Retour aux articles →

Introduction

Le 7 juin, les élections régionales et européennes donnèrent un résultat inattendu. Sondages et observateurs annonçaient l’effondrement du Parti socialiste. En Wallonie, le PS passerait définitivement la main aux libéraux du Mouvement réformateur tandis qu’à Bruxelles, il serait doublé par Écolo qui rêvait déjà de placer un des siens à la place de Charles Picqué Dans ce thème, nous parlons peu de Bruxelles. Dans la capitale, il ne s’agit pas pour les socialistes de conserver leur ancrage populaire, mais de s’en constituer un nouveau, en s’enracinant dans les couches populaires issues d’une immigration majoritairement de culture musulmane et dépourvue des traditions d’organisation ouvrière. C’est donc une autre stratégie qui doit être mise en œuvre. Pour la première fois depuis la création de la Région wallonne, les socialistes seraient peut-être renvoyés dans l’opposition. Une révolution… Souvenons-nous. Ces sondages ne surprenaient plus personne. Partout sur le continent, la gauche traditionnelle s’était révélée incapable de présenter une alternative crédible au libéralisme. Cette panne de projet se doublait d’une dérive sociologique vers les élites salariées qui correspond à l’évolution naturelle de ses propres cadres réconciliés depuis belle lurette avec le monde économique qu’ils n’avaient plus les moyens – ou la volonté ? – de contester. Du coup, l’électorat traditionnel des partis socialistes – les «petites gens» – semblait, socialement et culturellement, abandonné à lui-même. Et se tournait, selon les pays, vers de nouveaux horizons protestataires incarnés par une gauche radicale en plein renouveau, voire par des formations populistes surfant sur le néo-racisme des «petits blancs». En Belgique, cette tendance générale ne pouvait qu’être amplifiée par le contexte local. Un PS usé par le pouvoir occupé trop longtemps, des scandales partout. Charleroi, bien sûr, où toute une génération avait moralement sombré, mais aussi Mons, avec l’affaire Donfut sous le nez du président Di Rupo, Huy avec la dérive autocratique d’Anne-Marie Lizin, Namur où les socialistes venaient d’être éjectés sans gloire de la majorité. Liège, enfin, qui s’était donné comme tête de liste un réviseur d’entreprise devenu mondialement célèbre par ses facéties sur You Tube et décrété incontournable. Bref, la Wallonie était candidate à la pole position dans l’échec annoncé des socialistes européens.

Qu’est-ce qui fonde cette exceptionnelle identification entre un peuple et un parti, qui semble résister à tous les cataclysmes ?

Vint le 7 juin. Comme prévu, les socialistes s’effondrèrent presque partout dans la vieille Europe : Flandre, France, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, Autriche, Danemark, où s’était constitué un État social consistant qui devait tout au rôle de premier plan joué par les socialistes et les sociaux-démocrates. Seule la Wallonie résista. Divine surprise dans les Maisons du Peuple. Le recul socialiste fut tellement en deçà des prévisions catastrophistes qu’on parla d’un succès, presque d’une victoire. Le PS gardait la main partout. Circulez, il n’y aurait plus rien à voir ? Si, au contraire. Car ce sursaut inattendu de l’électorat socialiste interpelle toute la gauche. Pourquoi, malgré tout, l’électorat populaire wallon a-t-il confirmé sa confiance au Parti socialiste ? Qu’est-ce qui fonde cette exceptionnelle identification entre un peuple et un parti, qui semble résister à tous les cataclysmes ? Pourquoi aucune gauche protestataire ni aucune extrême droite n’arrive à faire son nid en Wallonie dans les plis de la crise économique et du chômage de masse ? Pourquoi les Verts, présentés souvent comme une nouvelle gauche éthique, n’arrivent-ils pas à mordre sur l’électorat socialiste alors qu’ils recrutent largement dans les autres viviers ? Pourquoi les pratiques d’usage abusif de positions dominantes, pourtant abondamment dénoncées, n’ont-elles pas eu d’effet dans le comportement électoral des Wallons, puisque celui-ci n’a pas fait de différence entre les lieux où le parti s’était visiblement rénové, comme à Charleroi, et les autres, comme à Liège ? En guise d’explication, on a évoqué le coup de génie de Di Rupo, déclarant solennellement à dix jours du scrutin qu’il ne formerait en aucun cas de majorité avec le MR. Grâce soit rendue au tandem Di Rupo-Reynders. Ils ont poussé jusqu’au bout la logique de l’affrontement politique et redonné des couleurs au clivage gauche-droite. Du coup, ce sont les deux autres partis, Écolo et le CDH, qui apparurent prisonniers de la politique traditionnelle en ménageant la chèvre et le chou, donnant l’impression de se préparer à convoler avec le plus offrant. Le succès moindre que prévu d’Écolo s’explique sans doute par le retrait d’électeurs progressistes tout disposés à sanctionner le PS, mais pas au prix d’une alliance avec le repoussoir Reynders. Autre explication possible : la consolidation d’un axe rouge entre le PS et les autres composantes de l’Action commune (la FGTB et les Mutualités socialistes) dont la profonde culture commune fut mobilisée au profit du parti au nom d’une opération de salut public qui interroge la notion d’indépendance syndicale. Mais fondamentalement, la question reste ouverte. Ce sursaut du PS est-il la promesse d’une reconquête de l’opinion publique ou simplement un répit dans un déclin historique inéluctable ? Le peuple wallon se transforme, socialement et culturellement. Mais il aura toujours besoin d’une gauche sociale et politique. Le Parti socialiste en est-il l’indépassable pivot ? Ce thème a été coordonné par Éric Buyssens, Jean-Paul Gailly, Henri Goldman et Olivier Jusniaux.