Retour aux articles →

« La désobéissance est pour moi une pratique quotidienne »

Alors que la dynamique des marches pour le climat, qui ont mobilisé la jeunesse belge, a été interrompue par le Covid, on a pu constater une multiplication des actions militantes plus symboliques ou spécifiques. Mais pourquoi s’engager quand on a 15, 16 ou 18 ans ? Pourquoi faire acte de désobéissance civile et quelles limites donner à celle-ci ?
Cet article fait partie d’un mini-dossier en ligne sur la désobéissance civile (avril 2023).

Vous avez 16 ans et déjà activiste politique ! Pourquoi avoir choisi la désobéissance civile ?

Je me suis converti à la désobéissance civile en rejoignant Extinction rébellion (XR), qui est un mouvement basé presque uniquement sur ces modes d’action. En fait, j’irai même plus loin, j’ai commencé la désobéissance civile avant de rejoindre ces mouvements, parce que j’en avais marre des manifs le dimanche à Bruxelles. Je trouvais ça trop fin, pas assez fort en fait. J’avais envie de faire plus et de m’engager pour le climat de manière plus significative.

>>> Lire aussi : Le seum des jeunes (dossier)

Concrètement quel est votre expérience personnelle avec la désobéissance ?

J’ai commencé par quelques autocollants, qu’on pose sur du mobilier urbain. Je suis namurois, du coup, je connais pas mal la ville. À chacune de mes petites sorties, j’en collais, puis je me suis mis aux affiches un petit peu plus tard. C’était tout de suite quelque chose de plus important. Mais en fait, j’ai ai eu marre de faire ça tout seul. Je me suis dit, il y a sans doute un réseau d’activistes cachés dans le fin fond de Namur et je les ai trouvés.

Est-ce que ces premières actions étaient déjà liées à l’écologie ?

Non, mon premier collage était pour des slogans féministes. Et puis oui, ça été pour le climat, j’ai ressenti le besoin urgent de faire changer les choses et j’ai trouvé ce moyen, la désobéissance, qui me paraissait légitime.

>> Lire aussi : Quand le féminisme répond à la violence par la violence

D’où vient ce sentiment d’urgence ?

Je pense qu’il vient du fait que je me sois beaucoup renseigné. Ça a commencé avec une publication que je ne comprenais pas en fait. Et le fait d’entendre les adultes et les politiques parler et de me sentir illégitime pour leur répondre parce que je ne connaissais pas le sujet. Avec le confinement, j’ai eu du temps pour lire sur les questions climatiques et ça a confirmé mon sentiment : il faut faire bouger les choses, parce qu’au niveau politique ça n’avance pas assez vite.

La désobéissance civile nécessite souvent de réaliser des actions illégales… mais moralement légitimes ?

Oui, c’est légitime parce que, à l’heure actuelle, c’est légal pour les multinationales de compromettre les conditions de vie sur Terre. Parce que nous subissons cette dérive du capitalisme, agir est légitime. Nous devons nous sauver nous-mêmes. Est-ce que c’est illégal ? Tout à fait, c’est illégal et je m’en rends bien compte. Je pense que chaque personne qui fait de la désobéissance civile, en tout cas dans le mouvement d’XR de Namur, s’en rend bien compte. Je ne mets pas ça sur le même pied que la criminalité, mais on doit faire attention avec la police. Souvent c’est un peu le jeu du chat et de la souris : quand j’ai commencé, j’avoue que c’était perturbant parce que je n’avais jamais connu ça.

>>> Lire aussi : « L’art ou la vie ? »

Est-ce que vous avez eu peur parfois lors d’actions ?

Je ne pense pas, parce que je suis mineur donc je risque pas encore grand-chose. D’autant que j’ai plus peur de la crise climatique qui nous guette et qui va potentiellement mettre en péril mon avenir ou celui des futures générations. Et donc ça, ça me fait peur. Mais est ce que me faire arrêter pour essayer de lutter contre ça me fait peur ? Parfois, quand je vois comment ça se passe en France, c’est vrai que je me pose la question.

Où se situe la limite, au sein de votre pratique de la désobéissance, avec la violence ?

Le niveau de conduite, c’est zéro violence. Après, la définition de la violence est très controversée. Je pense que le pire que j’ai pu faire, c’est gêner une personne qui ne voulait pas que mon affiche se retrouve sur sa vitre. Je ne pense pas que ce soit une « violence », une « dégradation » oui, mais temporaire. Chacun pense ce qu’il veut, mais pour moi la désobéissance doit rester civile, donc sans violence. Si ça peut arriver qu’on colle des stickers ou des affiches, la violence est une ligne rouge, pour qu’XR reste un mouvement non violent comme Greenpeace.

Est-ce que XR doit rester un mouvement d’action coup de poing ou alors aller vers l’organisation de mobilisations de masse, comme la branche anglaise a choisi de le faire par exemple ?

Pourquoi pas, c’est en effet un bon levier. Ma vision particulière, c’est que j’aime les actions. Ce sont vraiment deux moyens différents : les grosses actions, celle de Code rouge, qui a fait beaucoup parler sont importantes et nécessaires. Mais la désobéissance est pour moi une pratique quotidienne, un ensemble de petites choses qu’on fait régulièrement. Quand je vois un panneau publicitaire allumé toute la nuit, j’ai envie de l’éteindre ; si je peux, je le fais. Pour qu’on nous entende plus, ces pratiques doivent devenir de plus en plus courantes.

Plus généralement, comment faire changer les choses ?

On est la génération qui a envie de faire changer les choses, du moins je l’espère. J’ai beaucoup d’espoirs en disant ça, mais il y a de plus en plus de jeunes qui sont conscients, qui s’informent. On ne peut pas transformer la société seuls, mais on peut être les sonneurs d’alarme, c’est ce que j’essaye de faire. On a des demandes concrètes, notamment avec XR : reconnaître la gravité de la crise climatique, limiter drastiquement les gaz à effet de serre… Et je dirais aussi qu’on doit aller vers une forme de décroissance, même si c’est aussi tout un débat. Est-ce qu’on a encore besoin de produire autant ? Je ne pense pas. Et on veut aussi la création d’Assemblées générales pour que le peuple ne soit pas écouté une fois tous les 4 ans, mais qu’il puisse s’impliquer dans la gestion des choses. Ce ne sont pas les politiques qui doivent diriger le peuple mais l’inverse.

Est-ce que la solution à la crise climatique doit malgré tout être trouvée dans la politique institutionnelle (les partis, les gouvernements, etc.) ?

Je suis pour une démocratie politique. Je ne suis en aucun cas anarchiste, je pense que notre système politique a du bon. En Belgique, on est quand même dans une des plus belles démocraties au monde. On n’a pas une seule personne qui dirige notre pays. Je trouve ça très chouette. Et c’est justement parce qu’on est dans une démocratie qu’on doit la pousser plus loin. Elle doit encore évoluer, avancer, on a tout un chemin à parcourir ! Donc oui, je pense que les solutions doivent aussi se trouver dans la politique, en même temps que dans un changement radical des modes de vie, des modes de pensées. Je pense que les deux sont interconnectés. Je reviens là-dessus : je pense qu’on doit aller vers de la décroissance, que ça va passer par la politique, parce que sinon personne ne va vouloir décroître. Ça doit aussi passer par la loi.

Où vous imaginez vous dans 4 ou 5 ans ?

Ça me fera 22 ans. Oui, ça, je pense que je serai encore un militant ! Que j’aurai les mêmes idées mais qu’elles auront évolué, j’espère. Je m’imagine en sciences politiques, faire des études dans ces domaines-là.

Pour terminer si vous deviez donner un élément d’espoir face à la crise ?

Je dirais qu’on fait beaucoup de choses en Belgique et que la jeunesse est de plus en plus mobilisée. On l’a vu dans les marches climat. Ça englobait une grosse partie de la population belge. On y voyait des plus riches, des plus pauvres, des femmes, des hommes, des LGBT, des enfants, des personnes âgées. Je pense que ces manifs sont une belle note d’espoir. On ne se mobilise pas seuls. Les gens sont mobilisés à leur échelle comme ils le peuvent, mais nous sommes mobilisés ensemble. Nous nous trouvons dans chaque ville pour nous mobiliser pour la même chose, pour manifester. Et on est là pour sauver la planète et je pense que ça ne va pas s’arrêter. En tout cas je l’espère, et moi je ne vais pas m’arrêter.

Propos recueillis par Thibault Scohier le 13 avril 2023.

(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.0. ; photographie d’une action d’Extinction rébellion à Londres, prise en novembre 2018 par Julia Hawkins.)