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Vooruitgroep : « Le Gravensteengroep traite Bruxelles comme une colonie »

En Flandre, il n’y a pas que la droite nationaliste qui s’exprime dans le débat institutionnel. D’ailleurs, le nationalisme n’y est pas le monopole de la droite. En témoigne la composition du Gravensteengroep (le Gravensteen est le château des Comtes, à Gand), constitué en 2008 autour du professeur Etienne Vermeersch, une des consciences de la gauche flamande, avec des personnalités allant de syndicalistes FGTB et d’anciens communistes à des proches de la N-VA. Lire leur texte : http://revuepolitique.be/spip.php?article1478. Lancé immédiatement après en réaction, le Vooruitgroep (le Vooruit est le bâtiment historique du mouvement ouvrier gantois) s’affirme pour sa part clairement de gauche et s’est retrouvé en phase avec les récentes initiatives anti-nationalistes sous le mot d’ordre « Niet in onze naam » (« Pas en notre nom »).

Ce texte a été refusé par De Morgen, puis publié sur le site alternatif De Wereld morgen.be le 16 mars 2011. Nous rejetons deux des trois principes du groupe Gravensteen. Le groupe Gravensteen a de nouveau apporté une contribution particulière au débat. Trois principes de négociation devraient servir de base de toute concertation communautaire. Tous les partis sont appelés à y souscrire. Le premier principe est celui de la territorialité, c’est-à-dire que les autorités exercent leur pouvoir sur toutes les personnes se trouvant sur un territoire donné. Le deuxième est celui de la non-ingérence ou de la complète souveraineté sur ce territoire. Le troisième « principe » est celui de l’exception bruxelloise, car dans ce cas le principe de territorialité ne s’applique plus et l’immixtion de l’extérieur devient possible. « Si Bruxelles veut être la capitale de l’État belge, elle doit se conformer aux principes démocratiques et solidaires d’une confédération ou union belge. Sinon on pourra parler d’un séparatisme bruxellois. » Si l’on ne souscrit pas sans délai à ces principes – ce à quoi on peut probablement s’attendre – alors les membres du Parlement flamand devraient unilatéralement suspendre la Constitution belge en ce qui concerne la protection des minorités et faire jouer leur majorité numérique. Ce qui doit être une invitation à une discussion sur des principes démocratiques devient ainsi un diktat, immédiatement accompagné d’une sanction si l’on est d’un autre avis. Drôle de défense de la démocratie. Eh bien, nous ne sommes pas d’accord avec l’approche inconsistante du groupe Gravensteen. Son texte fait comme s’il allait de soi que les partis flamands et l’opinion publique souscrivent à ces principes. En fait le groupe ne s’adresse qu’aux Wallons, car seule la Région wallonne pourrait bénéficier des mêmes principes. Pas un mot sur les germanophones. Et 1,1 million de Bruxellois doivent se soumettre au régime d’exception. Heureusement il n’y a pas de consensus à ce propos en Flandre, et même pas de majorité. C’est donc d’abord ici que le débat doit être mené. Choisir le premier principe, celui de la territorialité, plutôt que celui de la personne – ou l’autorité exerce son pouvoir sur des personnes d’une sorte déterminée – nous paraît fort intelligent dans le contexte actuel. Si l’on veut redistribuer des compétences, alors il faut que leur étendue soit définie indépendamment de la culture, de l’origine, de la religion ou du nombre d’habitants de ce territoire. Et compte tenu du contexte belge déjà bloqué il est également indiqué d’en rester aux limites existantes et donc de garder les Régions comme elles sont. En soi en faisant cela, on ne fait que délimiter tous les territoires sans avoir encore rien dit de l’organisation politique à l’intérieur de ces territoires. Le groupe Gravensteen fait comme s’il pouvait s’exprimer au nom du « territoire flamand », mais ce n’est qu’une apparence. La politique est jusqu’à ce jour définie uniquement par les gens. Et la démocratie permet donc que les citoyens d’un territoire déterminent leur régime. Que la Flandre soit de plus, sans exception aucune, un territoire purement unilingue, est une vision politique bien définie qui peut être contestée, et c’est certainement le cas lorsque dans certaines parties du territoire la toute grande majorité de la population parle une autre langue. Mais bon, ce débat politique contre les principes nationalistes n’a qu’à être mené. À condition que l’on admette qu’il s’agit ici d’une idéologie parmi bien d’autres, et pas d’une loi de la nature. Le deuxième principe, celui de la non-ingérence, est totalement irréaliste. Cela ne peut s’imaginer que pour des territoires totalement indépendants et économiquement autonomes. Le monde d’aujourd’hui est celui de l’interdépendance de territoires imbriqués les uns dans les autres et en interaction permanente les uns avec les autres. Il n’y a plus beaucoup de territoires qui ont une autodétermination complète et la Flandre, dont l’économie est quasi entièrement dans des mains étrangères, n’en fait certainement pas partie. La Flandre dépend entièrement du marché mondial, de la zone euro et de l’Union européenne qui règle plus de la moitié de notre vie quotidienne. Donc, tant sur le plan politique qu’économique, il y a constamment une ingérence et il y a constamment des « concessions ». Que dans ce type de rapports il y ait un grand déficit démocratique, il ne faut pas nous l’expliquer. Mais faire comme si une Flandre autonome sans ingérence pouvait exister c’est totalement dépassé. Plus de Flandre ne veut pas dire automatiquement plus de démocratie. Nous plaidons pour une vision claire d’une démocratie à plusieurs niveaux. Dans celle-ci le principe de territorialité doit être appliqué au niveau qui convient. Et aussi longtemps que des territoires veulent garder un lien étatique belge il faut aussi déterminer un territoire belge, avec sa propre discussion politique, avec par exemple une circonscription fédérale, avec des accords clairs en ce qui concerne la solidarité entre les personnes dans une sécurité sociale commune… À ce niveau aussi le principe de territorialité doit jouer. Et il en est de même pour la zone euro, ou pour l’Union européenne. Plaider aujourd’hui pour des containers séparés sans ingérence c’est une politique réactionnaire. Accepter l’ingérence des États-Unis ou de l’Allemagne, et la rejeter au sein de la Belgique c’est de la naïveté. Surtout lorsque dans un troisième principe l’on jette par-dessus bord ses propres principes. Il existe en effet un territoire de 19 communes, la Région bruxelloise, qui n’est pas un territoire unilingue et a une population extrêmement mélangée. Si l’on veut régler la réforme de l’État et la redistribution des compétences selon un sacro-saint principe de territorialité, alors on en vient inévitablement à trois ou même quatre régions. À moins que l’on ne veuille, de-ci de-là, faire appel au principe de personnalité et que l’on crée une inégalité inacceptable entre les citoyens, basée sur des sous-nationalités. Et, si l’on veut prendre la démocratie au sérieux, alors il faudrait au minimum poser la question aux intéressés. Le groupe Gravensteen traite Bruxelles comme une colonie dont les règles peuvent être définies par deux pays voisins. Heureusement cette vision est devenue totalement marginale en Flandre. Ni Groen !, ni le SPA, ni le VLD ne la partagent. Même Bart De Wever comprend que Bruxelles doit avoir un statut avec lequel les Bruxellois sont d’accord. Etienne Vermeersch Philosophe, professeur émérite à l’Université de Gand et un des initiateurs du groupe Gravensteen. (NDLR).. plaide même pour une révision des limites de la Région bruxelloise. Le troisième principe n’est en fait plus défendu en Flandre que par le CD&V. Comment se fait-il que les signataires n’aient pas réfléchi aux importantes implications non démocratiques de leurs principes ? Ils sont peut-être bénéfiques pour l’autonomie flamande, ils peuvent scinder BHV sans plus, mais ils méconnaissent les droits de base d’autres gens. Pourquoi le discours dur adressé aux Bruxellois – voir plus haut – ne vaudrait-il pas pour les habitants de la périphérie flamande ? « Si la périphérie flamande veut être l’hinterland d’une petite ville mondiale, qui procure de l’emploi pour plus de 360 000 navetteurs, qui est à la base de la richesse du Brabant flamand et wallon, et qui assure l’offre de services pour une région urbaine de 2,5 millions d’habitants, alors elle doit se conformer aux principes de toute bonne gestion métropolitaine et adhérer à une concertation de grande ville. Si ce n’est pas le cas, on pourra parler de revanchisme suburbain. » Nous ne faisons pas nôtre ce discours menaçant, car il est aussi choquant que le troisième « principe » du groupe Gravensteen. Cela étant dit, nous cherchons toujours le « progressisme » dont se revendique ce groupe. On décrète quelques principes abstraits, sans prendre de position claire dans le débat tel qu’il se déroule en réalité dans la société. De quel côté se situera donc le groupe Gravensteen lorsqu’il s’agira de la défense de la sécurité sociale, ou de l’indexation des salaires, ou d’une des autres conquêtes sociales défendues par le front syndical et qui sont mises en cause explicitement par le nationalisme flamand dominant ? Où se situe donc le groupe Gravensteen dans les faits ? À « gauche » de la NVA ? Et enfin comment le groupe se positionne-t-il par rapport au débat politique dans la communauté francophone ? Quelle est son opinion, par exemple, par rapport aux récentes prises de position « Pas en notre nom » à partir d’une approche territoriale ? Un rejet aussi vigoureux que celui émis par le Vlaamse Volksbeweging Groupe de réflexion et de pression flamand plaidant pour l’indépendance de la Flandre. (NDLR).. ? Un think thank axé sur les principes devrait se pencher là-dessus aussi. Surtout si l’on ne veut pas tomber dans un nationalisme dépassé et vieillot.