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Pure frite

«Bonjour la compagnie! Salut Fatima! Passé de bonnes vacances? — Ah désolée, depuis un mois je m’appelle officiellement Fabienne. Y compris sur ma carte d’identité. — Ah bon, et pourquoi ce changement? — Essaie donc de trouver du boulot quand tu t’appelles Karim ou Rachida, tu comprendras pourquoi. Ton beau CV, eh bien, on n’y jettera même pas un coup d’œil. Alors j’en ai eu marre. — Et elle n’est pas la seule. Changer de prénom, voire de nom, même si ça peut te coûter plus de 500 euros, c’est un phénomène qui flambe, en particulier chez les nouveaux Belges, comme on dit… Sur les six premiers mois de 2003, on compte plus de demandes que sur toute l’année 2004 La Libre Belgique, 30 août 2004..! — C’est un peu désespéré, non? Bien sûr tu peux changer de nom, suivre une formation à l’accent bruxellois, tricher sur ton CV à la rigueur… Mais ta gueule, elle est bien la même, et quand tu te présenteras pour un boulot, c’est quand même une Fabienne pure frite qui aura la priorité. — Ouais, c’est un peu comme si les femmes espéraient crever le fameux «plafond de verre» en changeant de prénom. Julie devient Jules et hop! À elle les postes dirigeants! — Sur une carte de visite, ça peut marcher… à condition de rester invisible et muette. — Mais parfois, le changement de nom, c’est ton employeur qui te l’impose. C’est courant dans les call-center délocalisés, en Tunisie ou en Inde : on te colle un autre prénom pour rassurer les clients, un prénom bien français ou pur British, selon les cas… — … Et il paraît que la pratique se répand chez nous aussi; et les patrons ont même trouvé une parade pour éviter toute accusation de racisme. Ils modifient tous les prénoms, histoire de faire plus «sexy». — N’empêche, notre Laurette Onkelinx nationale, ça la chipote, qu’on en arrive à devoir changer de nom, à larguer son identité, mettre une sorte de masque pour espérer s’intégrer. Donc, elle va prendre le taureau par les cornes… — … S’attaquer pour de vrai aux discriminations? — Non, tu rêves, rendre les changements de nom plus difficiles! — D’ailleurs, est-ce qu’Astrid ou Fabiola ou Paola ont changé de nom pour obtenir leur boulot de reine? Non. Un peu d’audace, que diable! — … Sauf que les problèmes ne sont pas pour les Paola, justement! Il faudrait aussi avoir le courage de dire qu’un Belge sera toujours d’autant plus «nouveau» qu’il viendra de certaines régions — en gros de l’autre côté de la Méditerranée… — quelle que soit sa date de naturalisation… et même s’il est né ici. — Vous êtes injustes, parce que lorsqu’on l’interpelle sur le sujet RTBF, 3 septembre 2004.., la ministre insiste sur les lois anti-discrimination, qu’il faudrait utiliser davantage… — Le Centre pour l’égalité des chances a enregistré trois plaintes en dix ans pour changement de nom imposé. Alors qu’on sait que la pratique est courante! Mais quand tu as un boulot, tu réfléchis avant de te plaindre. Surtout quand tu as eu tant de mal à te faire engager… — Au fait, avec ton nouveau nom, Miss Fabienne, tu as trouvé du boulot? — Ben non… Quand le premier employeur m’a vue, il a regardé mon CV, puis mon diplôme, puis ma tête, et il m’a proposé un poste au service «cleaning». — Oui, c’est ça la politique de diversité : les futurs Belges au chômage, les nouveaux Belges au nettoyage et les anciens Belges à l’encadrage…