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Un balai polysémique

Dans la profonde crise politicomorale que traverse la France avec l’affaire Cahuzac et ses annexes, il fallait s’attendre à des dérapages en tous genres. Le « balai » de Jean-Luc Mélenchon y figure en bonne place. On se souvient de la sortie du dirigeant du Parti de Gauche plaidant en faveur « d’un grand coup de balai (…) pour purifier cette atmosphère politique absolument insupportable » et de la polémique qui s’en suivit y compris au sein du Front de Gauche. Outre les ambiguïtés d’une campagne moraliste[1.Voir mon .Blog-Notes du 6 avril 2013.], l’image du « balai » est historiquement et idéologiquement associée à l’extrême droite et au slogan « tous pourris ». Il suffit de se rappeler l’usage propagandisque qu’en faisait, chez nous, Degrelle et le rexisme. Mélenchon et ses amis contestent cette interprétation et publient d’ailleurs sur leur site une affiche de la SFIO de 1932 où un prolétaire balaie le régime plongé dans les affaires. Ils y ajoutent la célèbre affiche de Victor Déni créée en 1920 et représentant Vladimir Ilitch Lénine balayant le monde des banquiers, des juges et des monarques. En quelque sorte, Mélenchon voudrait attribuer une valeur polysémique à l’image du balai. Nuance, tout de même, car l’affiche soviétique ne balaie pas les « pourris » mais les « maîtres du capitalisme et leurs valets ». Quant au combat et au sort de la SFIO dans les années 30/40, il n’est pas certains que l’on puisse en faire une référence absolue… Certes on peut aussi remonter à Blanqui qui fait référence au « coup de balai général » dans le Père Peinard, son journal fondé en 1880. Et le président Mao, lui-même, dans les maximes du Petit livre rouge écrit que « Là où le balai ne passe pas, la poussière ne s’en va pas d’elle-même ». Mais l’utilisation du balai se voulait porteur d’un autre sens dans des contextes peu comparables. Chez Mélenchon qui a aussi évoqué « la pourriture intrinsèque du système », l’image du balai est associée au mot « purification » : ici les références sont plutôt celles du Front National que de la gauche radicale. On connaît les penchants populistes (assumés) de l’ancien candidat à la présidentielle. Déjà, en 2010, le titre de son ouvrage de combat « Qu’ils s’en aillent tous » anticipait le futur « Tutti a Casa » de Beppe Grillo. Et la dénonciation de « la caste arrogante » (du monde politique et médiatique) rejoint les accents du Mouvement 5 Stelle dont le récent succès semble fasciner certains milieux de la gauche radicale pas très soucieux d’analyser la véritable nature de ce mouvement. Curieusement, ce populisme ne tient pas tellement au programme politique du Parti de Gauche mais plutôt aux « éléments de langage » – pour reprendre une expression favorite de la « caste » – adoptés par Jean-Luc Mélenchon. On comprend évidemment le calcul tactique et la volonté de tenter de récupérer une partie de l’électorat populaire (venant notamment de la gauche) qui, face au cocktail détonant de la crise et des affaires, sera inévitablement attiré par le Front National. Mais le pari est risqué : non seulement le résultat est loin d’être acquis mais il peut avoir pour conséquences de légitimer un peu plus la formation de Marine Le Pen qui n’en demande pas tant. Cette bataille d’image est un jeu dangereux qui ne peut que plonger un peu plus la France dans la confusion idéologique. Le coup de balai risque de se transformer en boomerang. Et Mélenchon devrait désormais savoir que le balai de Marine est plus gros que le balai de Jean-Luc