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Penser la place politique des images

Penser la place politique des images», c’est l’un des objectifs de la très bonne revue MédiaMorphoses publiée par l’INA L’Institut national de l’audiovisuel (France) publie cette revue de réflexion et d’analyse destinée à tous ceux qui cherchent à comprendre les jeux et les enjeux de « la société de l’information » et en particulier des entretiens de cette revue qui font l’objet d’une (re) publication dans une nouvelle collection animée par l’universitaire et coordinateur de ces entretiens, Frédéric Lambert Les entretiens de MédiaMorphoses, Bry sur Marne, Editions de l’INA, 2011. Un premier petit volume vient de paraître sous le titre L’expérience des images qui regroupe des entretiens avec le sémiologue Umberto Eco, l’anthropologue Marc Augé et l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman. Dans son introduction, Frédéric Lambert précise le sens et la portée de ces « médiamorphoses » : « Cette capacité décuplée que les technologies du numérique offrent aux langages du contemporain pour réinventer nos récits, nos mythes, nos légendes, ce renouvellement permanent des genres pour occuper tous les terrains de l’information et de la communication, des faits et des fictions sont ainsi faites qu’il nous faut sans cesse rester vigilants face à leurs lieux de production, à leurs espaces d’exposition, et aux dispositifs de réception ». C’est bien dans cet esprit que les trois intervenants nous livrent une « pensée sur les images en sociétés », leurs « expériences des images ». Pensée riche et dense qu’on ne va tenter de résumer ici. Retenons seulement quelques réflexions de base qui nous aident à mieux lire les images qui nous envahissent quotidiennement par mille canaux et qui forgent nolens volens notre représentation politique et idéologique du monde. Eco nous dit d’abord comment le langage construit nos sociétés sur les fondations d’une incessante bataille entre faits et fictions.

« L’entreprise de l’historien des images (…) s’apparente, non seulement à une archéologie, puisqu’elle désenfouit ce que la représentation médiatique tend à recouvrir, mais encore à une prise de position critique visant à faire lever une mémoire dans l’actualité ou une actualité dans l’histoire. » (G. Didi-Huberman)

Si Marc Augé a mené une brillante carrière d’anthropologue sur le terrain africain, il a aussi privilégié l’observation de notre société (Paris, le métro, la mort de Lady Di et les médias) et de notre monde de l’information et de la communication. « Je suis devenu mon propre indigène », aime-t-il à dire. Et à la question sur l’existence de deux formes de récits : ceux d’auteurs où l’auteur dit qu’il est là et ceux de nos récits médiatiques assujettis au réel (ou prétendu tel), Marc Augé rappelle cette exigence fondamentale d’être « amené sur cet exemple des écritures médiatiques à comprendre que l’analyse des faits et celles des écritures qui en rendent compte sont indissociables. Cette liaison entre l’événement dont on rend compte et la manière dont on en rend compte est évidente dans l’image, et elle l’est sans doute dans l’écriture ». C’est bien précisément parce que la plupart des acteurs des médias ne se posent pas cette question – volontairement ou non – que l’on assiste à toutes les dérives de l’information contemporaine. De son côté, Georges Didi-Huberman insiste sur la notion essentielle, elle aussi, de montage en tant qu’il produit « un effet sur notre connaissance : les rapprochements d’images, si différentes soient-elles, produisent (cependant) une modification, une ouverture de notre regard. Ce sont les montages sensibles qui servent souvent à poser de nouvelles questions d’intelligibilité. On s’aperçoit qu’ils ne le font jamais mieux que lorsqu’ils parviennent à composer un rythme particulier et à nous montrer à l’œuvre les “battements vitaux” – les rythmes anthropologiques – du monde des images ». Et Georges Didi-Huberman d’ajouter ce qui pourrait être la forte conclusion de ce petit ouvrage : « L’entreprise de l’historien des images, aussi modeste soit-elle – car les images ne sont que des vestiges de l’histoire, traces, symptômes –, s’apparente donc, non seulement à une archéologie, puisqu’elle désenfouit ce que la représentation médiatique tend à recouvrir, mais encore à une prise de position Voir aussi à ce sujet G. Didi-Huberman, Quand les images prennent position, L’œil de l’histoire, 1, Paris, Paradoxe, Les Éditions de Minuit, 2009 critique visant à faire lever une mémoire dans l’actualité ou une actualité dans l’histoire. C’est en effet, ajoute Didi-Huberman, ce qu’on pourrait appeler le caractère intempestif de toute analyse conséquente des images ». Autant de réflexions et d’analyses, en cette courte centaine de pages, qui sont indispensables pour nous garder des images, pour en garder d’autres et nous aider ainsi à façonner notre vision du monde.