Retour aux articles →

Stéréotypes

Difficile de trouver une phrase aussi courte et pourtant aussi riche en stéréotypes et en préjugés que celle prononcée par le ministre français Claude Guéant lors d’un meeting le vendredi 2 mars à Velaine-en-Haye (Meurthe-et- Moselle) : « Accepter le vote des étrangers, c’est la porte ouverte au communautarisme. Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la nourriture halal dans les repas des cantines, ou réglementent les piscines à l’encontre des principes de mixité ». Quand on associe et réduit systématiquement un groupe d’individus à l’une de ses composantes, à l’une de ses nationalités, à sa couleur de peau, sa tradition, ses pratiques culinaires, sa religion ou son origine, apparaît le racisme ; et de la même manière lorsqu’on associe et limite par principe un individu à son sexe, apparaît le sexisme. Racisme et sexisme fonctionnent en miroir même s’il n’est pas rare d’entendre un individu raconter des blagues sexistes tout en se prétendant hostile au racisme, et qu’en parallèle la lutte contre le sexisme peut également servir le racisme lorsque, comme Claude Guéant ou Marine Le Pen, on défend tardivement la mixité pour mieux réduire les étrangers à l’islam et partant à des « traditions ancestrales » dépassées ou barbares. Le fil conducteur entre racisme et sexisme passe par les stéréotypes qui ont pour objectif de rassurer face à l’inconnu, et malgré leurs forces de frappe au rythme des petites phrases ici et là dans les médias, ces derniers se voient parfois mis en difficulté. Quelques exemples. L’année passée, c’est sans doute le massacre orchestré par Anders Breivik en Norvège le 22 juillet 2011 qui a défié le plus de stéréotypes pourtant bien solides. L’attentat islamique tant redouté était l’œuvre d’un fondamentaliste chrétien qui se qualifiait lui-même de protestant, au risque de devoir parler désormais de chrétiens, et non de musulmans, qui « sont foncièrement intégristes et partant terroristes »… Pas si simple quand on sait que Breivik se disait aussi – et était – franc-maçon, sauf à considérer que c’est précisément une double exception qui confirme la règle. Le stéréotype sexiste pour sa part a éclaté au grand jour avec l’affaire DSK ! Non pas dans le chef du socialiste dont on a vite compris la haute estime qu’il avait pour les femmes, même avant les affaires de proxénétisme et les « commandes de marchandises », mais dans le chef de tous ces élus, hommes de lettres, éditorialistes et autres intellectuels qui ont voulu le défendre, se faisant au passage les pires complices du harcèlement sexuel et de la réduction de la femme à son sexe, de la femme à l’objet sexuel : « Ce n’est qu’un troussage de domestique », indiquait Jean-François Kahn. L’affaire DSK a montré à quel point en France le harcèlement était encore considéré comme une bizarrerie, et le sexisme comme quelque chose de naturel. Et puis il y a eu aussi les tueries de Liège et de Toulouse. À Liège, tout paraissait simple et opportun au début pour activer quelques stéréotypes bien pesés sur les Marocains intégristes avec le tueur et son nom à consonance marocaine : Nordine Amrani. Mais c’était sans compter avec les victimes, dont le jeune Medhi Nathan Belhadj, 15 ans, enterré selon le rite islamique. Difficile d’activer un stéréotype et de réduire les musulmans à des terroristes quand le tueur n’était pas croyant et que la victime est musulmane. À Toulouse également, les choses auraient pu être plus simples pour les amateurs de stéréotypes avec cette fois-ci un tueur fou se revendiquant d’Al Qaïda. Mais c’était sans compter sur les gens qu’il avait abattus, des Juifs certes, mais aussi des soldats d’origine maghrébine qui servaient sous le drapeau français ! Faire couler son sang pour la nation est la preuve suprême de l’intégration réussie chez les extrémistes de droite, mais aussi chez tous ceux qui pensent comme Claude Guéant qu’accepter « le vote des étrangers, c’est la porte ouverte au communautarisme ».