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Une modernisation écologique simplificatrice

2009 a vu fleurir quantité d’argumentations et de discours verts sous un mode entrepreneurial – nouveaux marchés, nouveaux bénéfices, nouveaux emplois « verts » –, lequel ne peut résumer le développement durable. Il s’agit plutôt de la manifestation d’un courant présent depuis les années 90, à plus bas bruit, et que l’on appelle la modernisation écologique.

Cette expression marque bien le projet d’une poursuite de la modernité en y intégrant les contraintes écologiques, et si possible en en faisant des sources d’activités rémunératrices. Voyez la définition ramassée qu’en donne par exemple Anthony Giddens pour qui la modernisation écologique « cherche à générer des opportunités de profit à partir d’innovations comportant des bénéfices écologiques, par le changement technologique ou par une ompétitivité accrue ». En matière de compétitivité accrue, on pensera notamment au positionnement d’entreprises plus vertes, ou à la réduction de consommation énergétique. La distinction n’est pas qu’académique. Par rapport à une orientation politique mondiale de développement durable, la modernisation écologique a suscité au moins deux critiques fondamentales. La première est que ces innovations technologiques ne sont pas adaptées pour les pays les plus pauvres, souffrant de maux environnementaux de base et dotés de peu de moyens financiers. La seconde est qu’elle fait l’impasse sur les objectifs primordiaux d’équité sociale présents dans le projet de développement durable. Bien que passée un peu inaperçue, on peut rappeler à ce sujet l’entrée, le 25 avril 2007, du développement durable dans la Constitution belge, par un article unique incluant des références à la dimension sociale et à la solidarité : « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations » (Article 7bis). Pour la petite histoire, cette inclusion a demandé de créer dans notre Constitution un Titre Ier bis intitulé « Des objectifs de politique générale de la Belgique fédérale, des communautés et des régions », dont cet article 7bis est à ce jour le seul « objectif », ce qui marque bien à quel point le développement durable est devenu consensuel, en tout cas sous cette forme.

Le développement durable comporte un souci plus social et ouvrant potentiellement la porte à des modifications profondes, car ce n’est pas pour rien que le terme « développement » a été utilisé, et non pas croissance économique.

Les jeux et pressions pour agir sur le contenu et la définition du développement durable sont inhérents à l’histoire de cette notion, et la montée en force simplificatrice de la modernisation écologique constitue une tendance forte. À ce sujet, il faudra surveiller comment se passera prochainement la réforme de la loi de 1997 qui définit jusqu’à ce jour le développement durable au niveau fédéral belge à partir d’une optique internationale, où le social a bien sa place. Par ailleurs, le développement durable apparaît également assez haut dans le Traité de Lisbonne, qui stipule que l’Union « œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. » (Art 2.3). Dans cette version-ci, le développement durable est corrélé à l’emploi, au progrès social et, évidemment, à l’environnement, mais avant cela apparaissent les objectifs de croissance et de compétitivité, dans un syncrétisme où l’on trouve la marque de la modernisation écologique. En résumé, la modernisation écologique est une composante du développement durable qui s’accommode particulièrement bien du fonctionnement actuel de l’économie et ne laisse pas présager de changements dans les redistributions de gains au bénéfice des travailleurs. Le développement durable comporte un souci plus social et ouvrant potentiellement la porte à des modifications profondes, car ce n’est pas pour rien que le terme « développement » a été utilisé, et non pas croissance économique. Encore faut-il que des acteurs et des actes se saisissent de ces potentialités, puisqu’en lui-même l’objectif n’offre pas de garantie en ce sens et que ces définitions sont très ouvertes. Mais, outre les aspects sociaux manifestement problématiques, ce qui est en devenu évident est le fait que dans l’une comme dans l’autre de ses modalités, ces principes n’apparaissent pas aujourd’hui à la mesure des enjeux écologiques actuels, en même temps qu’ils constituent des parts incontournables des évolutions.

Des plans de relance verts ?

Pour illustrer le premier point, il suffit de considérer les plans de relance post-crise de 2008 et leur part « verte » (laquelle est en grande partie centrée sur les enjeux énergétiques). Soit pour l’Allemagne et la France, par exemple, respectivement 10,7 milliards EUR (13% du plan de relance), et 5,5 milliards EUR (22% du plan de relance). Non seulement il s’agit, dans les faits ,de portions congrues desdits plans, mais les montants sont bien limités en chiffres absolus. Derrière les effets d’annonce, ces initiatives-là ne débouchent pas sur des changements massifs. Cependant, un deuxième point doit également retenir notre attention. Aux USA et en Chine, les mêmes données sont de 86,6 milliards EUR (11% du plan de relance) et… 171,1 milliards EUR, soit pour la Chine plus de 10 fois le montant de l’Allemagne et de la France réunies (37,8% du plan de relance chinois) Tous ces chiffres sont tirés de Green European Foundation, A Green New Deal for Europe. Towards a green modernization in the face of crisis, The Greens-European Parliament et Wuppertal Institute, octobre 2009, p. 19 Autrement dit, le mouvement est en marche dans le monde. Il est hautement nécessaire, face aux enjeux démesurés des changements climatiques, il n’est pas question de s’en désintéresser, et il peut créer des activités. Que ces évolutions doivent conduire à terme à des décroissances, c’est probable. Qu’ainsi la figure du développement durable perde de sa crédibilité du fait de ses noces plus ou moins affirmées avec la croissance purement économique, c’est possible. « L’alliance emploi-environnement ne va pas de soi », concluait l’édito sur le Capitalisme vert. C’est exact. Mais il n’y a pas d’autres choix que de la construire, au-delà des mots d’ordre simplificateurs.