un des rares Français, en 1998, à ne pas fêter la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde. Cette euphorie «black-blanc-beur» était sa défaite, cuisante mais passagère, qu’il effacera quatre ans plus tard en se qualifiant pour la finale de l’élection présidentielle. Les actuels dirigeants français, de Nicolas Sarkozy à Fadela Amara, sont donc malvenus de reprendre les arguments de Le Pen, en se contentant de déplacer ses reproches, de les détourner des joueurs vers le public, dans un même déni de réalité, dans un même refus d’établir un lien direct entre les Bleus et la banlieue. Oui, ce 14 octobre au Stade de France, le public était largement composé de Français d’origine maghrébine, qui se reconnaissaient fort bien dans cette équipe mais moins bien dans son hymne. Comme si celui-ci dénaturait celle-là, comme si la France usurpait à trop bon compte une des plus fières conquêtes des indigènes de la république. Cette Marseillaise sifflée n’était pas une révolution, pas même une émeute, rien qu’un chahut et un léger symptôme. Mais la réaction disproportionnée des autorités en a décuplé le sens. On a eu droit pendant 24 heures à une surenchère ministérielle : c’était à qui proposerait la sanction la plus inapplicable (évacuation du stade en cas de récidive, suppression ou délocalisation en province des matches France-Maghreb…). Vingt-quatre heures d’hystérie sans lendemain pour démontrer que le fameux problème de l’intégration est davantage encore celui de l’État ou de la société française que celui des immigrés. Le président Sarkozy l’avait signifié dès son intronisation en créant le monstrueux ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Il n’a pas fini d’en recueillir les fruits avariés. Et gageons qu’il hésitera à assister, comme le veut la tradition, à la finale de la Coupe de France, le 9 mai 2009, au risque d’être sifflé lui-même par un stade entier, tel une malheureuse Marseillaise.