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Sexualité, des chaînes à briser (présentation)

Il y a quelques années, un article de la revue Histoire titrait outrageusement « Le Moyen-Âge s’est fini en 1960 ». L’idée de l’auteur est que la fin du Moyen-Âge correspond au moment où nos sociétés ont commencé à se libérer des principes de l’Église. Pourtant, nombre d’entre nous ont appris qu’il s’est fini en 1492, quand Christophe Colomb découvrait les Amériques. C’est un peu le même sentiment qui nous anime concernant la révolution sexuelle. On nous dit qu’elle a commencé lors de mai 68 quand les femmes ont commencé à bénéficier de droits reproductifs (avortement, pilule…), mais certains signes tendent à prouver qu’elle n’est pas encore vraiment réelle.

Si l’érotisme commence seulement à se populariser et si la révolution sexuelle n’a pas encore pris son envol, alors il faut peut-être s’interroger sur ce qui entrave encore notre sexualité.

Par exemple, il y a quelques semaines, le premier roman érotique populaire pour femmes est sorti en librairie. 50 nuances de Grey 1 E.L. James, 50 nuances de Grey (Fifty shades of Grey), éd. J.C. Lattès, 2011 (sortie en français en 2012). Le livre est resté numéro 1 des ventes aux États-Unis pendant 37 semaines , c’est un peu – la nuance est importante – le Harry Potter des femmes. La trilogie raconte la rencontre entre une jeune étudiante innocente et un mania trentenaire adepte du sadomasochisme. Le roman peut être critiqué sous de nombreux aspects (faiblesse d’écriture, conte de fées, moralisme, pauvreté de la variance sexuelle…), mais on peut cependant lui reconnaître un grand mérite : populariser l’érotisme à destination des femmes. La littérature érotique existe depuis longtemps, mais elle reste le plus souvent confidentielle, dans un cercle restreint à quelques milieux intellectuels ou libertaires, et dépeint le plus souvent des Don Juan déclinant leurs aventures, rarement elle n’aborde la sexualité sous l’angle féminin. On peut s’étonner que ce roman n’apparaisse qu’en 2013 ! Mais si l’érotisme commence seulement à se populariser et si la révolution sexuelle n’a pas encore pris son envol, alors il faut peut-être s’interroger sur ce qui entrave encore notre sexualité, sur les limites à nos libertés sexuelles. Derrière ces questions, il y a celle du rôle du politique pour construire les conditions d’une libération et celle, encore plus complexe, de savoir si nous devons nous défaire de nos carcans éducatifs, culturels, cultuels, moraux pour jouir pleinement de notre sexualité. Être épanoui sexuellement, avoir accès au plaisir, ressentir du désir, dans le respect de son corps et de celui de l’autre (et des autres), participe de la construction d’un être complet. Dans ce « thème », nous parlerons des significations sociales, culturelles, cultuelles de l’acte en lui-même, mais aussi des entraves à son accession. Nous consacrons une part importante aux religions et plus spécifiquement à l’islam car, aujourd’hui encore, elles sont considérées comme l’obstacle majeur supposé ou réel à ces libertés. Pour entamer ce travail, nous proposons une interview d’Elisa Brune autour de son livre La révolution du plaisir féminin. Elle nous guide dans sa vision de la libido féminine et de l’éducation sexuelle des femmes. Gary et Frédéric évoquent alors leur perception sur l’impact de la supposée révolution sur le désir des hommes. Anne-Françoise Theunissen aborde ensuite la confusion entre érotisme et pornographie et de son nécessaire dépassement. Catherine François, déclinant un autre point de vue sur la pornographie, nous parle des carcans moralistes et du libertinage. Caroline Sägesser, José Gérard et Mariem Sarsari réfléchissent ensemble à la question : « Les religions entravent-elles la liberté sexuelle ? », en confrontant des points de vue athée, catholique et musulman, tandis que Maria Christodoulou s’attaque à la mixité interculturelle dans le couple, en ciblant les mariages entre musulmans et non-musulmans. Sam et Saïd, représentant de l’association Merhaba, nous offrent un témoignage sur « homosexualité et culture musulmane » pour dépasser quelques clichés. Ensuite, Colette Bériot, qui a donné des animations à la vie affective et sexuelle dans des écoles de Bruxelles pendant plus de 30 ans, nous parle de son expérience dans un contexte qui s’interculturalise. Enfin, Joanne Clotuche s’aventure dans une hypothétique reconnaissance législative des droits sexuels et des conséquences que cela pourrait avoir sur trois publics spécifiques : les personnes en situation de handicap, les personnes âgées et les détenus. Ce thème a été coordonné par Joanne Clotuche.